Abdelhak Lamiri. |
Les managers efficaces et les
gouvernants visionnaires ont de tout temps cherché à mobiliser les idées de
tous leurs membres afin de produire les décisions les plus judicieuses, et
ainsi mobiliser l’intelligence du maximum de participants.
On n’a pas cessé de
le répéter dans nos chroniques : le facteur-clé de succès numéro un des
entreprises et des pays demeure le management de l’intelligence : comment
développer et utiliser les cerveaux des ressources humaines dont on dispose.
C’est la matière grise qui, en fin de compte, produit les biens et les
services, booste l’innovation, améliore la communication crée la valeur ajoutée
et les profits. Les muscles ne participent que dans des proportions très
limitées à la production des richesses des pays. Un pays qui gèle les cerveaux
de sa population s’expose au risque quasi certain de demeurer peu compétitif au
sein du concert des nations.
Aussi, les entreprises, ou les
pays, doivent développer des outils pour s’ingénier à trouver des solutions à
la mobilisation des capacités cérébrales de tous. Une entreprise qui a 330 000 membres
et qui vise à puiser de son personnel des idées-clés pour développer des
solutions à un épineux problème doit disposer d’une méthodologie pour le faire.
Un pays qui a 300 millions ou plus d’un milliard de citoyens et qui veut
mobiliser leurs points de vue (cas de la Chine pour lutter contre l’exode rural)
doit également s’organiser en conséquence.
L’Algérie est dans une situation
tout à fait exceptionnelle qui appelle à organiser des échanges en vue de créer
une vision commune et un projet de société partagé. Nous n’avons pas tiré
profit des expériences passées, telles que les discussions sur la Charte
nationale des années soixante-dix, ou le débat national après les événements de
1988.
Nous sommes sur le point de
reproduire le même schéma avec les mêmes apports et les mêmes lacunes.
Mais nous pouvons améliorer
grandement la manière de conduire ce débat.
TIRER PROFIT DE L’INTELLIGENCE DE
TOUS
Il ne faut pas faire l’hypothèse
que les meilleures solutions à des problèmes nationaux ou même d’entreprises
viennent uniquement des experts ou des hauts cadres. Les idées de ces derniers
ont une valeur exceptionnelle et permettent de tirer profit de la science, des
expériences d’autrui et de schémas conceptuels très utiles.
Mais de grâce ne négligeons pas
les apports de l’ensemble des citoyens. Combien de fois des idées judicieuses sont venues de sources que l’on
ne soupçonnait pas ! De nombreuses entreprises ont intégré dans leurs plans
stratégiques, avec une grande réussite, des investissements préconisés par leurs
membres tout en bas de la hiérarchie, parfois de simples travailleurs affectés
à des tâches de routine. Les experts militaires de l’ex-URSS n’ont pas pu
trouver de solutions pour venir à bout de la ligne Barlev érigée par Israël
pour protéger le Sinaï occupé à l’époque. Mais un militaire égyptien, pas très
élevé dans la hiérarchie de l’armée, a eu l’idée de la détruire avec de
puissants jets d’eau.
On peut continuer à donner de
nombreux exemples où des idées provenant des bas niveaux hiérarchiques ont eu
des conséquences énormes sur les entreprises ou les pays. Les idées des citoyens
ont une valeur exceptionnelle.
Les bonnes entreprises et les
pays compétitifs sont ceux qui permettent de tirer profit plus des cerveaux que
des muscles de leurs membres. Ils savent s’organiser en conséquence. Ils
canalisent leurs ressources vers le développement de l’intelligence de leurs
membres et en tirent un énorme profit en l’utilisant. Mais par la suite, il
faut savoir organiser cet énorme flux d’informations qui va inonder les
circuits officiels et les réseaux sociaux.
Il s’agirait alors de canaliser
ces flux, filtrer les propositions les plus pertinentes et évaluer leurs apports
à la résolution des problèmes concrets du pays. Lorsqu’on initie un débat sur
l’avenir d’une entreprise ou d’un pays, il faut s’attendre à déjouer de
nombreux pièges qui ne manqueront pas de surgir. L’un des plus importants
concerne la gestion des propositions contradictoires. On aura par exemple de
nombreux citoyens qui vont proposer d’affecter plus de ressources au logement
social. D’autres ne manqueront pas de s’attaquer au déficit budgétaire. Les
deux propositions semblent contradictoires, mais en affinant une doctrine de la
politique du logement, nous pouvons identifier certaines pistes qui peuvent
concilier les deux : typologie moins
chère des constructions, par exemple.
TRAVAILLER AVEC MÉTHODE
Le mouvement citoyen que nous
sommes en train de vivre est un événement historique d’une ampleur
insoupçonnée. Les peuples se soulèvent souvent à des périodes où on les attend
le moins. C’est au moment où on croyait que le peuple s’est résigné à vivre
sous une dictature déguisée et une corruption qui a gangrené l’ensemble des
institutions que les citoyens ont décidé de prendre en charge
leur propre devenir. Jusqu’à présent, malgré le manque de structuration, les
objectifs recherchés sont très cohérents et incitent à l’optimisme. Il ne fait
aucun doute que les citoyens vont réaliser leurs objectifs légitimes : se
débarrasser d’un régime qui a échoué dans tous les domaines. Malgré des
ressources énormes tirées des hydrocarbures (plus de 1200 milliards de dollars en
20 ans), le pays s’est enlisé dans la spirale du sous-développement, avec la
détérioration des facteurs- lés de succès : qualité de l’éducation, dégradation
de la santé, etc. Seules quelques infrastructures (qui représentent le un
cinquième des dépenses consacrées) sont présentées comme les réalisations historiques
de la période.
Les différents débats seront très
utiles pour affiner le projet de société que l’on ne manquera pas de monter
ensemble. Les risques de dérapage existent, mais toute situation de changement implique
des risques. Dans le cas de notre pays, le plus grand risque était l’inertie.
Mais on peut tirer profit davantage des différents débats s’ils se déroulaient
avec méthode. On peut choisir les citoyens spécialisés en communication pour gérer
les échanges et résumer les principales préoccupations et recommandations
émises du plus bas niveau hiérarchique d’échange (la commune) jusqu’au niveau le
plus élevé (national). Par ailleurs, le ou les comités de synthèse au niveau national
peuvent faire exécuter les techniques
de tri pour arriver à des cohérences entre objectifs et mécanismes de mise en œuvre. Nous aurons besoin de nos experts et ceux de la diaspora pour produire
un programme d’action qui intègre les priorités et les choix des citoyens. Nous
sommes en pleine révolution, qui ne manquera pas de bouleverser nos modes de
gouvernance et nos choix de politiques sectorielles. Mais les révolutions réussissent
ou échouent non seulement en fonction des objectifs recherchés mais surtout des
méthodes utilisées.
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