APS - ALGÉRIE

lundi 1 avril 2019

Processus de prise de décision efficace avec d’innombrables acteurs

Abdelhak Lamiri.

Les managers efficaces et les gouvernants visionnaires ont de tout temps cherché à mobiliser les idées de tous leurs membres afin de produire les décisions les plus judicieuses, et ainsi mobiliser l’intelligence du maximum de participants.
On n’a pas cessé de le répéter dans nos chroniques : le facteur-clé de succès numéro un des entreprises et des pays demeure le management de l’intelligence : comment développer et utiliser les cerveaux des ressources humaines dont on dispose. C’est la matière grise qui, en fin de compte, produit les biens et les services, booste l’innovation, améliore la communication crée la valeur ajoutée et les profits. Les muscles ne participent que dans des proportions très limitées à la production des richesses des pays. Un pays qui gèle les cerveaux de sa population s’expose au risque quasi certain de demeurer peu compétitif au sein du concert des nations.

Aussi, les entreprises, ou les pays, doivent développer des outils pour s’ingénier à trouver des solutions à la mobilisation des capacités cérébrales de tous. Une entreprise qui a 330 000 membres et qui vise à puiser de son personnel des idées-clés pour développer des solutions à un épineux problème doit disposer d’une méthodologie pour le faire. Un pays qui a 300 millions ou plus d’un milliard de citoyens et qui veut mobiliser leurs points de vue (cas de la Chine pour lutter contre l’exode rural) doit également s’organiser en conséquence.
L’Algérie est dans une situation tout à fait exceptionnelle qui appelle à organiser des échanges en vue de créer une vision commune et un projet de société partagé. Nous n’avons pas tiré profit des expériences passées, telles que les discussions sur la Charte nationale des années soixante-dix, ou le débat national après les événements de 1988.
Nous sommes sur le point de reproduire le même schéma avec les mêmes apports et les mêmes lacunes.
Mais nous pouvons améliorer grandement la manière de conduire ce débat.
TIRER PROFIT DE L’INTELLIGENCE DE TOUS
Il ne faut pas faire l’hypothèse que les meilleures solutions à des problèmes nationaux ou même d’entreprises viennent uniquement des experts ou des hauts cadres. Les idées de ces derniers ont une valeur exceptionnelle et permettent de tirer profit de la science, des expériences d’autrui et de schémas conceptuels très utiles.
Mais de grâce ne négligeons pas les apports de l’ensemble des citoyens. Combien de fois des idées   judicieuses sont venues de sources que l’on ne soupçonnait pas ! De nombreuses entreprises ont intégré dans leurs plans stratégiques, avec une grande réussite, des investissements préconisés par leurs membres tout en bas de la hiérarchie, parfois de simples travailleurs affectés à des tâches de routine. Les experts militaires de l’ex-URSS n’ont pas pu trouver de solutions pour venir à bout de la ligne Barlev érigée par Israël pour protéger le Sinaï occupé à l’époque. Mais un militaire égyptien, pas très élevé dans la hiérarchie de l’armée, a eu l’idée de la détruire avec de puissants jets d’eau.
On peut continuer à donner de nombreux exemples où des idées provenant des bas niveaux hiérarchiques ont eu des conséquences énormes sur les entreprises ou les pays. Les idées des citoyens ont une valeur exceptionnelle.
Les bonnes entreprises et les pays compétitifs sont ceux qui permettent de tirer profit plus des cerveaux que des muscles de leurs membres. Ils savent s’organiser en conséquence. Ils canalisent leurs ressources vers le développement de l’intelligence de leurs membres et en tirent un énorme profit en l’utilisant. Mais par la suite, il faut savoir organiser cet énorme flux d’informations qui va inonder les circuits officiels et les réseaux sociaux.
Il s’agirait alors de canaliser ces flux, filtrer les propositions les plus pertinentes et évaluer leurs apports à la résolution des problèmes concrets du pays. Lorsqu’on initie un débat sur l’avenir d’une entreprise ou d’un pays, il faut s’attendre à déjouer de nombreux pièges qui ne manqueront pas de surgir. L’un des plus importants concerne la gestion des propositions contradictoires. On aura par exemple de nombreux citoyens qui vont proposer d’affecter plus de ressources au logement social. D’autres ne manqueront pas de s’attaquer au déficit budgétaire. Les deux propositions semblent contradictoires, mais en affinant une doctrine de la politique du logement, nous pouvons identifier certaines pistes qui peuvent concilier les deux :  typologie moins chère des constructions, par exemple.
TRAVAILLER AVEC MÉTHODE
Le mouvement citoyen que nous sommes en train de vivre est un événement historique d’une ampleur insoupçonnée. Les peuples se soulèvent souvent à des périodes où on les attend le moins. C’est au moment où on croyait que le peuple s’est résigné à vivre sous une dictature déguisée et une corruption qui a gangrené l’ensemble des institutions que les citoyens ont décidé de prendre en   charge leur propre devenir. Jusqu’à présent, malgré le manque de structuration, les objectifs recherchés sont très cohérents et incitent à l’optimisme. Il ne fait aucun doute que les citoyens vont réaliser leurs objectifs légitimes : se débarrasser d’un régime qui a échoué dans tous les domaines. Malgré des ressources énormes tirées des hydrocarbures (plus de 1200 milliards de dollars en 20 ans), le pays s’est enlisé dans la spirale du sous-développement, avec la détérioration des facteurs- lés de succès : qualité de l’éducation, dégradation de la santé, etc. Seules quelques infrastructures (qui représentent le un cinquième des dépenses consacrées) sont présentées comme les réalisations historiques de la période.
Les différents débats seront très utiles pour affiner le projet de société que l’on ne manquera pas de monter ensemble. Les risques de dérapage existent, mais toute situation de changement implique des risques. Dans le cas de notre pays, le plus grand risque était l’inertie. Mais on peut tirer profit davantage des différents débats s’ils se déroulaient avec méthode. On peut choisir les citoyens spécialisés en communication pour gérer les échanges et résumer les principales préoccupations et   recommandations émises du plus bas niveau hiérarchique d’échange (la commune) jusqu’au niveau le plus élevé (national). Par ailleurs, le ou les comités de synthèse au niveau national peuvent faire   exécuter les techniques de tri pour arriver à des cohérences entre objectifs et mécanismes de mise en œuvre. Nous aurons besoin de nos experts et ceux de la diaspora pour produire un programme d’action qui intègre les priorités et les choix des citoyens. Nous sommes en pleine révolution, qui ne manquera pas de bouleverser nos modes de gouvernance et nos choix de politiques sectorielles. Mais les révolutions réussissent ou échouent non seulement en fonction des objectifs recherchés mais surtout des méthodes utilisées.

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