Ce qui se joue en Algérie depuis le 22
février ne peut être réductible à une manœuvre politicienne, encore
moins à une obscure opération de conspiration.Il
s’agit d’un bouleversement historique majeur, qui dépasse de loin la
question de la perte ou de la prise de pouvoir politique. Reprenant leur
destin en main, les Algériens poussent ardemment l’Algérie vers l’ère
de la modernité politique.
Unique dans la longue chronique des
luttes politique et sociales. L’insurrection citoyenne, qui ébranle
l’Algérie entière et taille en pièces le régime de Bouteflika avec
l’ambition d’instaurer un nouvel ordre politique, signe le début d’une
nouvelle phase dans les annales des mouvements populaires. Et l’histoire
n’est pas encore finie. Elle se poursuit depuis sept mois, sans
interruption, et promet des batailles aussi vigoureuses que décisives.
C’est un nouveau roman algérien qui sort d’un pays sur le déclin. Il s’écrit au jour le jour, que chaque vendredi couronne. Un
récit vivant, chargé d’espérance, qui met en lumière l’extraordinaire
intelligence d’un peuple que l’on croyait tombé dans un «coma
définitif». Mais, surtout, lève
le voile sur l’ampleur du désastre national et la folle dérive des
équipes au pouvoir depuis des décennies. Ce qui se joue en Algérie
depuis le 22 février ne peut être réductible à une manœuvre
politicienne, encore moins à une obscure opération de conspiration.
Il s’agit d’un bouleversement historique
majeur qui dépasse de loin la question de perte ou de prise de pouvoir
politique. Reprenant leur destin en main, les Algériens poussent
ardemment l’Algérie vers l’ère de la modernité politique. Une révolution
copernicienne qui aspire à renverser l’ordre des choses. D’où
l’incapacité criante des élites aux commandes du pays à saisir ce moment
de l’histoire. Faute d’entrer en résonance avec cette utopie naissante,
ils s’efforcent à retarder l’échéance, au risque d’apparaître à
contre-courant de l’histoire.
Ainsi, le «peuple du vendredi» boucle
sept longs mois d’insurrection, arrachant d’énormes acquis politiques et
symboliques et, surtout, faisant avancer des causes justes, longtemps
confinées dans l’étroitesse des interdits. Avec sa jeunesse
définitivement arrachée à la résignation, il entame le huitième mois
d’insurrection en inscrivant sa construction dans le temps long, mais
sans rien négliger des problématiques politiques immédiates. Son
opposition forte aux «projets» politiques peu ambitieux, échafaudés avec
improvisation et organisés dans une déconcertante précipitation, ne
peut nullement être considérée comme un blocage.
Les «manifestants du vendredi» ne sont
pas la source de la crise. Ils ne sont en rien comptables de l’impasse
politique qui paralyse l’Etat, car elle est antérieure au 22 février.
Les Algériens en insurrection, depuis les marches de Kherrata et de
Khenchela, ont fait la démonstration qu’ils sont porteurs de solutions.
Ils ont montré la voie pour surmonter cette impasse en réussissant, dans
un premier temps, à débarrasser le pays du monarque impotent Abdelaziz
Bouteflika et d’une grande partie de son entourage. En cela, ils ont
sauvé le pays d’un péril certain.
En poursuivant la tâche
«déstruction-construction», ils savent que le mal algérien ne se résume
pas à la personne du Président, fut-il monarchique, encore moins à ses
vizirs aussi prédateurs soient-ils. C’est encore plus profond que les
guerres claniques, les luttes d’intérêt et d’influence de groupes qui ne
sont en réalité que les symptômes de la maladie incurable d’un système
de gouvernance. D’un système révolu, dépassé et incompatible avec les exigences d’un pays et d’un peuple réglé à l’heure de la modernité politique et sociale.
Fini le peuple infantilisé et le règne du
«grand frère tuteur» ou du «père protecteur de la nation» fusionné au
despotisme oriental. Fini le temps où tout se décide et se règle dans le
huis clos du sérail. La révolution démocratique en cours replace les
Algériens au cœur des choix à faire. Rien ne peut être engagé sans
l’assentiment du hirak. Il est une voix incontournable. Plus que cela,
le mouvement populaire se pose désormais en acteur du destin national.
Les Algériens redeviennent maîtres du jeu politique ; ils veulent
maintenant exercer véritablement leur souveraineté et refusent les
passages en force.
La question de l’élection présidentielle
posée et imposée comme unique voie de sortie de crise par le système est
rejetée parce qu’elle est imposée d’en haut et surtout escortée d’un
climat de peur rarement connu. Il faut s’interroger si vraiment les
décideurs de l’heure veulent la tenue d’un scrutin présidentiel. Tout
est fait pour discréditer une présidentielle que ses promoteurs assurent
qu’elle sera la «plus honnête» de toutes les élections.
L’intégrité d’une votation se mesure à
l’ensemble du processus dans lequel elle se déroule, pas seulement à son
déroulement technique. Les acteurs politiques doutent sérieusement de
la possibilité d’une présidentielle qui se prépare dans un quasi état
d’urgence. Même les moins hostiles expriment de sérieuses réserves. Et,
par dessus tout, l’élection présidentielle, aussi indispensable
soit-elle, serait frappée de nullité politique si elle n’est pas
combinée à de fortes mesures de transition. Les délais qui nous séparent du 12 décembre sont drastiquement courts pour réussir le pari.
Mais faut-il rappeler encore que l’urne à
elle seule ne peut contenir la voix forte des Algériens. La révolution
du 22 Février signe l’irruption de la citoyenneté et son affirmation
dans le champ politique et social. C’est pour cela qu’il serait faux de voir dans cette dynamique, qui libère le pays de sa léthargie mortifère et le met en mouvement, un aveuglement idéologique ou une obstination irresponsable.
Voir dans ce gigantesque mouvement
citoyen un «complot» ourdi contre l’Algérie et de ses animateurs des
«agents exécutants» c’est courir le risque de refaire l’histoire avec
ses mêmes erreurs tragiques. L’histoire humaine est trop complexe pour
être réduite à une médiocre opération de manipulation. Dans leurs
marches, les Algériens n’expriment pas seulement un profond malaise ou
un dégoût général, ils formulent un projet, portent une grande
aspiration à l’émancipation. Un désir d’avenir.
HACEN OUALI IN elwatan
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