par Nour-Eddine Boukrouh
Au moment où en Algérie les mass-médias rivalisent d’animation à qui prêter son meilleur
concours au succès de la semaine du livre, notre intérêt personnel pour la question nous a,
dans son vagabondage, fait reprendre en main un ouvrage composé il y a quatre siècles mais
porteur d’un sempiternel sauf conduit qui lui autorisera longtemps encore l’accès au centre de
l’actualité.
‘’Le Prince’’ de Niccolo Machiavel a certainement fait date, mais cet honneur ne le prive pas
de continuer à être de surcroît un livre de chevet. Il ne perdra à notre sens jamais le pouvoir de
fascination qu’il exerce sans choir sur les yeux qui le parcourent ou l’esprit qui le fouille. Cela
tient à une puissance diffuse qui saisit mais ne s’explique pas.
A lui d’ailleurs nous devons la chronique que vous lisez, née à l’instant même où notre
curiosité fut accrochée par cet aphorisme singulier auquel nous allons de ce pas sacrifier
l’auteur, l’oeuvre et la semaine du livre, un aphorisme bien machiavélique en vérité,
présentant le mal comme une nécessité dans la vie trouble des hommes et le recommandant
comme recours légitime à partir du moment où il est pratiqué à grands échelle.
Machiavel l’a prêché pour la chapelle des politiques, sans doute, mais la moralité n’en
demeure pas moins valable pour les plus larges multitudes pourvu qu’elles soient placées dans
la situation de défendre des intérêts particulières : « Un homme qui ne voudrait faire en toute
circonstance que le bien serait anéanti parmi tant de gens qui ne sont pas bon. C’est pourquoi
un prince qui veut se maintenir, doit apprendre également à ne pas agir selon le bien ».
En remplaçant ‘’prince’’ par ‘’homme’’, on parviendra à la conclusion que dans un entourage
où le mal est pratiqué la conduite qui ne se réfère qu’à la droiture, l’honnêteté et la justice,
peut valoir inconvénients et mauvaise fortune à qui les fait siennes.
Si dans un pays, le nôtre par exemple, il se trouve que certains ne reculent pas devant
l’alternative de recourir aux exactions pour parvenir à leurs fins, s’il se trouve que d’autres
desservent les intérêts de la nation par leur attitude, si un responsable dilapide, sabote par son
inconscience, s’il existe des gens qui, pour préserver leurs avantages, vont à contre-courant de
la marche révolutionnaire alors chaque citoyen, chaque témoin, chaque observateur que de
tels agissements révoltent doit, pour ne pas rester en laisse dans une course d’arrivisme, pour
ne pas faire figure de dindon de la farce lorsque toute l’assemblée se régale, pour arracher ne
serait-ce que quelques lambeaux du morceau, se préparer à faire autant à la faveur de
l’occasion qui lui offrira les possibilités et l’aubaine.
Sans quoi, faisant confiance au discernement de Machiavel, il serait anéanti s’il venait à son
chef d’agir pour le bien au milieu de tant de prévaricateurs.
Basant sa réflexion sur une proposition tout à fait logique, une supposition que rend
axiomatique la loi du nombre et le rapport des forces mises en présence (un homme qui ne
voudrait faire que le bien d’une part, une pluralité de mauvaises gens de l’autre), il cherche à
dégager une solution médiane, un compromis entre une fin - maintenir un règne ou préserver
des acquis - et un moyen, l’usage du mal en cas de nécessité.
En quelque sorte, donc, une philosophie de l’action, une technique d'auto-conservation, une
stratégie de la défense de ses biens et privilèges qui, par leur ton incitateur et leur cachet
‘’pragmatique’’, préconisent la systématisation d’une tendance répréhensible, l’érection d’une
défectuosité en modèle inspirateur, l’élévation d’une dégénérescence au rang de voie de salut,
un système D aussi vieux que le monde mais que la morale humaine s’est toujours efforcée de
proscrire.
De cette manière, et à entendre Machiavel, autant choisir entre deux maux le moindre : celui
qui limite les préjudices. Au lieu de claironner au bien parmi tant de sourds, mieux vaut
donner tête basse dans la mêlée des actes indélicats peut-être mais payants.
Mieux vaut inclure dans son arc l’idée du mal (celui-ci pouvant être synonyme de mauvaise
foi, d’égoïsme, d’abus pouvoir, de népotisme, d’inconscience professionnelle, d’absence de
sens civique…) puisqu’il peut laisser entrevoir d’heureuses positions, au lieu de finir écrasé,
piétiné, exploité par ceux que n’étouffent pas les scrupules.
Ainsi naît la volonté de démolir, prend forme la méthode de détruire, se parfait l’art de se tirer
d’affaire lorsque la mode est au ‘’savoir-faire’’ pour réussir socialement ou économiquement.
Et ainsi s’entretient et se développe l’esprit de faillite quand, encouragé par une conception du
monde très ‘’libérale ‘’, appuyé par une argumentation tournée vers le profit personnel et
faussement légitimé par des exemples certes réels et concrets.
Dans l’ordre du normal, dans l’éventail des moyens, le mal s’installe souverainement et se
réclame de l’efficacité. ‘’De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ‘’ dicterat-
il alors.
(« El-Moudjahid » du 1er décembre 1972)
Au moment où en Algérie les mass-médias rivalisent d’animation à qui prêter son meilleur
concours au succès de la semaine du livre, notre intérêt personnel pour la question nous a,
dans son vagabondage, fait reprendre en main un ouvrage composé il y a quatre siècles mais
porteur d’un sempiternel sauf conduit qui lui autorisera longtemps encore l’accès au centre de
l’actualité.
‘’Le Prince’’ de Niccolo Machiavel a certainement fait date, mais cet honneur ne le prive pas
de continuer à être de surcroît un livre de chevet. Il ne perdra à notre sens jamais le pouvoir de
fascination qu’il exerce sans choir sur les yeux qui le parcourent ou l’esprit qui le fouille. Cela
tient à une puissance diffuse qui saisit mais ne s’explique pas.
A lui d’ailleurs nous devons la chronique que vous lisez, née à l’instant même où notre
curiosité fut accrochée par cet aphorisme singulier auquel nous allons de ce pas sacrifier
l’auteur, l’oeuvre et la semaine du livre, un aphorisme bien machiavélique en vérité,
présentant le mal comme une nécessité dans la vie trouble des hommes et le recommandant
comme recours légitime à partir du moment où il est pratiqué à grands échelle.
Machiavel l’a prêché pour la chapelle des politiques, sans doute, mais la moralité n’en
demeure pas moins valable pour les plus larges multitudes pourvu qu’elles soient placées dans
la situation de défendre des intérêts particulières : « Un homme qui ne voudrait faire en toute
circonstance que le bien serait anéanti parmi tant de gens qui ne sont pas bon. C’est pourquoi
un prince qui veut se maintenir, doit apprendre également à ne pas agir selon le bien ».
En remplaçant ‘’prince’’ par ‘’homme’’, on parviendra à la conclusion que dans un entourage
où le mal est pratiqué la conduite qui ne se réfère qu’à la droiture, l’honnêteté et la justice,
peut valoir inconvénients et mauvaise fortune à qui les fait siennes.
Si dans un pays, le nôtre par exemple, il se trouve que certains ne reculent pas devant
l’alternative de recourir aux exactions pour parvenir à leurs fins, s’il se trouve que d’autres
desservent les intérêts de la nation par leur attitude, si un responsable dilapide, sabote par son
inconscience, s’il existe des gens qui, pour préserver leurs avantages, vont à contre-courant de
la marche révolutionnaire alors chaque citoyen, chaque témoin, chaque observateur que de
tels agissements révoltent doit, pour ne pas rester en laisse dans une course d’arrivisme, pour
ne pas faire figure de dindon de la farce lorsque toute l’assemblée se régale, pour arracher ne
serait-ce que quelques lambeaux du morceau, se préparer à faire autant à la faveur de
l’occasion qui lui offrira les possibilités et l’aubaine.
Sans quoi, faisant confiance au discernement de Machiavel, il serait anéanti s’il venait à son
chef d’agir pour le bien au milieu de tant de prévaricateurs.
Basant sa réflexion sur une proposition tout à fait logique, une supposition que rend
axiomatique la loi du nombre et le rapport des forces mises en présence (un homme qui ne
voudrait faire que le bien d’une part, une pluralité de mauvaises gens de l’autre), il cherche à
dégager une solution médiane, un compromis entre une fin - maintenir un règne ou préserver
des acquis - et un moyen, l’usage du mal en cas de nécessité.
En quelque sorte, donc, une philosophie de l’action, une technique d'auto-conservation, une
stratégie de la défense de ses biens et privilèges qui, par leur ton incitateur et leur cachet
‘’pragmatique’’, préconisent la systématisation d’une tendance répréhensible, l’érection d’une
défectuosité en modèle inspirateur, l’élévation d’une dégénérescence au rang de voie de salut,
un système D aussi vieux que le monde mais que la morale humaine s’est toujours efforcée de
proscrire.
De cette manière, et à entendre Machiavel, autant choisir entre deux maux le moindre : celui
qui limite les préjudices. Au lieu de claironner au bien parmi tant de sourds, mieux vaut
donner tête basse dans la mêlée des actes indélicats peut-être mais payants.
Mieux vaut inclure dans son arc l’idée du mal (celui-ci pouvant être synonyme de mauvaise
foi, d’égoïsme, d’abus pouvoir, de népotisme, d’inconscience professionnelle, d’absence de
sens civique…) puisqu’il peut laisser entrevoir d’heureuses positions, au lieu de finir écrasé,
piétiné, exploité par ceux que n’étouffent pas les scrupules.
Ainsi naît la volonté de démolir, prend forme la méthode de détruire, se parfait l’art de se tirer
d’affaire lorsque la mode est au ‘’savoir-faire’’ pour réussir socialement ou économiquement.
Et ainsi s’entretient et se développe l’esprit de faillite quand, encouragé par une conception du
monde très ‘’libérale ‘’, appuyé par une argumentation tournée vers le profit personnel et
faussement légitimé par des exemples certes réels et concrets.
Dans l’ordre du normal, dans l’éventail des moyens, le mal s’installe souverainement et se
réclame de l’efficacité. ‘’De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ‘’ dicterat-
il alors.
(« El-Moudjahid » du 1er décembre 1972)
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