L’Histoire de l’Algérie apprise à l’école représente une source d’inquiétude pour des étudiants qu’ElWatan.com a rencontré. Elle est tellement « ennuyeuse », « figée » et surtout « tronquée» tranchent-ils.
Etudiante en biologie, Baya, 19 ans, nous cite Moufdi
Zakaria, Larbi Ben M’hidi et Jugurtha comme personnages historiques qu’elle
« connaît ». Quand nous lui demandons si vraiment, elle connaît leurs
histoires, elle nous répond par un « non » avec un sourire
timide. « Par contre, leurs portraits sont sculptés dans ma
mémoire. » ajoute-elle comme pour justifier son ignorance. « Toujours
les mêmes portraits d’ailleurs qui reviennent dans les livres scolaires »
ajoute sa copine Sara qui nous dit que même « les profs nous conseillent
d’étudier l’Histoire pour juste bien se préparer aux examens ».
« Je me sens bornée à cause de l’Histoire
enseignée » :
Pour Kelthoum, âgée de 22 ans, étudiante en lettres arabes,
l’Histoire apprise à l’école n’est pas seulement source d’inquiétude, elle est
aussi source d’une douloureuse et incessante remise en question. Elle nous cite
comme désaxée : « nous commençons par les Ottomans, nous traitons des
Abbassides… l’Histoire de la guerre de libération nationale, elle, est classée
en dernier ». Pour la jeune femme, l’Histoire scolaire enferme les esprits des
Algériens, au point des les rendre bornés. « Moi-même, je me sens bornée,... »
nous dit-elle non sans une certaine amertume. Pour elle, même si on
traite de la guerre de libération nationale, « on reste toujours dans des
choses superficielles, sans approfondir dans la réalité de l’époque ».
Dib, 19 ans étudiant en maths et informatique ne
s’intéressait et ne s’intéresse nullement à l’Histoire. Le jeune homme tente de
se montrer aguerri face à toutes ces versions contradictoires
ingérées à l’école comme dans la rue et ne se sent pas particulièrement touché
par les oublis qu’accuse notre mémoire collective. « À quoi bon s’y intéressé à
partir du moment où la version scolaire est en parfaite contradiction avec les
versions de la rue » justifie-t-il. Dib nous dit que le « parcoeursime » dans
l’école algérienne a tué l’Histoire ou plus exactement « a tué notre
intérêt à l’Histoire ». Du coup, le jeune homme conclut par ceci comme pour
être en accord avec tous les autres étudiants que nous avons interrogés, à
savoir : à l’école il étudiait l’Histoire pour avoir la note nécessaire pour
passer les années.
Une Histoire oubliée mène à une quête de soi
inachevée :
Hassan Rémaoun,chercheur au Centre de recherches
anthropologiques, sociales et Culturelles (CRASC) de l'Université d'Oran
parlait d’une approche mythique de l’Histoire à l’école dans une contribution datant de 1994 et dans laquelle, il mettait déjà en garde contre les
ravages d’un tel enseignement. Dans la contribution, le chercheur tout en se
référant à la thèse de l’historien Mohamed Harbi, cite trois sortes de mythes
dans l’enseignement de l’Histoire : le mythe d’un peuple homogène, le
mythe d’une révolution "faite par la paysannerie" et le mythe de la
"table rase" c'est-à-dire la négation de tout ce qui avant 1954
avait constitué l'apport du mouvement national.
Plus de vingt ans après cette collaboration, les dégâts sont
là sur l’être algérien. Selon le diagnostic de Rabeh Sebaa, anthropologue qui a
bien voulu répondre aux questions d’ElWatan.com, la personnalité de
l’Algérien est aujourd’hui gravement affectée par l’amnésie et l’occultation,
il parle de « dégâts » d’ordre « tridimensionnel » :
1. Le crétinisme
officiel a produit une vision syncrétique fondée sur l’incertitude des
origines. Les spéculations et les polémiques se sustentent constamment de ces
incertitudes.
2. Les fondements de
l’être algérien ne sont pas clairement circonscrits. Et les sources mal
définies.
3. Une identité mal
assumée se traduisant par un mal être persistant et une quête de soi inachevée.
D'ailleurs cette quête de soi inachevée dont parle notre
spécialiste, nous l’avons détectée dans toutes les réponses de nos
étudiants.Comme chez Leïla d’ailleurs, qui elle a beau faire une immersion dans
l’Histoire de son pays à l’université d’Alger où elle est étudiante, elle
semble comme « non concernée » par les cours qu’elle apprend à la
fac. Nous l’avons rencontrée en pleine période d'examen. Pour commencer, elle
nous assure qu’elle n’est pas très passionnée par sa spécialité. « Il y a
beaucoup trop de modules et puis beaucoup trop d’appellations qui
m’échappent » nous dit-elle d’un air agacé. Elle nous confie que le
parcoeurisme a eu raison de son plaisir d’apprendre l’Histoire. Elle avoue,
qu'au lycée et avant, elle n’a pas appris grand-chose sur les ères qu’elle est
aujourd’hui en train d’étudier.
Sans aucune préparation à l’école, la jeune femme
étudie aujourd’hui les royaumes numides de Massinissa, Syphax, Jugurtha…,
des royaumes étudiés dans toute la banalité de leur quotidien n’inspire pas
tellement la jeune femme. Leïla tient entre les mains, des photocopies des
cours de sa copine, écrits tous en arabe, sur lesquelles, on peut lire le mode
de vie, le mode vestimentaire, l’alimentation de ces époques numides…
Tous ces étudiants que nous avons rencontrés ruminent le
dégout que leur inspire la version scolaire de l’Histoire. Aucun d’eux n’a
manifesté le désir d’aller fouiner dans le passé. Pour le moment, disent-ils,
ils se concentrent uniquement sur leurs études et faute de temps, impossible
pour eux de lire quoique ce soit.
Même sur les forums de discussions, on semble déboussolés
face à notre passé. La quête de soi bloque sur des questions basiques, comme
les vraies origines de l’Algérie ou autre, l’un se dit être fier d’être
Amazigh, un autre réplique pour lui dire « j’adore mes origines
arabes », ou par exemple si les Turcs étaient colonisateurs venus
pour détruire l’Algérie, ou encore même les Turcs comme les Français doivent
demander pardon à l’Algérie pour les atrocités commises…
Dans ce qui suit justement quelques titres de pages de forum
qu’on nous propose le moteur de recherche de google lorsque nous avons tapé comme recherche les mots clés
suivants : Histoire de l'Algérie forum ancêtres. Ce sont des titres
révélateurs de cette obsession de puzzle non encore agencé :
Algériens.... sommes nous des arabes ?
Les turcs!
Origines des noms de famille en Algérie
Mes Ancêtres Sont Les Numides
Le plus grand mensonge de l'histoire de l'Algérie
L'Algérie des origines : De la préhistoire à l'avènement de
l’Islam
Les Juba, Koceyla… dorment dans l’oubli
Rabeh Sebaa, anthropologue, nous répond par ceci quand nous
lui parlons du désintérêt des jeunes à l’Histoire de leur pays : « pour
les générations post indépendance l’Histoire de l’Algérie commençait en 1954.
Même les manuels scolaires faisaient la passe sur toutes les périodes
précédentes. Ce n’est que récemment que l’on parle allusivement de Numidie. Et
de Massinissa et Jugurtha… du bout des lèvres. Quant à la civilisation punique,
les phéniciens, les influences grecques, Rome, les Juba, la domination des
Vandales et des Byzantins jusqu’à la conquête musulmane et les résistances
amazighes, Kossayla, Kahina on n’en parle toujours pas ou parfois en quelques
lignes ».
« L’Histoire, prisonnière de l’école… »
Nous avons également rencontré Amina, 20 ans, étudiante en
lettres arabes qui se montre étonnée de notre question qu’elle n’a jamais osé
se poser d’ailleurs. Elle la trouve « hautement préoccupante et lourde à
porter». De toute façon la jeune femme, tout habillé en noir, la tête également
couverte d’un voile noir, partage l’avis de Kelthoum, et précise qu'à l’école «
ils nous apprennent ce qu’ils veulent et il y a des choses qu’ils ne veulent
pas que nous sachions ».
Pour Rabeh Sebaa, c’est indéniable : « avec les
moyens qui existent présentement, les Algériens ont compris que leur Histoire a
été longtemps occultée et amplement amputée ». Et c’est ainsi selon lui
qu’ « ils ont très vite tourné le dos à l’histoire officielle longtemps
réduite à un chapelet n’anecdotes sur la guerre de libération intégrant l’Emir
Abdelkader comme fondateur de l’Etat algérien et figure emblématique de toute
l’histoire de la résistance algérienne ».
Notre spécialiste conclut par ceci :« la majorité
de la population se sent à la fois flouée et frustrée. Ce sentiment trouve à se
lire dans le désir effréné de la plupart des Algériens à quitter leur pays.
C’est là le « dégât » majeur car il dénote une lassitude généralisée
face à une mémoire officielle figée, une absence de confiance considérable dans
les institutions algériennes et une déliquescence étendue du lien
national », poursuit notre interlocuteur.
Qui trop embrasse mal étreint...
Notre mémoire accuse donc beaucoup de vides, difficiles à
rattraper ; et en l’absence d’une réelle volonté politique, c’est encore
plus compliqué de se retrouver face à son passé. L’Histoire que rapportent les
manuels scolaires, toutes ces histoires que nous racontent le cinéma, la
littérature, la poésie, le théâtre…n’apportent pas grand-chose à notre mémoire.
L’amnésie s’est donc emparée de nous. Jusque là aucun domaine de l’art n’a
vraiment joué son rôle pour nous faire sortir de la torpeur des discours
officiels sur l’Histoire. Et il n’existe pas de volonté politique pour
permettre aux différents acteurs de la société de démêler le vrai du faux afin
de permettre enfin aux Algériens de renouer avec leurs origines ou du moins les
connaitre.
Dans les librairies, on peut toujours tomber sur de nouveaux
titres qui nous racontent l’Histoire de l’Algérie de A à Z, mais ce sont des
livres d’auteurs non spécialistes. Ces livres là tentent de restituer notre
passé mais sans jamais réussir. Du coup, cette perpétuelle frustration face à
notre passé demeure intacte. Et il manquera toujours des cases au puzzle de
notre Histoire…malgré l’existence de beaucoup d’ouvrages anciens qui
relate notre passé. Tout le problème est dans l’absence d’un nouveau regard
frais et novateur sur ce même passé.
Hamida Mechaï in elwatan
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