Les
mesures prises pour réduire les importations ont commencé par la
réduction du contingent des véhicules avec tout l’impact attendu dans ce
secteur. Quels sont les autres secteurs qui risquent de voir leur
activité baisser avec l’obligation des licences d’importation ?
En
effet, comme vous l’avez souligné, le ministère du Commerce a annoncé cette
semaine de nouvelles mesures relatives à l’importation de véhicules : le
contingent quantitatif d’importation de véhicules neufs a été plafonné à 83 000
unités pour cette année et ne devrait pas dépasser un milliard de dollars,
contre 3,14 milliards en 2015 et 5,7 milliards en 2014.
Il
faut dire que ce dispositif s’inscrit dans le cadre du plan gouvernemental dit
anti-crise axé essentiellement sur la réduction de la facture des importations
et de la protection des réserves de change devenues rares et à ne
dépenser qu’en cas d’une nécessité avérée.
A
vrai dire, le pays n’a de choix, avec la baisse de 50% de ses recettes
extérieures depuis juin 2014, que de mettre en place, dans un premier temps,
des dispositifs de régulation des importations qui ont atteint l’an passé plus
de 65 milliards de dollars, et tenter, dans un second temps, de relancer la
machine économique avec l’investissement productif national et étranger, pour
espérer ensuite pouvoir exporter à moyen et long termes. Face à la baisse
continue des cours du pétrole, le pays est donc contraint de réduire le volume
de ses importations, faute de quoi, ça sera la panne sèche !
Cependant,
si le dispositif des licences d’importation des véhicules neufs (touristiques
et ceux du transport de personnes et de marchandises) est nécessaire, il aura
certainement des répercussions économiques sur le secteur de lautomobile et ses
sous-traitants (diminution de revenus et plans de restructuration).
La
baisse du chiffre d’affaires des concessionnaires affecterait directement
l’activité des entreprises qui les sous-traitent, à commencer par les agents
d’entretien et de révision, les fournisseurs de la pièce de rechange, les
agences de communication qui assurent la promotion des marques d’automobile, la
presse en général, les magazines et supports médiatiques spécialisés dans ce
secteur, les entreprises de gardiennage et de nettoyage…
Le ministre des Finances a rassuré sur le maintien de tous les projets à caractère productif ou d’ordre infrastructurel susceptibles de soutenir la croissance. Pensez-vous que c’est faisable avec la dégradation des agrégats financiers ?
La
question du maintien, par le gouvernement, de tous les projets à caractère
productif ou d’ordre infrastructurel, ne peut être traitée dans l’absolu. La
question-clé, ici, est de déterminer les priorités.
Autrement
dit, il faut être pragmatique sur ce dossier et examiner au cas par cas les
projets à maintenir, car le pays ne peut pas, et n’a plus les moyens, pour
maintenir l’ensemble des dépenses et projets avec la détérioration de la
situation budgétaire et la baisse continue des revenus extérieurs.
Car
cela augmenterait les dépenses publiques (qui ont déjà augmenté à près de 2040
milliards de dinars sur les 2 premiers mois de 2016), aggraverait donc
davantage le déficit budgétaire, mais surtout le coût d’opportunité de ce choix
(maintien de tous les projets) risquerait d’être très élevé (tous les projets
productifs auxquels il faudrait renoncer, faute de ressources). Le tri des
projets à favoriser s’impose donc, d’autant plus, on sait bien que les
investissements publics sont le plus souvent des infrastructures de base qui ne
produiront pas de plus-value dans l’immédiat.
Dans
ce sens, il serait plus judicieux de ne maintenir, pour le moment, que les
investissements productifs susceptibles de produire des richesses à court et
moyen termes, et penser de ce fait à élaborer un plan de désengagement de
l’investissement public, ou du moins à différer dans le temps certaines
réalisations.
Par
chance, le pays dispose encore d’une marge de manœuvre (pas pour longtemps !) :
ses ressources financières se situent à près de 150 milliards de dollars. Mais
il faut prendre conscience que le mal et les carences structurelles ne se
limitent pas à la sphère financière comme le laissent entendre certains débats
de politiques économiques qui occupent les colonnes de nos médias. Il est donc
primordial que le débat national sur les capacités réelles, les réformes à
mener et les conditions nécessaires pour produire localement, ne devrait pas
être biaisé par l’urgence financière et le court-termisme.
Une
commission spécialisée a été mise sur place pour faire le tri et décider des
projets à favoriser par rapport à d’autres. Justement, quels sont les secteurs
à prioriser ?
C’est
une bonne initiative, car il faut donner à la politique économique une base
scientifique. Une commission nationale (équipe de haut niveau) dont la mission
principale serait de déterminer une politique exceptionnelle d’investissements
(une stratégie sectorielle) en fonction de la situation économique et
financière du pays et des spécificités locales et régionales.
Cela
nécessiterait, légitimement, un contrôle démocratique. Propositions : doublons
par exemple les partenariats public-privé, augmentons la disponibilité du
foncier industriel par la création de nouvelles zones industrielles. Ces
dernières, comme nous l’enseigne l’expérience chinoise, permettront d’augmenter
massivement et rapidement le nombre d’investissements nationaux et étrangers.
Au
sens strict, l’Algérie souffre d’une crise de structure de l’économie et de
modèle de croissance (rentier), c’est-à-dire d’une crise de l’offre, de
production, qui nécessite donc des réponses structurelles articulées dans une
stratégie globale de développement. L’impératif, aujourd’hui, est de modifier
en profondeur la structure de l’économie nationale : repenser le mode de
production et de consommation des Algériens, de façon à favoriser la production
nationale et locale.
Sur
ce point, il faut dire que le pays manque cruellement d’entreprises (publiques
et privées) et particulièrement de PME et ETI productrices de richesses et
créatrices d’emploi. Le Maroc, par exemple, a pratiquement deux fois plus
d’entreprises que nous ! Il faut donc doter, urgemment, l’économie nationale
d’un appareil productif et aussi d’une gestion efficace.
Le
pays peut encore s’en sortir, il a encore assez de ressources financières et
présente surtout d’importantes opportunités d’investissement, particulièrement
dans les secteurs dont il bénéficie des avantages comparatifs, on peut citer :
les secteurs de l’industrie légère, l’industrie pharmaceutique,
l’agroalimentaire, l’agriculture, les services, les énergies renouvelables
(solaire en particulier)… La construction d’une économie moderne et diversifiée
suppose naturellement l’existence d’une véritable volonté politique,
l’assainissement du climat des affaires par la libération de l’acte
d’entreprendre, la décentralisation et la simplification massive des décisions
administratives, la modernisation du système financier, en particulier
bancaire…
Quelles sont dans ce cas les ressources alternatives aux recettes pétrolières ?
Quelles sont dans ce cas les ressources alternatives aux recettes pétrolières ?
La
crise qui frappe le pays s’est en effet aggravée et les prochains mois seront
cruciaux pour le pays. La longue période d’embellie financière a cédé la place
au temps des incertitudes ! Les ressources financières du pays ont
considérablement diminué et n’ont malheureusement pas servi à l’émergence d’un secteur
productif national. Notre pays peut encore s’en sortir, à condition d’agir
maintenant et de mettre en œuvre une série de réformes structurelles.
Comme
je l’ai déjà noté, avant tout, il s’agit de question de la volonté politique,
car comme dans toute politique d’austérité, il faut prendre des mesures
difficiles et impopulaires, à commencer par une révision en profondeur des
mécanismes de transferts sociaux et de subventions. Mais avant cela, il
faudrait d’abord agir sur les dépenses de fonctionnement.
Aussi,
il faut que l’Etat investisse lui-même grâce à un budget propre et à une
politique exceptionnelle d’investissement (une sorte de plan Marshall).
Ce
budget exceptionnel impliquerait lever davantage d’impôts, émettre des dettes
ciblées. Le recours à la création de la liquidité interne (des emprunts
nationaux) pour financer des projets d’investissements productifs définis par
avance pourrait susciter davantage d’intérêts chez les éventuels souscripteurs
locaux. Cependant, le recours à l’emprunt national ne veut pas dire faire
abstraction de l’endettement extérieur à moyen et long termes.
D’ailleurs
en économie, l’endettement en tant que tel n’est pas vraiment problématique. La
question-clé est plutôt de savoir ce qu’on va faire avec les sommes empruntées.
Si
emprunt extérieur il y a, il faut impérativement l’orienter vers la
construction d’entités productrices et des projets porteurs discutés
démocratiquement. Ainsi les investissements requis pourront servir à amorcer la
dynamique des investissements privés : une fois le secteur public est réactivé
et des politiques sectorielles ciblées définies, l’investissement privé ne peut
que suivre et sous-traiter la demande de celui-ci. De nouvelles entreprises
(PME) pourraient ainsi émerger du commerce entre les deux secteurs
complémentaires public/privé.
Outre
le recours à l’emprunt interne et à l’endettement extérieur, le lancement d’une
nouvelle monnaie nationale pourrait constituer une des dernières solutions
possibles pour tenter de bancariser l’argent de l’informel.
Mais
pour le moment, il me semble peu probable que le gouvernement opterait pour
cette option de changement de monnaie qui nécessiterait d’ailleurs du temps.
Alors que la crise est là, peut-être pour longtemps, et qu’on sait que les
prochains mois, comme je l’ai souligné précédemment, vont être cruciaux pour le
pays. Il faut donc agir maintenant.
Samira Imadalou in elwatan
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