L’historique des mandats présidentiels successifs de l’indépendance à nos jours nous renvoie à une statistique surprenante, rare, sans doute, dans les annales mondiales. Bouteflika «démissionné» sans avoir mené à terme son 4e mandat confirme une règle entrée désormais dans les mœurs politiques algériennes.
Depuis 1962, les différents présidents de la République algérienne n’ont jamais mené à terme leur mandat, même si leur règne a été marqué par une relative longévité. Ahmed Ben Bella, ramené dans les bagages du clan (militarisé d’Oujda avec à leur tête Houari Boumediène) en 1962, a été élu au suffrage universel en 1963 premier président de la République algérienne naissante. En 1965, le même Boumediène, alors ministre de la Défense de Ben Bella, fomente et réussit un coup d’Etat militaire.
La Constitution est suspendue et un Conseil de la Révolution est créé. Ce dernier nomme le colonel Houari Boumediène à sa tête, qui régnera sur le pays jusqu’en 1977, date à laquelle est organisée une élection présidentielle qui consacre le candidat unique avec… 99,38% des suffrages exprimés. Boumediène ne jouira pas longtemps de son mandat électif, puisqu’il décédera un an plus tard, le 27 décembre 1978 des suites d’une brève maladie. Les clans n’arrivent pas à se décider sur son successeur. L’armée impose finalement un des siens qui ne nourrissait aucune ambition présidentielle : Chadli Bendjedid. Il sera élu en février 1979 à la magistrature suprême et sera reconduit à cette fonction deux fois (janvier 1984 et décembre 1988 avec 93,26% des voix).
Père de «l’initiative démocratique» par l’amendement de la Constitution menant au multipartisme, Chadli Bendjedid sera mis en difficulté par le raz-de-marée du Front islamique du salut (FIS), lors du premier tour des élections législatives que cedernier remporte largement. Face à la levée de boucliers de la société civile et de certains militaires, Chadli refuse d’annuler cette consultation électorale. Il est poussé vers la sortie par un groupe de généraux le 11 janvier 1992.
Le lendemain, et devant le vide institutionnel et ce cas non prévu par la Constitution, le Haut conseil de sécurité annule les élections législatives. Avec l’intermède extraconstitutionnel du Haut Comité d’Etat (HCE), une autorité politique provisoire chargée de la gestion de l’Etat, Boudiaf est appelé à la rescousse le 16 janvier 1992 pour présider à la destinée de l’Algérie dans les circonstances difficiles que tout le monde connaît. Mohamed Boudiaf ne tiendra que quelques mois, puisqu’il est assassiné le 29 juin de la même année. Il sera remplacé au pied levé le 2 juillet 1992 par Ali Kafi. Le 30 janvier 1994, le HCE est dissous.
Liamine Zeroual est paré du statut de chef d’Etat jusqu’à son élection en tant que président de la République en 1995 (61,3% des voix). En butte à des divergences au sommet de l’Etat et des tensions avec la hiérarchie militaire, il annoncera, dans un discours à la nation, le 11 septembre 1998, l’organisation d’une élection présidentielle anticipée pour 1999 (normalement prévue pour novembre 2000), ce qui constituera quasiment une démission. Le mandat écourté de Liamine Zeroual ouvre la voie à l’investiture de Abdelaziz Bouteflika le 27 avril 1999, mis en selle par Larbi Belkheir, le chef du DRS, le général Mediène (dit Toufik) et… Fatiha Boudiaf, la veuve du défunt président du HCE assassiné à Annaba en 1992.
Les cercles militaires, particulièrement l’état-major de l’ANP, se rallieront à cette désignation. 20 ans après, le président Bouteflika, aphone et à la mobilité extrêmement réduite, écourtera son mandat sur une quasi-injonction du pouvoir militaire.
Les relations compliquées entretenues par les différents Exécutifs avec les pouvoirs militaires successifs en Algérie naissent souvent d’une certaine idée assez caporalisée, imposée aux politiques par la hiérarchie supérieure de l’armée, encore que trois des six présidents élus au suffrage universel sont des officiers supérieurs de carrière (Boumediène, Chadli, Zeroual).
A travers la jeune histoire de l’Algérie indépendante, l’observateur trouvera toujours une prédominance de la tenue kaki sur les désignations ou le gommage des présidents algériens, ce qui est une sorte de malédiction frappant le paysage politique national. Même au cours de la Guerre de Libération, des officiers et des personnalités issus du processus d’indépendance imposaient le choix des membres du gouvernement provisoire.
Ferhat Abbas et Benyoucef Benkhedda, les présidents du GPRA, ont également subi des interférences drastiques dans leur champ de compétence, jusqu’à réduire leur autorité et les faire évacuer par la petite porte. Le principe cher à Abane Ramdane, qui appelait à consacrer «la primauté du civil sur le militaire» (inscrite dans la Plateforme de la Soummam ), battu en brèche aux aurores de l’indépendance à nos jours, sera-t-il consacré par le peuple en ce printemps de 2019. C’est le rêve de tous les Algériens d’ici et d’ailleurs.
OMAR KHAROUM
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