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epuis les
années cinquante, les théoriciens de l’économie du développement essayaient de
définir un modèle qui favorisera un décollage économique et assurera une
croissance continue à moyen et long termes. Ils ont voulu circonscrire les
facteurs aptes à déclencher le processus de développement, identifier et
expliquer les causes qui ont fait échouer beaucoup d’approches et tentatives de
développement. Ces recherches et expériences n’ont pas pu définir un modèle
type de développement valable pour toutes les économies, une « recette »
applicable à tous.
En général,
trois types de modèles ont été appliqués. L’approche retenue par certains pays
d’Amérique latine, qui visent à développer une économie permettant la réduction
des importations, « modèle de l’industrialisation par la substitution des importations
». Ce modèle a montré ses limites et il n’a pas conduit au développement.
Le deuxième
modèle, appliqué par les pays de l’ancien bloc communiste, donnant la priorité
à l’industrialisation, notamment l’industrie lourde pour atteindre plus
rapidement un stade de développement acceptable. Ce modèle basé sur un
centralisme excessif, une implication totale et exclusive de l’Etat et une
bureaucratie généralisée, est devenu coûteux, non rentable et très peu
efficace. L’Algérie avait opté pour un modèle qualifié « d’industrie
industrialisante» qui a absorbé des fonds colossaux, sans réussir à propulser
l’économie algérienne sur une trajectoire menant au développement.
Par contre,
17 pays ont connu une croissance soutenue sur plusieurs années (Malaisie,
sultanat d’Oman, Indonésie, Chine, Brésil, Botswana, Taïwan…) une croissance
élevée et ininterrompue de 7% sur plusieurs années.
Comment ces
pays ont pu réaliser cette performance ? Quels sont les enseignements à tirer
de ces expériences ? Peut-on définir un cadre de référence pour les autres pays
qui aspirent à un développement durable et équitable ?
Les
spécialistes du développement nous indiquent qu’en matière de développement, il
n’y a pas de miracle économique. Il y a une démarche, souvent pragmatique, des
conditions préalables liées à la gouvernance et aux choix économiques. Le
dynamisme de ces pays a été possible « grâce à un contexte politique et social
propice, à une gouvernance appropriée, aux choix économiques judicieux et à un
pragmatisme méthodique ». Les résultats de ces pays sont évidents, intéressants
et vérifiables. Ces performances sont donc l’aboutissement d’une politique et
non le produit d’un hasard ou d’un miracle.
A titre
d’exemple, le Botswana a multiplié son revenu par habitant par plus de 18 fois
entre 1960 et 2005, Taïwan par 11 entre 1965 et 2002, la Corée du Sud par 12,
et Oman par 10 durant la même période.
Les facteurs
qui ont contribué à la réussite de cette démarche sont liés plus particulièrement
à la qualité de la gouvernance et des institutions, à l’engagement politique et
la présence agissante et efficiente de l’Etat, à la modernisation du secteur
public et à la qualité de la réglementation… Ces conditions sont accompagnées
par une politique économique qui veille aux grands équilibres, notamment une
inflation assez faible, une gestion efficace des fonds publics pour développer
les infrastructures de base, des secteurs de la santé et de l’éducation de
qualité, des investissements publics et privés orientés vers le secteur
productif, une épargne conséquente.
L’Algérie
n’arrive pas à décoller économiquement. Les politiques suivies jusqu’à présent
ignoraient ces principes et facteurs de base qui ont donné des résultats dans
plusieurs pays.
Quel modèle
suivre ? Quel type de réformes faut-il faire pour propulser l’économie
algérienne au niveau d’une économie émergente ?
Pour bien
définir ce que l’on qualifie d’économie émergente, il est nécessaire de se
référer aux travaux des institutions internationales (Banque mondiale, FMI
notamment) et de quelques économistes. En effet, des paramètres et indicateurs
sont sélectionnés pour pouvoir identifier une économie émergente. Ces critères
concernent la qualité de la gouvernance du pays et de son économie, les
résultats des réformes structurelles opérées, l’évolution des indicateurs
économiques tels que l’évolution du PIB, un taux de croissance élevé et
continu, le revenu par tête, le degré d’intégration dans le commerce
international et aux marchés financiers, l’attractivité aux IDE.
Moubarack Lô nous offre une définition
d’une économie émergente assez complète et précise : « Un pays en développement qui constitue un pôle d’attraction des
investissements (nationaux et étrangers) qui diversifie et accélère durablement
et harmonieusement sa croissance économique et qui intègre avec succès
l’économie mondiale, grâce à sa capacité d’exportation est dit ‘‘émergent’’ ».
La Banque
mondiale a tenté de définir un pays émergent par le PIB/tête. Elle estime que
le PIB/tête d’un pays développé est supérieur à 10 066 dollars (2005) et que
par conséquent un pays émerge dont le niveau est juste au-dessous du niveau
d’un pays développé devrait être compris entre 8625 et 10 066 dollars.
Pour
atteindre ce niveau de performances, des réformes structurelles sont
incontournables. Des objectifs sont retenus, qui permettent de confirmer
l’évolution d’un pays vers l’émergence économique, notamment : un taux de
croissance moyen supérieur à 7% et continu, l’intégration de l’économie dans le
commerce international, une part du pays dans le PIB mondial supérieure à 1%,
la part des exportations des produits manufacturés dans le marché mondial
importante et en évolution continue. D’autres institutions retiennent le
critère « revenu par tête » et situent le niveau d’un pays émergent juste
au-dessous du revenu par tête des pays de l’OCDE.
Les pays
émergents sont « les pays développés de demain ». Ils sont les nouveaux pays
industrialisés dont les résultats convergent assez rapidement vers ceux des
pays développés et les dépassent dans certains domaines. Mais globalement, ils
n’ont pas réalisé la totalité des caractéristiques d’un pays développé.
Nous constatons, malheureusement, que l’économie algérienne est très loin de ces performances. L’économie algérienne se caractérise par une instabilité dans les choix politiques et économiques (montage de véhicules, importation de véhicules de moins de trois ans, confirme malheureusement ce constat). En général, les détenteurs de capitaux, les investisseurs et les entreprises évitent un environnement hésitant, incertain et contradictoire.
Des réformes
structurelles s’imposent pour conduire l’économie algérienne vers l’émergence.
Le but fondamental des réformes structurelles est de modifier en profondeur les
structures et institutions de l’économie et de favoriser l’émergence de
nouveaux comportements économiques
Visant la
performance et un degré élevé de compétitivité et d’attractivité.
Les
professeurs Levy et Spiller retiennent trois conditions pour atteindre les
objectifs recherchés par une réforme :
a)- la
faisabilité (qualité des institutions et leur efficacité) ;
b)- la
crédibilité (protection des réformes, indépendance de la justice…) ;
c)-
l’acceptabilité (équilibre entre gagnants et perdants).
Le prix
Nobel d’économie Rostow estime qui pour réussir une réforme, il faudrait
identifier les « facteurs qui seront
capables d’exercer une action déterminante sur la transformation de l’économie
». Une réforme doit être crédible. C’est-à-dire que l’Etat et ses
institutions s’engagent à réunir toutes les conditions de réussite et de ne pas
changer de politique en cours de route. L’Algérie cumule beaucoup d’obstacles
qui l’empêchent d’accéder au niveau d’un pays émergent : la mauvaise qualité de
la gouvernance, une économie de rente, les effets du syndrome hollandais, la
prépondérance du secteur informel dans l’économie, l’inefficacité du secteur
public, l’absence d’innovation, l’absence de relation université-entreprise, le
manque de qualification…
L’Algérie
doit agir, au moins, sur cinq facteurs que nous considérons comme des facteurs
fondamentaux qui peuvent entraîner tous les autres aspects de l’économie vers
la performance : la qualité de la gouvernance, la modernisation du secteur
public et la simplification de la réglementation, le choix d’un modèle
économique, le climat des affaires, la lutte contre la corruption.
En ce qui
concerne les conditions qui déterminent la bonne gouvernance, D. Kaufman et
Aart Kaay (Banque mondiale) estiment que trois éléments fondamentaux sont à
réaliser : un service public efficace, un système juridique fiable, une
administration redevable envers ses usagers. Ce sont des conditions à respecter
pour pouvoir développer le pays. Le choix d’un modèle économique qui s’appuie
sur un climat des affaires assaini, sur la PME comme le principal moteur de la
croissance, les pôles de compétitivité, la libération des initiatives et
l’innovation en valorisant la recherche appliquée et la relation
université-entreprise. La création de pôles de compétitivité favorise la
performance, l’innovation et l’attractivité. Nous reprenons, ici, une
définition du pôle de compétitivité qui nous semble assez complète et précise
retenue par le CIADT. « Un pôle de compétitivité est une combinaison, sur un
espace géographique donné, d’entreprises, de centres de formation et d’unités
de recherche publiques ou privées engagés dans une synergie autour de projets
communs au caractère innovant. Ce partenariat s’organise autour d’un marché et
d’un domaine technologique et scientifique pour atteindre une compétitivité et
une visibilité internationale ». La modernisation du secteur public est une
nécessité si on veut réussir les réformes et bien appliquer le modèle
économique choisi. Les pays développés accordent une importance capitale et
continue à l’amélioration des services publics. Ils sont convaincus que
l’efficacité de ces services contribue fondamentalement à la réussite des
politiques, des réformes économiques et du bien-être du citoyen.
En outre, la
réglementation est perçue comme un outil au service du développement et de la
croissance. Elle doit être donc efficace, souple, simple et dont l’application
est peu coûteuse.
Le dernier
axe qui mérite d’être inscrit comme priorité concerne la lutte contre la
corruption. Le professeur V. Tanzi retient comme causes principales de la
corruption : un système de dépenses publiques défaillant, un défaut de clarté
dans les procédures et règlements, un déficit en matière de transparence,
l’omniprésence de la bureaucratie, un système fiscal compliqué et lourd.
Les
conséquences de la corruption sont nombreuses : faiblesse de la croissance
économique, impact négatif sur l’attractivité des IDE, inefficacité des
services publics, enrichissement sans cause et aggravation des inégalités,
dévalorisation du travail, blocage et réorientation des réformes au profit
d’intérêts particuliers, mauvaise allocation des dépenses publiques, distorsion
du marché et impact sur une concurrence saine. V. TANZI préconise un changement
des structures de l’Etat : décentralisation, implication de la société civile,
transparence, réformes institutionnelles et économiques, réforme de la gestion
publique.
La
définition d’un modèle économique où les choix stratégiques à moyen et long
termes et les voies et moyens pour les concrétiser sont déterminés et
respectés, accompagnés de réformes réalistes et réalisables sont les conditions
qui peuvent conduire notre économie vers l’émergence. Si le choix d’un modèle
économique et le lancement des réformes tardent, l’échéance 2030 risquerait
d’être impossible à respecter.
B. L.
Sources :
- The growth
report : strategie for sustained growth and inclusive development (Rapport sur
la croissance : stratégie à l’appui d’une croissance durable et d’un développement
équitable). Banque mondiale. - Lakhlef B. : Qualité
des institutions, réformes et résultats économiques, éditions
ALE.
Par Brahim Lakhlef
lakhlefb@yahoo.fr
in elwatan
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