AMMAR BELHIMER |
La sentence est de Yascha Mounk, un jeune politologue basé à Harvard, auteur de «The People vs Democracy» («Les gens contre la démocratie»).
On le retrouve dans International Politics and Society pour un entretien d’une grande intensité.(*)
Yascha Mounk pointe du doigt la montée des démocraties dites «illibérales» — «des sociétés qui choisissent leurs dirigeants aux urnes, mais refusent de souscrire aux normes libérales».
La démocratie illibérale est désignée comme un régime autoritaire qui affiche un faible respect pour l’Etat et les minorités. II résulte d’un excès de libéralisme, au détriment de «la démocratie».
«De l'Inde à la Turquie et de la Pologne aux Etats-Unis, les populistes autoritaires ont pris le pouvoir.»
En conséquence, écrit Yascha Mounk, «la démocratie elle-même peut maintenant être en danger. Deux éléments fondamentaux de la démocratie libérale - les droits individuels et la volonté populaire - sont de plus en plus en guerre les uns avec les autres. Alors que le rôle de l'argent dans la politique montait en flèche et que d'importantes questions étaient exclues de la contestation publique, un système de ‘’droits sans démocratie’’ s'imposait».
Tel est le terreau fondateur et nourricier du populisme croissant partout dans le monde : «Les populistes qui s'opposent à cela disent qu'ils veulent rendre le pouvoir au peuple. Mais dans la pratique, ils créent quelque chose d'aussi mauvais: un système de démocratie sans droits.» La conséquence, montre Mounk, est que «la confiance dans la politique diminue. Les citoyens tombent amoureux de leur système politique. La démocratie s'évanouit».
S'appuyant sur des rappels historiques et des sondages, Mounk identifie trois facteurs clés du mécontentement des électeurs : «La stagnation du niveau de vie, les craintes sur le plan social, l'un des facteurs est que la qualité de vie a stagné pour la plupart des citoyens. Contrairement à l'après-guerre, les habitants de nombreux pays ne se sentent plus mieux que leurs parents aujourd'hui.»
Auparavant, la démocratie libérale en compétition avec l’Union soviétique ne manquait pas de générosité sociale mais depuis la chute du mur de Berlin elle affiche retournement de tendance : pour la première fois depuis deux cents ans, la part du PIB mondial produit par les démocraties occidentales (USA, Japon, Europe occidentale, Australie) va être inférieure à 50 %. Au cours de la prochaine décennie, elle ne devrait plus en représenter qu’un tiers. Alors même que certains Etats autoritaires, comme la Chine, obtiennent, eux, des résultats économiques spectaculaires.
Sur le plan culturel, on assiste à «la transformation sans précédent des sociétés mono-ethniques et mono-culturelles en sociétés multi-ethniques (qui) a été longue et difficile».
La démocratie libérale a perdu de son aura hors de son espace géographique et l’influence des productions culturelles de l’Europe et de l’Amérique du Nord n’a plus autant d’impact sur le reste du monde.
Sur le plan médiatique, la révolution numérique a produit «la montée de l'internet et des médias sociaux». A la faveur de leur éclosion, de nouveaux espaces d’expression auraient permis à des Etats autoritaires de répandre leurs valeurs à travers toutes sortes de réseaux d’information ou de désinformation, qui relaient des messages conformes à leurs intérêts à travers la planète, tandis qu’ils interdisent la réciprocité sur leur propre sol.
Ces facteurs diffèrent d’un pays à l’autre : «Aux Etats-Unis, beaucoup de gens sur la gauche citent le racisme comme la raison pour laquelle Trump a été élu - ils se tournent donc principalement vers des facteurs culturels. En Allemagne, la gauche insiste sur le fait que l'intégration n'est pas le problème, elle se concentre donc sur les facteurs économiques.»
Yascha Mounk a l’impression que «nous assistons à la montée d'un libéralisme antidémocratique dans lequel l'argent joue un rôle de plus en plus important en politique. De plus en plus de décisions sont retirées du débat démocratique, par des institutions, allant des tribunaux aux banques centrales».
Ces dérives ont conduit à «l'émergence d'un populisme autoritaire, conduisant souvent à un système de démocratie où les gens ne jouissent pas de tant de droits».
«Dans ce genre de système, le leader populiste pourrait bien être très populaire, parce qu'il met en œuvre une grande partie de ce que les gens veulent réellement. Mais en même temps, les minorités sont ignorées ou réprimées, la primauté du droit est minée et il n'y a plus de séparation adéquate des pouvoirs.»
Dans l’ensemble, «la démocratie est déjà à un stade avancé de décadence. Donc je ne peux pas promettre une fin heureuse».
A. B. LSA le 17/07/2018
(*) Yascha Mounk, Liberal Democracy Under Threat : Democracy is already in an advanced stage of decay, but it's not too late for a happy ending, International Politics and Society, 02.07.2018.
http://www.ips-journal.eu/regions/global/article/show/liberal-democracy-under-threat-2828/
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