A l’heure où se boucle cette chronique, le contenu précis du nouveau
modèle de croissance du gouvernement algérien est encore sous embargo
médiatique. Les participants à la tripartite ont écouté une synthèse du
ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, en séance à huis clos.
Les éléments qui en ressortent confirment un faisceau de fuites qui a
précédé la réunion de ce dimanche 5 juin.
Le nouveau modèle de croissance algérien est un programme de transition
contrôlée vers l’autonomisation du budget de l’Etat vis-à-vis des
recettes pétrolières. Sa substance même est construite sur une idée
optionnelle. Il n’y a pas lieu de se débarrasser violemment de l’actuel
modèle – totalement construit sur la commande d’Etat et sur la
redistribution de la rente pétrolière – car les réserves de change
peuvent permettre de ne pas le faire encore pendant deux ans. Sellal a
acheté auprès de la task force des spécialistes indépendants un grigri
pour gagner du temps.
En conséquence, il n’ y aura pas de démantèlement rapide du système
mastodonte de subventions des prix de l’énergie et des produits de large
consommation, même si M. Benkhalfa a annoncé qu’il préparait le retour
au ciblage des catégories ouvrant droit aux aides directes. Il n’y aura
pas de réduction brutale du périmètre économique de l’Etat à travers les
entreprises publiques, mais une simple invitation aux managers publics à
trouver de nouvelles sources de financement à leurs entreprises, y
compris en fonds propres, par l’ouverture de leur capital social. Il n’y
aura pas également un choc de compétitivité de l’économie algérienne
par la levée sèche et définitive des entraves aux investissements
directs étrangers et par la libéralisation des flux entrants sortants
des capitaux, mais un appel à la modernisation de l’économie par plus
d’investissement du privé. Abderrahmane Benkhalfa promet une
substitution des pertes de fiscalité pétrolière par une explosion de la
fiscalité ordinaire. Par quel miracle ? Il faudra attendre encore et
voir.
Dans ce nouveau modèle de croissance, la promotion des économies
d’énergie, la réduction du recours aux ressources fossiles par le
développement des énergies renouvelables ont valu aux participants à la
Tripartite une intervention du ministre de l’Energie. Là aussi, la
transition se veut très douce. Sans incitation audacieuse par les prix
et les taxes. Sans recours à la loi contraignante (exemple : l’isolation
thermique dans le bâtiment ou le led dans l’éclairage). Le modèle
attendu depuis trois mois est donc un swing-programme. Il balance selon
la contrainte du contre-choc pétrolier. Si elle s’adoucit comme tendent à
le penser de trop nombreux experts proches du gouvernement, il n’y aura
pas besoin de traumatiser le contrat social algérien. Pourquoi donc
anticiper un ajustement de la demande solvable alors que le Trésor
public aura peut-être encore les moyens de la satisfaire au-delà du trou
d’air de 2015-2019 ?
Dans la théorie spéculative pure, le pouvoir politique algérien peut ne
pas avoir tort de ne pas vite démanteler son modèle redistributif sous
la panique de ses déficits publics qui se creusent. Il existe des
arguments qui le soutiennent. L’Algérie sort d’une guerre civile. La
reconstruction de l’unité nationale ébranlée nécessite un Etat
providence plus actif. Les modèles de croissance basés sur la recherche
de l’efficacité des entreprises ne protègent pas les revenus des
populations des contre-cycles, comme au Brésil ou en Turquie, ni les
détenteurs des pouvoirs des insurrections populaires, comme en Tunisie
ou en Thaïlande.
En doctrine politique, comme en philosophie de l’éthique, dépenser
massivement des fonds publics pour rendre plus large et plus facile
l’accès au travail, à l’éducation, aux soins de santé, à la mobilité et
aux logements peut se défendre. Cela réduit la criminalité, l’exclusion
sociale, le sentiment d’injustice, et génère autant d’économies de
dépenses publiques qui ne seront pas nécessaires à gérer ces fléaux et
nuisances. Deux bémols. Il faut que ce modèle soit soutenable. Il faut
qu’il soit articulé dans le but d’humaniser le vivre-ensemble et non
d’acheter la complicité de la société face à l’impunité des grands
délinquants d’Etat. Lorsque le modèle redistributif s’effondre, les
Algériens ont souvenir où cela mène. Lorsque le but du modèle est de se
servir en premier et d’acheter le silence universel, on sait qu’il ne
peut y avoir de changement.
L’enjeu de la tripartite en devient tout relatif. Il n’y aura pas de
nouveau modèle de croissance algérien sous le régime du quatrième
mandat. Il faut juste observer, encore une fois, les acteurs de la
réforme, pour en faire aussitôt le deuil. Abdelmalek Sellal, dans le
rôle de l’animateur poussif, visiblement affligé par l’implication de sa
fille dans l’offshoring des revenus que l’on veut cacher. Démasqué pour
suspicion d’affairisme, ce qui le ramène à la hauteur de Abdeslam
Bouchouareb, son ministre le plus puissant de l’ère Saïd Bouteflika,
premier gibier du scandale Panama Papers.
Le Premier ministre, en bout de course, a massacré son discours en
arabe et a fâcheusement cafouillé le nouveau chiffre des réserves de
change. Le ministre de l’Energie, lui, a évoqué un programme du
renouvelable en retard de quatre ans sur sa feuille de route. Sans dire
comment combler ce gap au profit du nouveau modèle. La seule réforme qui
se fera sans doute finalement, c’est celle de l’âge de la retraite, car
le système par solidarité ne peut plus tenir autrement. Les Algériens
devront travailler plus longtemps pour bénéficier d’une retraite
complète. Pour le reste, la messe est dite. L’énoncé de la réforme est
lancé. En mode soft et attentiste. Même dans cette formule minimaliste
qui veut voler du temps au temps, l’illusion du changement est
grossière. Le gouvernement, qui doit faire sortir l’Algérie de la
dépendance à la fiscalité pétrolière, est dirigé par le frère du
président de la République, recycle Chakib Khelil, est cité dans les
paradis fiscaux pour ses ténors, et planche, dernier virement à son
crédit, sur un deuxième baccalauréat, pour cause de fraude massive. Il a
face aux Algériens autant de force et de conviction dans la conduite de
la réforme que le gouvernement Guy Mollet face aux Ultras en 1956 à
Alger.
El Kadi Ihsane IN elwatan.com
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