par Abed Charef
L'éthique et la transparence ne sont pas seulement des
slogans. Elles sont essentielles pour rétablir la confiance dans l'avenir
économique d'un pays.
Un P-DG de banque a osé la sentence. « L'argent n'a pas
d'odeur», a déclaré le patron de la BDL. Sa formule est reprise à la volée par
le célèbre Farouk Ksentini, qui l'interprète à sa manière: il faut une amnistie
fiscale, lance-t-il. Pourquoi amnistier des terroristes et pas des gens qui ont
fraudé le fisc ?
L'Algérie est, ainsi, publiquement invitée à plonger dans
l'immoralité, et à consacrer une situation de fait, accepter de vivre à côté de
la loi, ou en dehors de la loi. Enfreindre la loi n'est plus une faute qu'il
faut payer, c'est simplement une erreur de jeunesse, une bourde, une faute
d'inattention qui peut être, rapidement, oubliée. Puisque le pas est en pleine
dérive, qu'il n'est pas en mesure d'obliger les gens à payer l'impôt, autant
leur pardonner, en leur disant qu'ils ne doivent pas recommencer
Farouk Ksentini se présente, ainsi, comme l'homme qui lave
les pêchés des autres. Mais au plan de la décision, il a un peu de retard. Car
sur ce terrain du rapport à l'argent, le gouvernement a pris de l'avance. La
démarche a été lancée l'été dernier, avec la célèbre mesure de « mise en
conformité fiscale », cette formule qui autorise les Algériens à blanchir leur
argent, en payant un impôt forfaitaire de sept pour cent. L'Etat garantissait
qu'il n'y aurait pas de questions, pas de poursuite, pas de curiosité. Le pas à
franchir devait être discret, anonyme. Pas de question gênante, pas de volonté
affichée de savoir qui sont ces Algériens ayant amassé des fortunes, en argent
liquide, comment opéraient-ils, où cachaient-ils leur argent.
Aller plus loin
Comme prévu, l'opération a donné de maigres résultats. Si
maigres que le gouvernement n'a pas osé communiquer sur les sommes récoltées.
Mais comme souvent dans de pareils cas, le ministère des Finances n'a pas remis
en cause sa démarche, il a simplement estimé que son initiative a échoué parce
qu'elle n'est pas allée assez loin. Il faut, donc, crever l'abcès et traiter
avec l'argent informel comme on traite avec n'importe quelle fortune : le
rémunérer, pourvu qu'il accepte d'intégrer la sphère officielle. D'autant plus
qu'en ces temps de vaches maigres, tous les apports sont les bienvenus. Ce fut
donc l'emprunt obligataire. De l'argent rémunéré à un taux supérieur à
l'inflation, en vue de maintenir un niveau élevé d'investissements publics,
assure-t-on. Combien le gouvernement compte-t-il lever ? A quel niveau cet
argent pourrait participer à la relance de l'investissement ? Combien de points
de PIB espère-t-on ? Aucune réponse, évidemment. Pour le gouvernement, une
seule certitude : il ne maîtrise rien. A part donner une injonction aux banques
et aux institutionnels de souscrire à l'emprunt pour sauver la mise, il n'a
aucun levier sur lequel appuyer.
Opacité et absence de contre-pouvoirs
Sur un plan strictement économique, le résultat est
dérisoire. Ceci apparaîtra, clairement, lorsqu'il faudra faire les comptes
-après le départ de M. Benkhalfa, pas avant. Au mieux, l'argent récolté par
l'emprunt sera défalqué ailleurs. Ainsi, au lieu de financer, directement, des
investissements, les banques donneront leur argent à l'Etat qui l'utilisera
pour payer les salaires. De son côté, le pouvoir demandera à la Banque centrale
de fabriquer de la monnaie, laquelle sera remise aux banques pour servir au
financement normal de l'économie. Dans la réalité, l'évolution sera plus grave.
Le gouvernement affirme que l'argent récolté servira à financer des
investissements. Comment, dans le budget, différencier de l'argent destiné au
financement d'une route, et celui consacré aux subventions? Avec l'opacité qui
domine les finances publiques, rien n'est plus facile pour le gouvernement que
de se servir là où il trouve l'argent. Et il ne s'en prive pas. Il n'y a aucun
contre-pouvoir viable en mesure de contester son action.
Renoncement
Ce faisant, le gouvernement contribue, à sa façon, à
détruire le peu de crédit qui reste aux institutions. C'est, désormais, le
pouvoir, à travers ses différents porte-paroles, qui reconnaît publiquement,
l'inexistence de règles, morales ou autres, dans la gestion de l'argent. C'est
là, le coup le plus grave porté à l'économie du pays. La baisse de moitié des
recettes des hydrocarbures est moins dangereuse qu'un renoncement aux règles
éthiques. Pris dans l'urgence, le gouvernement pense utiliser le peu de moyens
dont il dispose pour rétablir la situation, en acceptant de fermer les yeux sur
de graves dérives économiques. Il se trompe lourdement: le pays a moins besoin
de recettes en devises que de règles claires, publiques et transparentes dans
le fonctionnement quotidien de l'économie. C'est le gouvernement, lui-même, qui
le confirme : en empêchant Issaad Rebrad de tenir une conférence de presse, il
confirme que l'économie et l'entreprise ne sont rien face au pouvoir
arbitraire. Ultime erreur commise dans l'emprunt obligataire : le choix du
moment. Le gouvernement est aux abois. Il est incapable d'imposer ses
conditions. Il se soumet, donc, aux conditions des détenteurs d'argent. Y
compris l'argent sale, qu'on voulait dans un premier temps, taxer à sept pour
cent, et qu'on finira par rémunérer à cinq pour cent. C'est, d'une certaine
manière, une abdication ; une reddition en rase campagne, pas uniquement face
aux détenteurs d'argent : il s'agit surtout d'un renoncement à des règles, sans
lesquelles il serait impossible de rétablir la confiance et la foi en l'avenir.
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