«En 1956, j’étais dans les Aurès»
«La liberté d’être soi est la plus haute forme de justice envers les autres.» (Malcom de Chazal)
Avec son visage pathétique, spirituel, dont les rides témoignent d’une
vie pleine d’aventures, avec sa voix âpre qui monte et se déchire dans
l’émotion ou la colère, Marvine est une octogénaire accomplie, qui est
en fait de toutes les époques. Son métier de journaliste, son sacerdoce
devrait-on écrire, l’a menée sur des voies improbables et des endroits
insoupçonnés. La vieille dame digne a bourlingué à travers le monde en
témoignant de ses espérances et de ses drames, de ses douleurs et de ses
fureurs.
Elle en a tiré des leçons et bientôt un livre, où elle a consigné tous ses «faits d’armes» dès le milieu du siècle dernier. Elle était en Algérie en 1956, où elle a vécu la guerre d’abord à Alger, puis dans les Aurès. «Faire connaître la guerre d’Algérie sans aller dans cette région serait faire une entorse à l’histoire», admet-elle aujourd’hui, où elle renoue avec notre pays pour les besoins de son attendue publication. Elle a accepté de nous entretenir en nous racontant la complicité de ses parents à qui elle rend un hommage appuyé.
Elle parle d’elle, de son enfance de sa rencontre avec le journalisme, de ses pérégrinations, de son séjour à Paris, à Alger et dans les Aurès. Elle qui a fait le tour du monde, Liban, Europe, Asie du Sud-Est, avec une passion particulière pour la Chine. Cette amie de l’Algérie n’occulte aucun sujet, en dessinant le portrait de ceux avec qui elle a travaillé avec une remarquable sincérité. «Je me suis dite que c’était le moment de faire le point. C’est déjà fait dans ma tête. Il faut passer à l’écriture, même si je suis prise encore dans les embouteillages de la vie».
Marvine, à l’aise, nous a offert sa verte mémoire. Le plaisant, c’est qu’on ne trouve rien, chez elle, de ce déclin qui rythme généralement l’horloge biologique. Au contraire, elle maintient sur l’âge une robustesse étonnante. Elle est née à Shanghaï, en Chine, bien avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. Issue d’une famille américaine de souche de Virginie, son père, James Howe, s’intéressait beaucoup à la chimie. Il était protestant et enseignant.
Il avait un faible pour les Chinois. C’est pourquoi son destin l’emmena à enseigner en Chine, où la famille s’est établie où moi-même j’ai fait l’école primaire en apprenant le chinois. «La venue des Japonais a accéléré notre départ et notre retour en Amérique, où mon père a trouvé du travail dans un laboratoire à Philadelphie au New Jersey. J’y ai fait mes études secondaires, mais c’est à l’université de Rutgers, bien connue pour son équipe de soccer, que j’ai étudié le journalisme.» Pourquoi donc ce choix et quelles en étaient les motivations ?
Une femme déterminée
«Pour moi, c’était une idée fixe pour retourner exercer en Chine. Mon sens de la curiosité a fait le reste. C’est pourquoi je me suis inscrite à Columbia pour étudier les langues orientales en affinant mes connaissances. Comme pigiste, on m’avait proposé d’animer des pages consacrées aux femmes, ou d’aborder des sujets de mode, cela ne m’intéressait pas. Je voulais le grand air et l’évasion, sortir pour les reportages, même de guerre, mais cela était proscrit, jugeant que c’était dangereux pour la gent féminine. Je suis partie à Paris chez une amie qui a fait l’université avec moi, Fabius Marie Claude dont la mère était résistante.
J’ai exercé comme correspondante du Herald Tribune devenu New York Times. J’ai appris le français et j’ai répondu à une annonce pour aller au Maroc, à Fès, pour tenir le rôle de «au pair», en enseignant l’anglais aux enfants. Leur mère m’améliorait mon français. C’était une famille militaire française. On était au milieu du siècle dernier. J’étais perdue, je ne connaissais rien à l’Afrique. Mais je savais qu’à cette époque il y avait des velléités de remise en question du colonialisme.
Paris Match est venu m’interviewer après la gerre du Rif. J’ai enseigné au lycée de Fès, où j’ai appris à mieux connaître les Marocains. Je ne pouvais quitter, d’autant qu’à Radio Maroc sous protectorat, on voulait donner un cadeau aux Américains (qui avaient déjà des bases dans ces contrées) en m’offrant un poste de journaliste jusqu’à l’indépendance en 1956. En 1953, le roi Mohamed V avait été exilé. J’ai bien connu son fils Hassan II, qui m’a appris à monter à cheval. J’y ai aussi connu des hommes formidables, comme Douiri, Bouabid Allal El Fassi et Ben Barka, un progressiste qui ne cachait pas ses sympathies pour l’Algérie combattante.
Après l’exil du roi, les Marocains étaient désespérés. J’exerçais à Radio BBC à Rabat. On sentait que l’indépendance était inéluctable face à tant d’injustices et d’oppressions criantes. Si le New York Times et les autres considéraient que les filles ne pouvaient aspirer à être reporters de guerre, ce n’était pas le cas de CBS, ravi de me voir son correspondant en Algérie, où la guerre battait son plein. Je ne pouvais laisser passer cette opportunité. Mais à Alger je n’étais pas la bienvenue ! J’arrive dans la capitale algérienne en 1956.»
Le journalisme mène à tout
«J’ai dû louer une chambre à Saint-Eugène. Le photographe algérien Djamel Chanderli, qui travaillait pour Time Life m’avait influencée et surtout aidée. Son frère était représentant du FLN à l’ONU. Il m’a facilité les choses. J’ai vécu à Saint-Eugène pendant une année, où la police ne cessait de me harceler. Pendant cette période, j’ai connu le grand nationaliste Abderrahmane Kiouane juste avant son départ pour Le Caire.
Il était adjoint au maire d’Alger avant d’être emprisonné. Abderrahmane a complété mes connaissances sur les objectifs de la Révolution, que Aït Ahmed et M’hamed Yazid m’avaient déjà donnés à New York. J’ai ma propre philosophie de couverture de la guerre. La connaissance du pays des hostilités est primordiale. Aussi j’avais fait l’Oranie et la Kabylie.
A Alger, on se sentait en sécurité. On m’avait refusé l’accréditation militaire et la carte de séjour. Ils ne m’aimaient pas beaucoup. Les autres journalistes venaient me voir. J’y ai connu Pouillon, Lacouture, Chevalier, Jean Daniel… Mon «boss» Thomas Brady, chef du New York Times en Afrique du Nord était basé à Tunis avec le GPRA. C’était le seul journaliste qui était à bord de l’avion arraisonné en 1956 avec les cinq leaders algériens.
En septembre 1956, j’ai reçu mon dernier ordre d’expulsion, je voulais coûte que coûte connaître les Aurès et y rapporter des informations. Je ne connaissais pas cette région et j’étais profondément frustrée. D’autant que le livre que j’envisageais d’écrire serait tronqué sans cette partie vive de l’Algérie. Pour accélérer les choses avant la date fatidique, j’arrive à Batna avec un monarchiste français, Deviaris, proche du FLN. Ca l’amusait de m’accompagner, car il s’ennuyait.
On est partis dans ma vieille Austin. J’avais une recommandation de l’avocat de Ben Boulaïd Mostefa, maître Ali Malem, je m’entendais très bien avec lui. Il m’avait proposé une mission similaire à celle de Germaine Tillon, en tant que témoin d’une éventuelle entrevue entre les deux camps. Ben Boulaïd avait donné son accord pour une rencontre entre lui et Lucien Paye, directeur général des affaires politiques au Gouvernement général proche de Soustelle.
Le FLN voulait un témoin et c’était moi, car j’étais la seul étrangère «neutre». Je me suis dite je n’ai rien à perdre, puisque je vais être bientôt expulsée Malem m’a présentée à la famille Benboulaïd, qui m’a vite adoptée, et pour cause. Quand je suis arrivée la première fois, la femme, la mère, Omar et tous les autres me regardaient stupéfaits. Pourquoi ? parce que je ressemblais aux sœurs de Mostefa.
Ce fait a créé un lien de confiance. En attendant la rencontre fatale, j’étais touriste dans cette magnifique région des Aurès. Il m’arrivait même de conforter mes connaissances en lisant l’histoire de l’Afrique du Nord de Claude André Julien. Rassurée par la prolongation de mon séjour émanant de la police, j’attendais avec impatience, jusqu’au jour où le couvre-feu fut instauré à la fin du mois d’octobre 1956. Je ne pouvais plus bougée. Maître Malem me suggère de m’exfilter vers la Tunisie par le maquis. Cela coïncidait (curieux hasard) avec le rapt de l’avion.
Je devais couvrir cet événement alors qu’on m’informait que Mostefa n’était plus de ce monde, victime d’un poste radio piégé. Au cours de l’année 1957, je suis repartie. Mais malgré cette courte période, j’ai beaucoup appris de et sur l’Algérie. J’y suis revenue en 2014 pour couvrir l’ élection présidentielle. J’y avais connu en 1957 Chafika Meslem, première diplomate algérienne et dont je suis la marraine de sa fille Souad. J’avais couvert son procès à Alger en 1957, lors de ce qu’on appelait le ‘procès des progressistes’.
Au cours de l’affaire des otages américains en Iran et de son dénouement heureux grâce à la diplomatie algérienne, M’hamed Yazid m’avait appelée au New York Times pour couvrir l’événement. Je suis venue aussi en Algérie en 1975 pour un article sur le Sahara occidental, dont le drame venait de se nouer et qui demeure jusqu’à aujourd’hui. Dans mon reportage, j’avais conclu que les Sahraouis était un peuple libre, ni algérien ni marocain. C’est pourquoi, pour moi, la meilleur thèse est celle des Nations unies qui prônent l’autodétermination. C’est pourquoi je défends cette cause.
Marvine, doyenne des journalistes d’investigation, n’en démord pas et continue à activer avec «le plus beau métier du monde», comme elle aime à le qualifier, et qui est plus un contre-pouvoir, qu’un quatrième pouvoir, dont certains voudraient l’affubler en l’intégrant dans le magma politique alors que son rôle est d’en être le vigile. La presse aujourd’hui ? «Elle a moins de puissance, face à internet, facebook et les médias numériques d’une manière générale. Ce n’est pas encore la mort du papier, mais sans doute va-t-on y arriver un jour.»
Quid des médias numériques ?
Marvine parlera beaucoup d’une époque où l’explosion de l’image et du son ne dévastait pas encore la presse imprimée, où les boussoles, encore intactes, n’ouvraient pas un appétit nouveau d’idées et de repères en tous genres. Du monde qui nous entoure, on voit de plus en plus, et on sait de moins en moins.
Toute grande cause politique trouve ainsi un défouloir expéditif dans un spectacle psychodramatique télévisé qui s’éloigne de la réalité en transformant celui qui regarde en voyeur plus qu’en citoyen conscient, contribuant ainsi à la destructuration et à l’emiettement des liens collectifs. Au Washington Report on Middle-East, ou elle collabore, Marvine a écrit nombre d’articles sur l’Algérie. «C’est la seule revue pro-palestinienne qui dénonce les lobbies très influents sur la politique américaine. Malgré cela, le New York Times est resté très scrupuleux vis-à-vis de sa ligne éditoriale.
Ce sont par contre Twitter et facebook qui tiennent actuellement le haut du pavé. Mon rôle en tant que journaliste est de faire connaître les musulmans, qui sont stigmatisés à travers le monde, et qui sont ignorés totalement par les Américains qui n’en connaissent que les dérives commises par Daech, par exemple, qui parle au nom de cette religion. J’essaye d’expliquer, mais ma mission est parasitée par des monstres terroristes, qui en plus ont les faveurs de la télévision.»
A la question de savoir si les Etats-Unis sont impliqués dans le désordre du monde depuis la guerre d’Irak jusqu’à l’avènement d’El Qaïda et Daech, Marvien réfute ces allégations car, selon elle, «Obama a essayé de faire de bonnes choses, mais on ne peut imaginer les obstructions et les entraves auxquelles il a dû faire face. maintenant vous parlez d’une implication des USA dans les foyers de tension de par le monde. Sachez que l’industrie de l’armement, très prospère hélas en Amérique, est une chose et l’administraiton américaine en est une autre l’amalgame est dangereux dans ce cas précis».
Pour rester dans l’actualité et si Trump, qui a le vent en poupe, gagnait les élections américaines ? Marvine écarte cette hypothèse : «Il gesticule et fait du spectacle. Je ne pense pas qu’il puisse gagner. Je suis optimiste. En tous cas s’il accède à la Maison-Blanche, je prendrais la nationalité… chinoise !»
Elle en a tiré des leçons et bientôt un livre, où elle a consigné tous ses «faits d’armes» dès le milieu du siècle dernier. Elle était en Algérie en 1956, où elle a vécu la guerre d’abord à Alger, puis dans les Aurès. «Faire connaître la guerre d’Algérie sans aller dans cette région serait faire une entorse à l’histoire», admet-elle aujourd’hui, où elle renoue avec notre pays pour les besoins de son attendue publication. Elle a accepté de nous entretenir en nous racontant la complicité de ses parents à qui elle rend un hommage appuyé.
Elle parle d’elle, de son enfance de sa rencontre avec le journalisme, de ses pérégrinations, de son séjour à Paris, à Alger et dans les Aurès. Elle qui a fait le tour du monde, Liban, Europe, Asie du Sud-Est, avec une passion particulière pour la Chine. Cette amie de l’Algérie n’occulte aucun sujet, en dessinant le portrait de ceux avec qui elle a travaillé avec une remarquable sincérité. «Je me suis dite que c’était le moment de faire le point. C’est déjà fait dans ma tête. Il faut passer à l’écriture, même si je suis prise encore dans les embouteillages de la vie».
Marvine, à l’aise, nous a offert sa verte mémoire. Le plaisant, c’est qu’on ne trouve rien, chez elle, de ce déclin qui rythme généralement l’horloge biologique. Au contraire, elle maintient sur l’âge une robustesse étonnante. Elle est née à Shanghaï, en Chine, bien avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. Issue d’une famille américaine de souche de Virginie, son père, James Howe, s’intéressait beaucoup à la chimie. Il était protestant et enseignant.
Il avait un faible pour les Chinois. C’est pourquoi son destin l’emmena à enseigner en Chine, où la famille s’est établie où moi-même j’ai fait l’école primaire en apprenant le chinois. «La venue des Japonais a accéléré notre départ et notre retour en Amérique, où mon père a trouvé du travail dans un laboratoire à Philadelphie au New Jersey. J’y ai fait mes études secondaires, mais c’est à l’université de Rutgers, bien connue pour son équipe de soccer, que j’ai étudié le journalisme.» Pourquoi donc ce choix et quelles en étaient les motivations ?
Une femme déterminée
«Pour moi, c’était une idée fixe pour retourner exercer en Chine. Mon sens de la curiosité a fait le reste. C’est pourquoi je me suis inscrite à Columbia pour étudier les langues orientales en affinant mes connaissances. Comme pigiste, on m’avait proposé d’animer des pages consacrées aux femmes, ou d’aborder des sujets de mode, cela ne m’intéressait pas. Je voulais le grand air et l’évasion, sortir pour les reportages, même de guerre, mais cela était proscrit, jugeant que c’était dangereux pour la gent féminine. Je suis partie à Paris chez une amie qui a fait l’université avec moi, Fabius Marie Claude dont la mère était résistante.
J’ai exercé comme correspondante du Herald Tribune devenu New York Times. J’ai appris le français et j’ai répondu à une annonce pour aller au Maroc, à Fès, pour tenir le rôle de «au pair», en enseignant l’anglais aux enfants. Leur mère m’améliorait mon français. C’était une famille militaire française. On était au milieu du siècle dernier. J’étais perdue, je ne connaissais rien à l’Afrique. Mais je savais qu’à cette époque il y avait des velléités de remise en question du colonialisme.
Paris Match est venu m’interviewer après la gerre du Rif. J’ai enseigné au lycée de Fès, où j’ai appris à mieux connaître les Marocains. Je ne pouvais quitter, d’autant qu’à Radio Maroc sous protectorat, on voulait donner un cadeau aux Américains (qui avaient déjà des bases dans ces contrées) en m’offrant un poste de journaliste jusqu’à l’indépendance en 1956. En 1953, le roi Mohamed V avait été exilé. J’ai bien connu son fils Hassan II, qui m’a appris à monter à cheval. J’y ai aussi connu des hommes formidables, comme Douiri, Bouabid Allal El Fassi et Ben Barka, un progressiste qui ne cachait pas ses sympathies pour l’Algérie combattante.
Après l’exil du roi, les Marocains étaient désespérés. J’exerçais à Radio BBC à Rabat. On sentait que l’indépendance était inéluctable face à tant d’injustices et d’oppressions criantes. Si le New York Times et les autres considéraient que les filles ne pouvaient aspirer à être reporters de guerre, ce n’était pas le cas de CBS, ravi de me voir son correspondant en Algérie, où la guerre battait son plein. Je ne pouvais laisser passer cette opportunité. Mais à Alger je n’étais pas la bienvenue ! J’arrive dans la capitale algérienne en 1956.»
Le journalisme mène à tout
«J’ai dû louer une chambre à Saint-Eugène. Le photographe algérien Djamel Chanderli, qui travaillait pour Time Life m’avait influencée et surtout aidée. Son frère était représentant du FLN à l’ONU. Il m’a facilité les choses. J’ai vécu à Saint-Eugène pendant une année, où la police ne cessait de me harceler. Pendant cette période, j’ai connu le grand nationaliste Abderrahmane Kiouane juste avant son départ pour Le Caire.
Il était adjoint au maire d’Alger avant d’être emprisonné. Abderrahmane a complété mes connaissances sur les objectifs de la Révolution, que Aït Ahmed et M’hamed Yazid m’avaient déjà donnés à New York. J’ai ma propre philosophie de couverture de la guerre. La connaissance du pays des hostilités est primordiale. Aussi j’avais fait l’Oranie et la Kabylie.
A Alger, on se sentait en sécurité. On m’avait refusé l’accréditation militaire et la carte de séjour. Ils ne m’aimaient pas beaucoup. Les autres journalistes venaient me voir. J’y ai connu Pouillon, Lacouture, Chevalier, Jean Daniel… Mon «boss» Thomas Brady, chef du New York Times en Afrique du Nord était basé à Tunis avec le GPRA. C’était le seul journaliste qui était à bord de l’avion arraisonné en 1956 avec les cinq leaders algériens.
En septembre 1956, j’ai reçu mon dernier ordre d’expulsion, je voulais coûte que coûte connaître les Aurès et y rapporter des informations. Je ne connaissais pas cette région et j’étais profondément frustrée. D’autant que le livre que j’envisageais d’écrire serait tronqué sans cette partie vive de l’Algérie. Pour accélérer les choses avant la date fatidique, j’arrive à Batna avec un monarchiste français, Deviaris, proche du FLN. Ca l’amusait de m’accompagner, car il s’ennuyait.
On est partis dans ma vieille Austin. J’avais une recommandation de l’avocat de Ben Boulaïd Mostefa, maître Ali Malem, je m’entendais très bien avec lui. Il m’avait proposé une mission similaire à celle de Germaine Tillon, en tant que témoin d’une éventuelle entrevue entre les deux camps. Ben Boulaïd avait donné son accord pour une rencontre entre lui et Lucien Paye, directeur général des affaires politiques au Gouvernement général proche de Soustelle.
Le FLN voulait un témoin et c’était moi, car j’étais la seul étrangère «neutre». Je me suis dite je n’ai rien à perdre, puisque je vais être bientôt expulsée Malem m’a présentée à la famille Benboulaïd, qui m’a vite adoptée, et pour cause. Quand je suis arrivée la première fois, la femme, la mère, Omar et tous les autres me regardaient stupéfaits. Pourquoi ? parce que je ressemblais aux sœurs de Mostefa.
Ce fait a créé un lien de confiance. En attendant la rencontre fatale, j’étais touriste dans cette magnifique région des Aurès. Il m’arrivait même de conforter mes connaissances en lisant l’histoire de l’Afrique du Nord de Claude André Julien. Rassurée par la prolongation de mon séjour émanant de la police, j’attendais avec impatience, jusqu’au jour où le couvre-feu fut instauré à la fin du mois d’octobre 1956. Je ne pouvais plus bougée. Maître Malem me suggère de m’exfilter vers la Tunisie par le maquis. Cela coïncidait (curieux hasard) avec le rapt de l’avion.
Je devais couvrir cet événement alors qu’on m’informait que Mostefa n’était plus de ce monde, victime d’un poste radio piégé. Au cours de l’année 1957, je suis repartie. Mais malgré cette courte période, j’ai beaucoup appris de et sur l’Algérie. J’y suis revenue en 2014 pour couvrir l’ élection présidentielle. J’y avais connu en 1957 Chafika Meslem, première diplomate algérienne et dont je suis la marraine de sa fille Souad. J’avais couvert son procès à Alger en 1957, lors de ce qu’on appelait le ‘procès des progressistes’.
Au cours de l’affaire des otages américains en Iran et de son dénouement heureux grâce à la diplomatie algérienne, M’hamed Yazid m’avait appelée au New York Times pour couvrir l’événement. Je suis venue aussi en Algérie en 1975 pour un article sur le Sahara occidental, dont le drame venait de se nouer et qui demeure jusqu’à aujourd’hui. Dans mon reportage, j’avais conclu que les Sahraouis était un peuple libre, ni algérien ni marocain. C’est pourquoi, pour moi, la meilleur thèse est celle des Nations unies qui prônent l’autodétermination. C’est pourquoi je défends cette cause.
Marvine, doyenne des journalistes d’investigation, n’en démord pas et continue à activer avec «le plus beau métier du monde», comme elle aime à le qualifier, et qui est plus un contre-pouvoir, qu’un quatrième pouvoir, dont certains voudraient l’affubler en l’intégrant dans le magma politique alors que son rôle est d’en être le vigile. La presse aujourd’hui ? «Elle a moins de puissance, face à internet, facebook et les médias numériques d’une manière générale. Ce n’est pas encore la mort du papier, mais sans doute va-t-on y arriver un jour.»
Quid des médias numériques ?
Marvine parlera beaucoup d’une époque où l’explosion de l’image et du son ne dévastait pas encore la presse imprimée, où les boussoles, encore intactes, n’ouvraient pas un appétit nouveau d’idées et de repères en tous genres. Du monde qui nous entoure, on voit de plus en plus, et on sait de moins en moins.
Toute grande cause politique trouve ainsi un défouloir expéditif dans un spectacle psychodramatique télévisé qui s’éloigne de la réalité en transformant celui qui regarde en voyeur plus qu’en citoyen conscient, contribuant ainsi à la destructuration et à l’emiettement des liens collectifs. Au Washington Report on Middle-East, ou elle collabore, Marvine a écrit nombre d’articles sur l’Algérie. «C’est la seule revue pro-palestinienne qui dénonce les lobbies très influents sur la politique américaine. Malgré cela, le New York Times est resté très scrupuleux vis-à-vis de sa ligne éditoriale.
Ce sont par contre Twitter et facebook qui tiennent actuellement le haut du pavé. Mon rôle en tant que journaliste est de faire connaître les musulmans, qui sont stigmatisés à travers le monde, et qui sont ignorés totalement par les Américains qui n’en connaissent que les dérives commises par Daech, par exemple, qui parle au nom de cette religion. J’essaye d’expliquer, mais ma mission est parasitée par des monstres terroristes, qui en plus ont les faveurs de la télévision.»
A la question de savoir si les Etats-Unis sont impliqués dans le désordre du monde depuis la guerre d’Irak jusqu’à l’avènement d’El Qaïda et Daech, Marvien réfute ces allégations car, selon elle, «Obama a essayé de faire de bonnes choses, mais on ne peut imaginer les obstructions et les entraves auxquelles il a dû faire face. maintenant vous parlez d’une implication des USA dans les foyers de tension de par le monde. Sachez que l’industrie de l’armement, très prospère hélas en Amérique, est une chose et l’administraiton américaine en est une autre l’amalgame est dangereux dans ce cas précis».
Pour rester dans l’actualité et si Trump, qui a le vent en poupe, gagnait les élections américaines ? Marvine écarte cette hypothèse : «Il gesticule et fait du spectacle. Je ne pense pas qu’il puisse gagner. Je suis optimiste. En tous cas s’il accède à la Maison-Blanche, je prendrais la nationalité… chinoise !»
Parcours
Marvine Howe est née au milieu des années trente, à Shanghaï, où son père, professeur de chimie, exerçait dans un lycée. Fascinée par la Chine, elle voulait y rester, mais la Seconde Guerre mondiale en décida autrement. Retour en Amérique, où elle compléta ses études et opta pour le journalisme.Travaillant pour le New York Times, elle en était la correspondante au Maroc, où elle édita un livre, The islamist awakening and other challenges (2005), puis un autre sur Al Andalus, puis Turkey Today et d’autres ouvrages, fruits de ses innombrables déplacements.
Marvine se trouve actuellement en Algérie, pour compléter ses informations en vue de la publication d’un ouvrage consacré à notre pays.
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