APS - ALGÉRIE

jeudi 12 mai 2016

Arabie Saoudite «Agenda 2030» : l’enlisement dans la modernisation sans développement



L’Arabie Saoudite vient de révéler au monde sa vison pour l’horizon 2030. Les implications sur le royaume et les marchés pétroliers seront énormes.
Si le cap est maintenu, les intérêts du pays vont être irréversiblement altérés et ses politiques géostratégiques en seront grandement affectées. Les conséquences vont être décisives sur la sphère interne et sur la scène internationale. Si nous avions un centre d’intelligence économique, il aurait du pain sur la planche pour en déceler les conséquences sur les prix pétroliers et l’économie nationale. Mais en l’absence d’une telle institution,
nos experts ne vont pas se priver de nous livrer des analyses de plus en plus fines. Nous allons développer quelques aspects en ce sens. Commençons par les bonnes choses. L’Arabie Saoudite emboîte le pas aux autres pays du golfe pour se doter d’une stratégie et des objectifs quantifiés à un horizon précis : 2030. Ce qui est en soi une évolution favorable au niveau des pratiques du royaume.
On avait l’habitude de fournir des programmes parcellaires. Là, nous avons affaire à un package qui semble cohérent. La deuxième bonne nouvelle concerne les mesures d’accompagnement. Le tout constitue un bloc soudé de réformes. Plusieurs mesures phares ont été annoncées : vente de 5% de Saudi Aramco pour constituer le plus importants fonds souverain du monde (plus de 2000 milliards de dollars), presque trois fois supérieur au fonds norvégien. Il aura une stratégie d’investissement très diversifiée : technologie, finance, agriculture, énergies renouvelables, etc. Un responsable explique la situation ainsi : «Tout projet de développement dans le monde passera par nous». Mais l’agenda prévoit aussi  de faciliter les investissements étrangers dans le royaume. Ainsi que de promouvoir le travail des femmes. Mais les questions que se posent nos citoyens seraient : est-ce une bonne stratégie ? Peut-on s’en inspirer ? Quelles seraient les conséquences à long terme sur l’économie algérienne ? Ces questions méritent quelques explications et un début de réponse. On a eu des débats fréquents sur la question des fonds souverains ; alors qu’en est-il réellement ?

Alternatives d’utilisation des ressources
Les pays qui disposent de grands excédents de balance des paiements ont plusieurs choix à faire. Ils doivent décider de placer leurs excédents financiers quelque part. Il serait malencontreux de les laisser dans des situations de taux de retour nul puisqu’ils ont diverses alternatives de placement.
Chacune de ces options a des risques et des avantages. En premier lieu, un pays peut procéder comme l’Algérie à les placer dans des papiers financiers très sûrs et très liquides comme les bons du Trésor américains. Mais les rendements sont souvent négatifs en termes de taux d’intérêt réels ; c’est-à-dire que 1,5 à 2,5% de rendement sont souvent inférieurs à l’inflation. Donc, le pouvoir d’achat de ces avoirs stagne ou baisse légèrement. Mais en contrepartie, on peut les mobiliser lorsque l’on veut et il est quasi impossible de perdre le montant nominal de ces avoirs sauf s’il y a un démêlé politique grave avec les USA (cas de l’Iran). Le prêt qu’on a octroyé au FMI est vraiment marginal.
Ceci demeure une option très peu intéressante pour l’économie nationale. Pourtant, c’est ce qui a été choisi par nos décideurs. La seconde option concerne la constitution de fonds souverains. Les pays se dotent de fonds d’investissement internationaux pour profiter des opportunités d’affaires internationales. Ces fonds vont investir dans l’immobilier, la technologie, les produits financiers et autres des pays développés. Un pays peut être riche et moderne, mais pas développé (Koweït, Qatar, Dubaï, etc.). Ou il peut être les deux : riche et développé (Norvège, Etats-Unis, Suisse, etc.). L’avantage des fonds souverains serait leur rentabilité : entre 8 et 15% dépendant de l’efficacité de leur management.
Les rendements sont donc intéressants pour le pays, mais deux problèmes surgissent : en cas de crise, non seulement la rentabilité des fonds peut diminuer mais également la valeur des actifs. Durant la crise des Subprimes, les actifs des pays du Golfe ont chuté de 600 milliards de dollars. Ce qui a fait dire à certains de nos experts que l’Algérie ne devrait jamais faire pareil. Mais, trois ans plus tard, ces pays ont non seulement récupéré ces valeurs perdues (les 600 milliards) mais ont réalisé des plus-values en plus de la rentabilité obtenue. Ceux qui prônent un fonds souverain pour l’Algérie diront que si on avait constitué un fonds de 600 milliards de dollars au lieu de faire de mauvais investissements, on aurait chaque année une rentrée qui se situerait entre 50 et 90 milliards de dollars (de loin supérieurs aux recettes pétrolières actuelles).
L’option prise par l’Arabie Saoudite est celle de renforcer ses avoirs, donc accroître son fonds souverain. La troisième option - et de loin la meilleure - est celle que pratiquent la Chine et l’Inde. Une faible proportion est investie dans les papiers financiers (bons du Trésor) mais un pourcentage important est utilisé pour acheter des entreprises de haute technologie, développer les universités, la recherche scientifique, les industries du savoir pour mieux diversifier et booster leurs économies. Cette option donne des résultats et crée les conditions d’émergence dans un pays. Il faut que le pays dispose d’une planification stratégique pour propulser le pays en nation riche et développée en un laps de temps donné. Apparemment, ce n’est pas ce qu’a choisi l’Arabie Saoudite. Elle a préféré la seconde option : faire des investissements à rentabilité financière dans le reste du monde pour fructifier ses avoirs financiers. Sa stratégie est à mille lieues de celle des Coréens, des Chinois ou des Hindous.
Cette option est sûrement meilleure que la première (bons du Trésor américain) mais elle demeure de loin insuffisante pour prétendre être une nation technologiquement développée. On peut très bien prévoir le futur comportement géostratégique de l’Arabie Saoudite. Le pays aura tellement d’investissements à l’extérieur que sa priorité sera la stabilité et le développement de l’économie mondiale, même si c’est au détriment du marché pétrolier. Le pays aura intérêt à défendre un pétrole pas cher pour mieux rentabiliser ses investissements externes. Il faudrait à moyen terme s’attendre à ce que la stratégie actuelle des Saoudiens de défendre la hausse de la production et l’amélioration des parts de marché devienne une politique inchangeable du royaume. Il y a une forte probabilité que les marchés pétroliers à long terme seront structurellement baissiers. L’Algérie devrait donc planifier sur le long terme sur la base d’un marché pétrolier déprimé, diversifier son économie et utiliser le peu de ressources qui nous reste pour financer les facteurs clés de succès. Les développements environnementaux ne présagent rien de bon pour nous. Nous ne pouvons que compter sur nos capacités et notre intelligence à nous en sortir. Quant à l’Arabie Saoudite,  on sait à peu près ce qu’elle deviendra. Pays riche financièrement avec son pétrole, son fonds d’investissement et ses revenus tirés des Lieux saints, elle sera un pays super riche et moderne, mais loin d’être une nation développée.
Abdelhak Lamiri
 

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