APS - ALGÉRIE

jeudi 12 mai 2016

ENTRETIEN : Dr MOURAD PREURE, EXPERT PETROLIER, : «Le pétrole finira l’année entre 50 et 60 dollars le baril»

Entretien réalisé par Khedidja Baba-Ahmed pour le soir d'algérie
Le Dr Mourad Preure vient de participer au sommet pétrolier de Paris. Il est aussi membre du Paris Energy Club qui vient de se réunir. Nous l’avons approché pour nous parler du climat général dans lequel baigne l’industrie pétrolière, les évolutions en cours et à plus long terme, et surtout quels impacts pour notre pays, quels enjeux, quels challenges cela induit pour nous. Sur l’échec de la dernière rencontre de l’Opep à Doha, l’expert explique qu’il est «significatif non pas d’une simple divergence d’intérêts entre producteurs, mais surtout d’une géopolitique régionale complexe…» qu’il détaille longuement. Quant au devenir de l’OPEP, son sentiment est qu’«aujourd’hui la bataille autour des prix pétroliers s’est déplacée vers une bataille autour des performances des acteurs pétroliers». Et justement, lorsque nous l’interrogions sur les enjeux pour l’Algérie en cette période d’incertitudes, il a eu cette réponse : «… Nous ne devons plus nous considérer comme une source exportatrice, mais comme un acteur énergétique qui doit tirer avantage des transformations en cours pour renforcer sa position concurrentielle dans le monde…» Et il explique comment.

Le Soir d’Algérie : Quelles sont les grandes évolutions de la scène énergétique mondiale ? Fondamentalement, à quel enjeu devra faire face le marché pétrolier mondial et pour ce faire quels changements devront l’y préparer ? Une bataille des prix plus dure ? Une industrie pétrolière plus conséquente ?...
Mourad Preure : Comme me le disait un expert lors du sommet pétrolier de Paris, «c’est la soupe à la grimace». L’industrie pétrolière est en grande souffrance. Encore hier, le premier groupe pétrolier mondial, ExxonMobil a été déclassé par Standard & Poors et vient de perdre son triple A. Total annonce d’inquiétantes réductions de coûts. Les coupes dans les budgets d’investissement n’ont jamais été aussi fortes. Alors que l’investissement dans l’exploration-production a atteint un pic historique de 721 milliards de dollars en 2013, il a dégringolé depuis de 25% en 2015 et devrait encore baisser de plus de 22% en 2016. Le nombre de puits en activité aux Etats-Unis est passé de 1 600 à 500 puits. Il est vrai que les gains de productivité ont été exceptionnels, les coûts de production aux Etats-Unis ont baissés selon les cas entre 20 et 40% du fait du progrès technique mais aussi de la forte pression sur les sociétés de service qui tirent la langue aujourd’hui.
Les politiques drastiques de baisse des coûts ne prémunissent pas nombre d’entre-elles des risques de faillite. Les gains de coût de production pour les hydrocarbures seront de plus en plus difficiles, le progrès technique sera fortement sollicité encore, et plus encore à l’avenir, alors que les gisements vieillissent, les découvertes sont de plus en plus petites et géologiquement complexes et sont de plus en plus consommateurs de technologie et de capitaux. Donc l’industrie pétrolière est en grande souffrance. La guerre des prix expose cette industrie aux pires scénarios. Je veux parler des retards de développement qui s’en ressentiront sur les capacités de production futures, alors même que la demande subit un accident dans sa courbe historique, une anomalie dans sa croissance. En effet, le ralentissement de la demande ces dernières années ne peut être considéré comme structurel, du moins pour la zone hors OCDE qui tire la croissance de la demande et la tirera à hauteur de 80% les trente prochaines années. Les pays émergents partent de très bas. Alors que le pétrole représente plus de 80% dans la demande du secteur des transports, 11 Indiens sur mille et 27 Chinois sur mille ont une automobile contre 721 Américains sur mille et, en moyenne, 500 Européens sur mille. Quand bien même la demande énergétique, et notamment pétrolière de l’OCDE décline structurellement, le modèle de consommation énergétique occidental n’est pas généralisable à la planète, ni soutenable sur le plan environnemental. Le centre de gravité de la croissance mondiale et de la croissance énergétique s’est définitivement déplacé vers les pays émergents. Et contre cela, personne n’y peut rien. Ainsi, la baisse des investissements due à la chute des prix provoquera un déficit d’offre qui surviendra très probablement à la fin de la décennie et engendrera un choc très violent, dû à l’effet de ciseau entre la courbe d’offre et de demande. La géopolitique mondiale en sera puissamment affectée. Cela explique les convulsions présentes car les grands acteurs, principalement les Etats-Unis, la Russie et la Chine, se préparent aux confrontations futures. Le thème même du sommet pétrolier de Paris «How to restore the profitability o the oil industry in the current environment of cost and prices» est en lui-même tout un message !
Une question importante pour l’industrie pétrolière : la situation de l’économie mondiale, particulièrement précaire. Le ralentissement de la croissance mondiale, fait inédit, n’a pas été enrayé par un faible coût de l’énergie. Les grandes mutations en cours dans les pays émergents, dont la Chine qui passe d’un modèle de croissance tiré par les exportations vers un modèle de croissance tiré par la demande interne ont eu un impact déflagrant sur le reste de l’économie mondiale encore convalescente de la crise de 2008 et qui n’en a toujours pas traité les causes structurantes : une économie mondiale formée d’économies fortement interdépendantes, où la sphère financière a assujetti l’économie réelle, lui imposant sa logique spéculative de très court terme, alors que l’économie réelle est gouvernée par des règles de long terme, accentuées par le raccourcissement du cycle du produit et l’influence grandissante du progrès technique. Cela, dans un contexte où émerge un monde multipolaire qui remet en cause en profondeur le leadership américain et où les convulsions géopolitiques qui en sont en même temps la cause et l’effet engendrent une évolution chaotique, avec une accélération du changement, une forte imprévisibilité et un jeu d’acteurs de plus en plus agressif. J’y reviendrai plus loin. Il faut replacer dans ce cadre la stratégie saoudienne et les conséquences malheureuses qu’elle induit. Les prix ont atteint leur plus bas niveau depuis 2012. Ils ont baissé de 60% depuis 2014, alors que la demande reste encore dans un sentier de croissance faible, insuffisant pour soutenir un développement harmonieux de l’industrie pétrolière. Aujourd’hui, l’excédent d’offre par rapport à la demande est de 1,5 mbj.
On estime qu’au second semestre cet excédent sera réduit à quelque 200 000 à 300 000 bj. L’Opec et l’AIE convergent avec le consensus des experts pour anticiper un rééquilibrage du marché fin 2016. Je pense que la réunion de l’Opec prévue en juin pourrait prendre acte de ce rééquilibrage et amorcer un changement de politique de cette organisation.
Reste à trouver un équilibre entre des pays importants qui produisent en deçà de leurs capacités et surtout de leurs besoins de financement. Cette réunion sera un bon indicateur pour le marché. Elle sera surtout une échéance cruciale pour l’Opec où le partage des sacrifices, vieux démon, risque de remettre en cause tous les consensus qui ont fait la force de cette organisation.

Qu’est-ce qui, aujourd’hui, fait que les énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse…) que beaucoup s’accordent à qualifier d’énergie de l’avenir eu égard à la raréfaction des ressources fossiles et aux préoccupations écologiques, soient aussi peu présentes dans les utilisations énergétiques ? Leurs coûts ? La technologie non encore totalement maîtrisée ?...
Les énergies renouvelables connaîtront un fort essor à l’avenir. Elles ne dépassent pas néanmoins jusqu’à l’horizon 2040 14% de la consommation mondiale d’énergie contre près de 56% pour les hydrocarbures. Les hydrocarbures resteront encore la source d’énergie majeure, le pétrole à peu près le tiers de la demande mondiale et le gaz tendant vers le quart de la demande d’ici 2040 puis tendant vers la parité avec le pétrole, autour de 30% chacun. Ceci alors que nous sommes dans le peak oil qui prend la forme d’un plateau ondulé où le progrès technique porte à chaque fois l’offre au niveau de la demande. Les énergies fossiles, pétrole, gaz et charbon représentent 80% de la consommation d’énergie. Leur part tendra à baisser d’ici la mi-siècle, où le relais sera pris par les renouvelables, mais surtout par le nucléaire avec les réacteurs de quatrième génération, les sugénérateurs. De fait, les renouvelables représentent un potentiel important mais encore coûteux. Notre pays dispose d’un ensoleillement exceptionnel et aussi de ressources en gaz qui rendent possible une véritable dynamique de transition énergétique menée par des centrales hybrides solaires/gaz, où le coût du kilowattheure est le plus compétitif. Le progrès technique va faire évoluer favorablement l’économie des renouvelables. Nous devons, et nous avons les moyens, de devenir un acteur majeur dans ces challenges, à condition de les considérer d’abord comme des challenges industriels qui seront portés par nos entreprises publiques et privées, nos universités et notre recherche. L’Etat doit jouer le rôle de chef d’orchestre et encourager le développement des renouvelables qui doivent dominer à terme notre bilan énergétique. Nous en avons les moyens, nous sommes surtout mis en demeure de le faire car le dynamisme de notre demande, qui sera amplifié par notre développement industriel, ne trouvera pas de ressources fossiles pour le satisfaire, sauf à renoncer à exporter.
Nous devons aussi nous investir dans les réseaux distribués de type smart grid car si 50% des Algériens produisaient 20% de leur électricité, c’est 10% de la consommation d’économisé et autant de volumes de gaz exportables pour défendre nos parts de marché. Nous devons nous inscrire dans la 3e révolution industrielle qui verra une convergence entre internet et les renouvelables. Il s’agit plus que d’une coquetterie, il s’agit de notre destin énergétique et industriel qui peut être celui d’un leader avec des champions industriels et technologiques et dans leur sillage un essaim de PME et d’universités de référence dans ces technologies du futur.

Evoquant, très récemment l’échec de la rencontre Opep+4 pays non membres, vous considériez que les «… graves différends d’ordre géopolitique entre l’Iran et l’Arabie Saoudite expliquent l’issue de cette rencontre…» Ces différends n’étant pas conjoncturels, peut-on tout de même espérer que la prochaine réunion de l’Opep (juin 2016 à Vienne) puisse parvenir à un accord ?
La révolution des pétroles de schiste a fait perdre 2 mbj de parts de marché, ce qui a été perçu comme un signal fort suffisant pour qu’à la réunion de novembre 2014, alors que les prix étaient déjà engagés dans une spirale baissière du fait des surproduction des huiles de schiste américains et de l’Opec, pour que celle-ci rompe avec la ligne de défense des prix et s’engage dans l’aventure de la guerre des prix dont nous mesurons les conséquences aujourd’hui.
Angélisme ou manque de perspicacité stratégique, l’Arabie Saoudite dit vouloir échanger un «short term pain» contre un «long term gain». Une douleur à court terme contre un gain à long terme. Je crois que tous les experts convergent aujourd’hui pour dire que la durée du sacrifice aura été plus longue que prévu par l’initiateur de la guerre des prix, et que surtout son coût a été sous-évalué, sous-estimé. Les dégâts sont grands, je l’ai déjà dit, pour l’industrie pétrolière, les compagnies pétrolières internationales, ils sont dévastateurs pour les pays producteurs alors que l’issue de cette aventure n’est pas encore assurée. Le marché tend à se rééquilibrer au second semestre 2016 comme je l’ai dit plus haut et comme je l’avais anticipé lors de la réunion entre les experts et le gouvernement le 20 septembre 2015. La baisse importante de janvier était prévisible. Alors que le marché était en «contango» (orientation haussière), du fait des anticipations pessimistes des marchés, prévoyant un hiver doux et un retour massif de l’Iran, voire de la Libye et une hausse du dollar suite au relèvement attendu des taux directeurs par la FED, il est passé en «backwardisation» (baissier) car les opérateurs se débarrassaient des positions longues.
Les choses rentrent dans l’ordre avec le recul de la production américaine, à présent sous les 9 mbj et la perspective de plus en plus proche de la «driving season» aux Etats-Unis qui verra la demande augmenter sensiblement. Les stocks américains en baisse confirment cette orientation. Mais néanmoins, je ne pense pas qu’un simple gel de la production agira de manière déterminante sur les prix. Nombre d’experts le pensent. L’ampleur du rééquilibrage du marché et sa vitesse dépendront fortement des politiques des pays producteurs et de la poursuite de cette curieuse guerre des prix.
L’échec de la rencontre de Doha est significatif non pas d’une simple divergence d’intérêts entre producteurs, mais surtout d’une géopolitique régionale complexe qui n’a cessé depuis Yalta de peser sur le marché pétrolier. Je l’ai déjà dit, la révolution des schistes américains est l’évènement le plus important dans l’histoire pétrolière depuis la rencontre sur la croiseur Quincy en mer Rouge entre Roosveelt et Ibn Saoud, rencontre qui a scellé le contrôle des Etats-Unis sur les réserves pétrolières du Moyen-Orient et consacré leur dépendance vis-à-vis de cette région.
A présent, les Etats-Unis sont indépendants de l’Arabie Saoudite sur le plan pétrolier, alors que le pays qui leur conteste le leadership mondial, et qui va le leur arracher dans les vingt prochaines années, soit la Chine, en est étroitement dépendant. Le jeu stratégique états-unien au Moyen-Orient est ambivalent.
En même temps il s’en autonomise, mais aussi il ne veut pas en être exclu, voire il y voit un levier de puissance majeur à ne pas négliger.
En résulte un désamour avec l’Arabie Saoudite et un axe Washington-Téhéran de plus en plus manifeste. L’Arabie Saoudite voit sa position précarisée, alors que du fait de facteurs biologiques, la succession dans la famille Al Saoud est à un tournant. Je pense que cette crise pétrolière a des ramifications jusqu’au plus profond du pouvoir saoudien.
Au-delà de la rivalité avec l’Iran dans le leadership régional qui est une réalité. Car l’Iran dispose d’un axe chiite qui atteint, à présent que Saddam a été indûment sacrifié par les stratèges américains, la Méditerranée orientale. Cet axe part de la mer Caspienne et du détroit d’Ormuz et tend à embrasser avec le Yémen le détroit de Bab El-Mandeb, la porte d’entrée de la mer Rouge. Ainsi, la guerre des prix dépasse le strict cadre du marché pétrolier pour s’inscrire dans une carte géopolitique extrêmement complexe et lourde d’incertitudes. La montée du jeune prince Mohamed Bin Salman, puissant vice-héritier qui tient les rênes de l’économie et de l’industrie pétrolière, se traduit par des approches stratégiques nouvelles : ouverture à 5% du capital de la compagnie pétrolière Aramco et constitution d’un fonds d’investissement de 2 000 milliards de dollars.
L’Arabie Saoudite déploie une véritable stratégie de puissance, en réponse au déploiement iranien, et cette stratégie, nous le voyons, atteint nos frontières puisqu’elle comporte aussi une fédération des monarchies, incluant notre voisin de l’ouest. Le pétrole sera rare demain.
La crise pétrolière est survenue après une décennie de prix élevés, ce qui a réduit son impact encore sur les producteurs. Mais d’entre tous, toutes proportions gardées, l’Arabie Saoudite a la plus grande capacité de résilience avec ses 600 milliards de dollars de réserves de change et malgré ses 90 milliards de dollars de déficit budgétaire qui lui imposent une plus grande orthodoxie en matière de dépenses publiques, difficile épreuve en l’espèce en période de succession. Retenons pourtant que ce pays a les moyens de ses ambitions, il est le maître du long terme («masters of the long haul»). Ira-t-il jusqu’à sacrifier l’Opec qui est un vecteur important de sa puissance? J’en doute.

Plus prosaïquement quel avenir pour l’Opep ? Peut-elle, réellement, jouer un rôle dans la régulation du marché pétrolier ?
Complémentairement à ce que j’ai dit plus haut, la guerre des prix, la défense des parts de marché est de toute évidence une impasse stratégique pour l’Opec qui depuis les années 1970 a toujours été enfermée dans ce dilemme : défense des prix ou défense des parts de marché. Aujourd’hui, l’Opec peut difficilement jouer le rôle de «swing producer», de producteur résiduel et cartelliser le marché. Cela car si elle inonde le marché comme elle le fait aujourd’hui pour en exclure les pétroles de schiste, plus coûteux, ceux-ci, en effet, ce qui se passe aujourd’hui, disparaissent du marché car non rentables mais reviendront dès que les prix remonteront et concurrenceront à nouveau l’offre Opec.
A l’inverse, si elle réduit son offre pour faire remonter les prix, dès lors que les prix reprennent, les productions concurrentes redeviendront rentables et reviendront également sur le marché.
La conclusion est que nous sommes entrés dans un nouveau paradigme pétrolier, un nouveau modèle où l’Opec cherche encore sa place. Mon sentiment est qu’aujourd’hui la bataille autour des prix pétroliers s’est déplacée vers une bataille autour des performances des acteurs pétroliers. La technologie est la clé de l’avantage concurrentiel et le sera davantage dans le futur car les gisements vieillissent, comme je vous l’ai dit, deviennent plus complexes, les découvertes sont plus petites, plus complexes et donc plus coûteuses. Le monde découvre un baril quand il en consomme six annuellement.
Le pétrole de demain sera plus technologique. Cela implique pour les pays producteurs de porter la bataille au niveau de leurs compagnies nationales, Sonatrach pour ce qui nous concerne, qu’ils doivent renforcer sur les plans technologique et managérial, entraînant derrière elle universités et entreprises privées et publiques nationales qui deviendraient ainsi le socle de leur puissance.
La solidarité entre pays producteurs doit prendre une forme nouvelle, celle d’une solidarité entre compagnies pétrolières nationales qui s’exprimerait par des partenariats stratégiques. L’Opec doit prendre cette direction, à mon avis, sans pour autant cesser de se préoccuper de défendre les prix.
La Libye est déterminée à revenir à son niveau de production avant crise, soit 1,6 Mbj, et ce avant fin 2016. L’Iran est déterminé à accroître sa production pour atteindre son niveau avant embargo, soit 4,3 mbj. Elle incrémenterait le marché de plus de 1 mbj. Ajoutez à cela les perspectives d’augmentation de la production irakienne, nous aurons un total de 3 mbj qui menacent, selon toute probabilité, de revenir sur le marché dans l’année à venir. De fait, la reprise de la demande, conjuguée à la baisse structurelle de la production Nopec, principalement américaine, sera confrontée à l’arrivée de volumes Opec, ce qui fera de l’année 2017 une année portée par une tendance haussière, mais aussi et surtout par de fortes incertitudes autant sur l’offre que sur la viabilité du système Opec.

Quels sont les enjeux, quels sont les challenges pour notre pays ? Dans quelle voie, avec quelle stratégie et sur quel positionnement devra s’orienter l’Algérie dans le domaine des hydrocarbures et plus particulièrement dans le domaine du gaz et de sa commercialisation à l’international ?
D’abord, nous devons, je le souligne encore, garder notre sang-froid. Je trouve que nous surréagissons à l’excès à cette crise. Elle passera comme toutes celles qui l’ont précédée. Il faut nous préparer à l’après- crise. Je pense que les prix finiront l’année entre 50 et 60 dollars le baril. La moyenne de l’année n’atteindra pas les 50 dollars le baril, néanmoins. J’ai vu hier sur la presse que le FMI estime que le prix minimum pour équilibrer le budget algérien serait de 87 dollars le baril. Je pense que les années 2016 et 2017 seront pénibles mais que nous avons les moyens de résister, à l’impérative condition que nous sortions résolument du modèle rentier et que des mesures structurantes soient prises pour engager une croissance endogène, tirée par la production de richesse et, surtout, l’innovation. Il faut encourager l’initiative, l’entreprise et les entrepreneurs, ceux qui risquent leur argent pour produire des richesses et générer des emplois.
Notre système financier doit être revu en conséquence et porté aux standards internationaux. Nos universités et nos entreprises, de même. Pour ce qui concerne les hydrocarbures, nous ne devons plus nous considérer comme une source exportatrice, mais comme un acteur énergétique qui doit tirer avantage des transformations en cours pour renforcer sa position concurrentielle dans le monde.
Renforcer et autonomiser davantage Sonatrach, encourager le privé à investir le secteur des services pétroliers et la sous-traitance, encourager nos partenaires à délocaliser chez nous des activités à haute intensité technologique, voilà les défis. Avec cela Sonatrach pourrait devenir un grand découvreur d’hydrocarbures, une compagnie déployée internationalement et qui aura pour double vocation de procurer des ressources financières à l’économie nationale et d’assurer l’équilibre énergétique à long terme. Dans ce cens, pour ce qui est du gaz, Sonatrach doit pouvoir s’intégrer dans l’aval gazier et la génération électrique en Europe.
En retour, elle offrira à ses clients gaziers européens l’opportunité de s’intégrer dans l’amont gazier en Algérie. Ils partageront ainsi harmonieusement avec elle le risque lié au développement de cette industrie hautement capitalistique.
En s’intégrant dans l’aval gazier et la génération électrique en Europe, Sonatrach pourra protéger ses débouchés face à des nouveaux entrants de plus en plus agressifs et qui ont les moyens de l’y déloger. Je pense aux Etats-Unis, au Qatar, à l’est méditerranéen, mais aussi à l’Iran, demain. L’intervention du représentant iranien au sommet pétrolier de Paris a été un véritable évènement. Il a annoncé l’ouverture de l’amont iranien, une libéralisation, des formules contractuelles et une fiscalité attrayante. L’Iran revient en force, autant pour le pétrole que pour le gaz.
L’Algérie gagnerait à coordonner sur ce plan ses actions avec ce pays qui dispose d’importantes réserves et qui peut bénéficier de notre expérience.
K. B.-A. in LSA

BIO EXPRESS
Mourad Preure a été à la tête de la stratégie de Sonatrach. Il enseigne la stratégie et la prospective. Il préside le cabinet Emergy International Strategic Consulting, spécialisé dans le conseil en stratégie et études énergétiques. Il est l’auteur de l’ouvrage France-Algérie, le grand malentendu, coécrit avec Jean-Louis Levet aux éditions l’Archipel.

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