APS - ALGÉRIE

lundi 28 mars 2016

MALEK BENNABI : LE PHENOMENE CORANIQUE (Deuxieme Partie)

Par Noureddine BOUKROUH
Les corps de tous les pharaons concernés par les évènements décrits dans les Ecritures saintes ont été retrouvés à la fin du XIXe siècle dans la Nécropole de Thèbes, dans la Vallée des Rois, où ils ont été préservés pendant plus de 3 000 ans. La chronologie des rois de l’ancienne Egypte a établi qu’Aménophis IV n’était pas contemporain de Moïse.
Ce dernier a eu affaire à Ramsès II avant son exil en pays madianite, puis à Mineptah qui serait le pharaon historique et réel de la traversée de la mer. Quant à Akhenaton, il serait mort un demi-siècle au moins avant la naissance de Moïse. 


La thèse soutenue par Bennabi rejoint cependant celle de la tradition juive qui situe l’Exode à l’époque d’Amenhotep IV, mais s’en éloigne quand cette dernière affirme que la «révolution religieuse de celui-ci ne doit rien à Moïse puisqu’elle lui est antérieure». André Neher écrit : «C’est surtout l’extraordinaire aventure spirituelle d’Amenhotep IV que l’on met en rapport avec celle de Moïse… Il devient Ikhénaton (le fils d’Aton), et sa capitale Ikhoutaton. C’est, du moins dans toute l’Antiquité, en dehors d’Israël, l’unique instant de monothéisme.»(8) Elle est en tout cas conforme à l’exégèse biblique de 1768 qui présente Aménophis IV comme étant le pharaon de l’Exode. Avant sa publication, Le phénomène coranique a été, comme on le sait, soumis au cheikh Draz de l’université islamique d’Al-Azhar pour qu’il en rédige la préface. Dans celle-ci, le âlem égyptien n’a pas manqué d’attirer l’attention du lecteur sur quelques points sur lesquels il était en désaccord avec Bennabi, mais ni lui ni davantage son compatriote Abdessabour Chahine, qui a traduit l’ouvrage en arabe, ne se sont arrêtés à cette question qui n’aurait pas dû échapper à des hommes versés dans la connaissance du Coran et à des Égyptiens plus compétents que d’autres dans la connaissance de leur histoire.
Bennabi s’est également livré dans Le phénomène coranique à un rapprochement entre le contenu de certains versets coraniques et les ultimes connaissances mises à jour par le progrès scientifique.
Il n’en a pas fait cependant une spécialité même s’il a eu l’intention d’écrire un livre intitulé «Sur les traces de la pensée scientifique de l’islam». Pour lui, il importe peu que le caractère divin du Coran soit corroboré par des découvertes scientifiques. Au contraire, il redoute que les musulmans ne tombent dans un autre travers, le «goût du merveilleux» et l’orgueil puéril.
Il écrira à ce sujet trente ans plus tard dans L’œuvre des orientalistes et leur influence sur la pensée musulmane moderne(9) qu’il faut regarder comme un prolongement de l’introduction du Phénomène coranique : «Il ne s’agit pas de se demander si le Coran contient une allusion plus ou moins claire à telle découverte, mais de se demander si le Coran peut créer dans une société le climat favorable au développement de la science, et s’il déclenche dans sa psychologie les mécanismes nécessaires à l’acquisition et à la transmission de la connaissance. C’est là le problème de la science, non pas d’un point de vue épistémologique, mais d’un point de vue psychosociologique.
Il suffirait d’ailleurs pour justifier la pensée islamique du premier point de vue d’évoquer à son actif deux inventions sans lesquelles tout le progrès technologique du XXe siècle serait inconcevable. En effet, le progrès technologique qui culmine aujourd’hui dans le chapitre de la physique nucléaire pourrait-il se concevoir sans des méthodes de calcul ultra-rapides qui n’ont été possibles qu’avec la mise au point préalable d’un système numérique approprié ? Seul le système décimal qui permet d’écrire une constante comme le nombre d’Avogadro avec neuf chiffres seulement pouvait le permettre.
Or, cette mise au point préalable essentielle a été faite par la civilisation musulmane, c’est-à-dire d’une façon plus précise dans le climat intellectuel formé par la notion coranique. De même, sans la contribution de l’algèbre dont le nom même est arabe et qui a permis au calcul de passer du stade numérique à celui de la mathématique pure, le progrès n’eut été possible dans aucun domaine des sciences exactes. Or, c’est dans le climat créé par la notion coranique que l’algèbre a vu le jour… Il est superfétatoire d’ajouter que le Coran n’a apporté dans ses versets ni le système numérique décimal ni l’idée du calcul algébrique. Il a apporté quelque chose de plus important : le climat moral et intellectuel dans lequel a pris naissance une attitude nouvelle à l’égard de la science.»
Le phénomène coranique est l’œuvre d’un savant. Tel un chercheur dans un laboratoire, l’auteur entre dans les méandres du Coran, procède à des prises d’échantillons et va les déposer sous l’œil du microscope. Il en sort non pas avec une satisfaction béate mais avec une conclusion générale qui s’étend à l’ensemble des aspects de la vie historique : «Le Coran brosse un tableau saisissant du drame perpétuel des civilisations sur lequel il nous invite à nous pencher.» Un tel travail a requis un esprit scientifique nourri des plus récentes acquisitions, des connaissances étendues à tous les domaines de la science et une information complète sur les religions. Il a pourtant été écrit dans un camp de concentration par un homme qui risquait d’être passé par les armes si les accusations qui pesaient sur lui venaient à être prouvées et qui, au lieu d’être préoccupé par son sort, est habité par la pensée d’apporter aux croyants de toutes les confessions le réconfort de la certitude rationnelle.
Il faut signaler qu’avant de rédiger Le phénomène coranique Bennabi a connu une période de doute dont il fait état lui-même. En effet, il évoque à la fin de son livre cet embarras et «les préjugés de l’intellectuel, parfois déconcerté par l’ordre imprévu des idées (formulées dans le Coran) et par leur nature parfois surprenante». Mais à mesure qu’il multipliait ses lectures du Coran, il en découvrait l’ordre, l’architecture et la nature «qui ne sont pas ceux d’une encyclopédie de faits scientifiques, ni d’un livre didactique consacré à une discipline particulière».
Le Coran, le Prophète et la Sunna lui sont alors apparus comme portant en eux-mêmes les preuves rationnelles de leur authenticité. C’est ainsi que ses préjugés cédèrent et qu’il put concevoir ce livre.
Bennabi s’est réalisé intellectuellement en réalisant cet ouvrage. Il s’est libéré définitivement d’une confusion : le problème n’est pas dans l’islam mais dans la manière dont les musulmans l’ont compris et vécu. C’est en se libérant de ce travail qu’il est passé du religieux au psychologique, du théologique au sociologique et de la métaphysique à la philosophie de l’histoire.
A la parution du livre, le professeur Mahdad (1896-1984), sénateur de l’UDMA, en fait une présentation dans la presse nationaliste : «Le livre de M. Bennabi, outre qu’il pose et résout le problème de la foi d’une manière magistrale, est appelé par ses répercussions psychologiques et sociales à un retentissement considérable…
En saluant Le phénomène coranique comme point de départ d’un renouveau religieux nécessaire dans ce pays, nous souhaitons de tout cœur qu’il soit aussi le premier monument de la pensée algérienne rénovée au contact de l’Occident» (Egalité du 10 avril 1947, organe de l’UDMA de Ferhat Abbas, qui deviendra, à partir de février 1948, La République algérienne).
En février 1954, un médecin français de solide culture scientifique se présente à la Mosquée de Paris pour proclamer sa conversion à l’islam. C’est le Dr Emmanuel Benoist. Il confie à un journal : «L’élément essentiel et définitif de ma conversion à l’islam a été le Coran. J’ai commencé à l’étudier avant ma conversion avec le regard critique d’un intellectuel occidental, et je dois beaucoup au magnifique travail de M. Bennabi, intitulé Le phénomène coranique qui m’a convaincu que le Coran était un livre divin. Il y a certains versets qui enseignent exactement les mêmes notions que les découvertes les plus récentes et les plus modernes. Cela m’a définitivement convaincu.» Avant de se consacrer entièrement à la problématique de la renaissance du monde musulman, Bennabi va se permettre un petit répit en rédigeant un roman, le seul de sa bibliographie, Lebbeïk.

1. Dans l’introduction à La Bible, le Coran et la science (Ed. Sned, Alger, 1976), Maurice
Bucaille fait état des changements survenus dans l’attitude des plus hautes autorités
ecclésiastiques envers l’islam au cours des dernières décennies et cite à l’appui un document
officiel intitulé «Orientations pour un dialogue entre chrétiens et musulmans», élaboré à la
suite du concile de Vatican II et qui invite les chrétiens à écarter «l’image surannée héritée du
passé ou défigurée par des préjugés et des calomnies» et à «reconnaître les injustices du
passé dont l’Occident d’éducation chrétienne s’est rendu coupable à l’égard des musulmans».
2. Cf. L’homme d’où vient-il ?, Ed. Seghers, Paris 1981.
3. L’universitaire et orientaliste française Eva de Vitray-Meyerovitch s’est convertie à l’islam
en 1955. A l’époque, elle dirigeait le service des sciences humaines du CNRS. Elle dit à
propos de sa conversion : «L’islam répondait pour moi à un souci d’universalisme. Je ne
pouvais imaginer que Dieu se révèle d’une manière privilégiée soit à un peuple élu
(judaïsme) soit à une Eglise (christianisme). Dieu étant par essence la Vérité ne pouvait se
révéler de différentes manières : celle-ci ne pouvait être qu’unique à mes yeux… La grande
idée de l’islam c’est qu’il se veut le rappel de ce qu’a d’essentiel la révélation abrahamique…
J’ai longuement réfléchi avant de me décider. Je voulais être sûre de moi. Avant de faire ma
déclaration de foi musulmane, j’ai fait trois ans d’études théologiques chrétiennes afin d’être
certaine que je ne rejoignais pas l’islam par méconnaissance du christianisme… Pour moi,
l’islam est le commun dénominateur de toutes les autres religions.» Cf. Pierre Assouline Les
nouveaux convertis, Ed. Albin Michel, Paris 1982. Le 17 décembre 2005, le Collectif
Hamidullah a rendu à Paris un hommage à Malek Bennabi, Eva de Vitray, Meyerovitch et
Mohamad Hamidullah. M. Boukrouh était parmi les conférenciers.
4. Les versets coraniques relatifs à ce sujet sont les suivants :
a- «Nous avons fait traverser la mer aux fils d’Israël. Pharaon et ses armées les poursuivirent
avec acharnement et hostilité, jusqu’à ce que Pharaon, sur le point d’être englouti, dit : «Oui,
je crois : il n’y a de dieu que celui en qui les fils d’Israël croient ; je suis du nombre de ceux
qui lui sont soumis.» Dieu dit : «Tu en es là, maintenant, alors que précédemment tu étais
rebelle et que tu étais au nombre des corrupteurs. Mais aujourd’hui, nous allons te sauver en
ton corps afin que tu deviennes un signe pour ceux qui viendront après toi.» (10, 90-92)
b - «Pharaon les poursuivit avec ses armées ; le flot les submergea. Pharaon avait égaré son
peuple, il ne l’avait pas dirigé.» (20, 78)
c - «Le jour de la Résurrection, il (Pharaon) marchera en tête de son peuple et il le conduira
au feu comme on conduit un troupeau à l’abreuvoir.» (11, 98).
5. C’est littéralement la traduction du premier membre de la «chahada» islamique (attestation
de foi) : «La Ilaha illa-l-lâh…».
6. Cf. Moïse et le monothéisme, Ed. Gallimard, Paris 1948.
7. Op.cité.
8. Moïse et la vocation juive, Ed. du Seuil, Paris 1957.
9. Ed. Révolution africaine, Alger 1968. 

IN LSA 

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