Vouloir discuter avec le docteur Fethi
Merad Boudia, c’est prendre le risque de voir sa conversation
interrompue par les coups de fil et les demandes émanant de la « petite
armée », qu’il dirige. 25 résidents, autant d’externes, une dizaine
d’internes… Le service de chirurgie générale du centre
hospitalo-universitaire de Bab El Oued (hôpital Lamine Debaghine,
ex-Maillot), dont il est à la tête depuis deux ans, est constamment en
effervescence.
Le jeune membre de l’Académie française
de chirurgie a été honoré par ses pairs lors d’une cérémonie qui s’est
déroulée à Paris, le 20 janvier dernier. À ses côtés, le travail d’un
autre Algérien a été reconnu, il s’agit du professeur Messaoud Zitouni,
le « patron » ou le « père » comme le surnomme tour à tour le Dr Merad
Boudia. « Je suis fier d’avoir été son élève, interne, assistant,
résident… », explique celui qui dispose également du titre de
professeur.
La médecine, une histoire de famille
Chez les Merad Boudia, famille
originaire de Tlemcen, le scalpel passe de main en main. Les frères,
Kheireddine et Bachir, sont également médecins. Le premier est un
cardiologue reconnu et dirige le service de cardiologie du CHU Mustapha
Bacha, à Alger. En France, le cousin, Zoher Merad Boudia, exerce dans la
cancérologie et participe activement à la recherche dans le domaine.
Pour Fethi Merad Boudia, la médecine
n’était pourtant pas une vocation. Né en novembre 1954, ce « fils de la
révolution » veut être pilote ! Sa mère, qui doit s’occuper seule d’une
fratrie de dix enfants après la mort de son mari lui oppose un franc
refus. Son fils sera médecin et il « ouvrira les ventres ». Le père,
lui, décède d’un cancer en 1961, après avoir tout vendu et expatrié la
famille vers la France pour se soigner. Ce dernier, sentant l’imminence
de l’indépendance et sa fin proche, laisse des consignes claires, sa
progéniture ne restera pas en France. C’est ainsi que le jeune Fethi
commence sa scolarité à Paris avant que la famille ne revienne à Alger
en 1965.
« Ce que femme veut, Dieu le veut », dit
un célèbre proverbe. « Le désir de la mère a été exercé par un chemin
chaotique », précise Fethi Merad Boudia. À son retour de vacances à
l’étranger, le jeune bachelier est pris au piège. Ses proches l’ont
inscrit en médecine à la faculté d’Alger. Il se résigne et envisage dans
un premier temps de devenir psychiatre avant de suivre le chemin du
grand frère en se tournant vers la chirurgie cardiaque. Mais, cette
spécialité « l’emmerde », nous confie le professeur dans un franc-parler
rafraîchissant. Finalement, Il se dirigera vers la chirurgie générale
et notamment la chirurgie digestive qu’il juge « plus passionnante ».
Un homme de science
Cohérence. Voilà un mot qui ponctue
allègrement son discours et qui définit bien le personnage. Considéré
comme un « mentor » par certains de ses élèves, les médecins qui
travaillent avec lui louent son « apport scientifique important », son
exigence et sa capacité à transmettre ses connaissances. « Je ne fais
que mon travail », tranche celui qui refuse un quelconque statut de
héros. Très pointilleux, il ajoute obligatoirement un argumentaire à
chaque affirmation et s’interroge toujours sur ce récent intérêt de la
presse pour sa personne. « S’il y avait vraiment un portrait à faire, ce
serait celui de ma femme ! ». Le Dr Zahida Bairi Merad Boudia, est
elle-même professeur et chef du service ophtalmologique du CHU de Blida.
« C’est un petit bout de femme qui a su s’imposer au sein de la société
algérienne en toutes circonstances ».
Une femme qui lui apporte aussi son
soutien quand il décide de partir pour Paris en mai 1993, lui permettant
ainsi de se consacrer entièrement au travail. Au départ, l’objectif est
de gagner en expérience et de revenir avec un article rédigé. Relégué
au statut d’interne alors qu’il est déjà chirurgien, il passe ses
journées à l’hôpital et décroche le Graal, un poste de chef de
clinique ! L’expérience qui devait durer six mois, se terminera
finalement en 1999. Il quitte alors l’Assistance publique des hôpitaux
de Paris pour revenir à Alger.
Son séjour en France transforme
complètement sa vision des choses. Dès lors, il consacrera beaucoup de
temps à la recherche médicale et scientifique ainsi qu’à l’enseignement,
en tant que professeur au sein de l’hôpital universitaire. À ce titre,
il a été admis à l’Association de recherche en chirurgie française, ce
qui lui a permis de partager son expertise lors de Congrès
internationaux et à travers son statut de « reviewer » pour la revue
scientifique World Journal of Surgery.
Auteur de nombreux articles, qui
demandent des mois de travail et qui sont publiés dans des revues
scientifiques indexées, lui qui exerce depuis plus de 35 ans, révèle que
la tâche la plus aisée reste « le bloc ». « C’est comme une immunité
diplomatique », lâche-t-il en souriant, car lorsqu’il est dans son
bureau, pas le temps de contempler la vue méditerranéenne. La charge
administrative est importante et la gestion des étudiants, prenante.
« J’ai deux axes, le malade et
l’étudiant. Il faut les impliquer, on les fait participer autant qu’on
le peut », détaille le professeur, qui anime régulièrement un séminaire
de rédaction d’article médicale et de méthodologie. Selon lui, le
problème de la prise en charge universitaire réside dans le nombre
important des étudiants. À sa résidente, qui nous explique le dévouement
de son professeur, ce dernier répond modestement : « des Merad, il y en
a des millions, je suis content de rendre service à mes élèves ».
Quant à son entrée à l’Académie
française de chirurgie, il ne la considère pas comme une fin en soi mais
plutôt comme un « accomplissement, une fierté », qui vient récompenser
un travail de longue haleine dans la recherche.Naissance
29 novembre 1954 à Tlemcen
Études
Faculté de Médecine d’Alger : spécialité en chirurgie, 1986
Professeur en chirurgie de la Faculté de Médecine d’Alger, 2011
Parcours
– 1986-2014 : Exerce à la clinique des Orangers, à Alger (aujourd’hui EPH Djilali Rahmouni)
– 1993 à 1999 : Chef de clinique, Hôpital Louis Mourier, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris
– 2014 à ce jour : Chef de service au CHU de Bab El Oued, Alger
– Occupe la fonction de secrétaire général de la Société algérienne de chirurgie durant trois mandats
– 1993 à ce jour : membre de l’Association de recherche en chirurgie française
– Depuis décembre 2015 : membre à titre étranger de l’Académie française de chirurgie
Citation
« À l’intelligence du cerveau, la générosité du cœur ».
TSA
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