Je tiens cette formule (non chimique) d’un anthropologue algérien, qui a tenté de m’expliquer le déphasage qui s’est creusé entre la société et le pouvoir, en général, jusque et y compris vis-à-vis des partis de la coalition au pouvoir et ceux des oppositions, des organisations de masse et des associations.
En effet, nul n’a compris (moi compris) le
raz-de-marée populaire qui a envahi nos villes et nos villages, en date du 22
Février 2019 et après, ainsi que les slogans scandés par le peuple !
Personne, dans la foule n’a demandé du pain, du travail, des avantages ou tous
autres biens matériels mais tous revendiquaient seulement le droit à la
dignité, au sens large, que vingt ans de pouvoir absolu et arrogant du
Président Abdelaziz Bouteflika, sa fratrie et son clan, ont imposé à tout un
peuple.
Personnellement, j’avais, dans plusieurs
contributions antérieures, parlé de « masse critique »
(empruntée à la physique) de revendications qui n’attendaient qu’une étincelle
pour que l’explosion sociale se réalise. J’ajoutais que cette étincelle pouvait
provenir de n’importe quel événement, important ou mineur, à l’instar de ce qui
s’est passé en Tunisie. Dans le cas de notre pays, l’étincelle
proviendrait-elle de la proclamation de la candidature, à un 5ème mandat, du
Président, handicapé depuis plusieurs années et en convalescence en
Suisse ? Il me semble que c’est la piste la plus pertinente à creuser pour
l’instant car certains persistent à développer la thèse du complot intérieur
(avec, tapi dans l’ombre, le général de corps d’armée à la retraite M. Mediene
dit « Toufik », ex-patron du DRS) et d’autres, évoquent le complot
extérieur fomenté par « Israël et ses ramifications sionistes
internationales », qui viserait tous les pays arabes et musulmans. A
l’évidence, les jours qui suivent viendront sûrement apporter plus de
luminosité dans cette bouteille d’encre.
J’avoue humblement que le concept de
« chimie politique » est, de loin, le plus séduisant et rend compte
d’une réalité sociopolitique concrète, dans laquelle on retrouve des traces
anthropologiques certaines. Un mouvement de masse (certains observateurs
étrangers affichent le chiffre record de 17 millions de marcheurs le 15 Mars
2019) qui chaque vendredi (cela en fait quatre pour l’instant), est de plus en
plus important, jamais atteint depuis l’indépendance, ne peut être que le
résultat d’un processus d’un rejet sociétal, qui a maturé dans la société,
depuis très longtemps.
Il se caractérise, en outre, par des
manifestations pacifiques voire cordiales et débonnaires, ce qui n’a rien à
voir avec celles d’Octobre 1988 durant lesquelles des violences et des
pillages, ont entraîné la mort de centaines de jeunes et d’enfants. Enfin, les
slogans criés par la foule sont identiques sur tout le territoire
national : Pas de 5ème mandat et pas de prolongation de mandat. Ces
slogans pourraient se traduire par l’obligation de maintenir l’élection
présidentielle, à la date fixée par la constitution et la loi électorale, d’une
part ; D’autre part, ce mouvement pacifique et civilisé, c’est focalisé
sur la personne du Président, sa fratrie et la cour qui l’entoure. Ces éléments
sont caractéristiques d’une maturation politique de la société algérienne, qui
est allée au plus profond d’elle-même, pour trouver ses ressources
psychologiques ancestrales qui lui ont permis de détruire le « mur de la
peur » devant lequel elle s’était arrêtée, contrainte et forcée, depuis
plus de vingt ans.
Nous avions, dans plusieurs articles antérieurs,
signalé que des différentes « désignations électives » organisées
dans notre pays, les taux de participation des votants diminuaient chaque fois
un peu plus et aux dernières présidentielles il ne dépassait guère les 10% du
corps électoral. Ce qui signifiait que quelque 90% de la population ne se
rendraient pas aux urnes. C’est donc ces derniers qui aujourd’hui remplissent
les rues des villes et des villages de notre pays sans exception, aucune. Mais
ce désaveu arrangeait bien des affaires d’un pouvoir autiste et réfractaire aux
masses populaire, considérées comme une foule (le terme célèbre vulgaire
« ghachi » a même été employé pour les décrire). Très peu
d’intellectuels se sont penchés sur ce phénomène sociologique et ont analysé
profondément son impact sur la pratique du pouvoir et ses conséquences. D’où la
« surprise » général devant l’ampleur des marches et de leur
signification profonde qui ont laissé sans réaction adéquate, le pouvoir
lui-même, les partis politiques de tous bords, les associations, les
organisations de masses et la société civile.
En effet, les capacités d’anticipation de notre
pays ont été embastillées par le pouvoir qui les a réduites uniquement en
instruments pour sa propre propagande ; Faut-il citer le CNES
(Conseil national économique et social), l’INESG (l’institut national d’études
de stratégie globale), la Cour des comptes, l’inspection générale des finances,
les commissions d’enquêtes de l’ANP et du Conseil de la Nation… Autant
d’institutions de l’Etat qui auraient dû remplir leur rôle de contrepouvoir, de
contrôle des politiques publiques et de la gestion des deniers publics et qui
en fin de compte, ont été réduite qu’à des faire-valoir du pouvoir et de ses
sphères d’influence.
La « chimie politique » a finalement
créé des marches non violentes massives pour dénoncer ce que les institutions
muselées de l’Etat, ont été incapables d’initier, prenant le pouvoir par
surprise et l’obligeant à mettre fin à son règne, sans conditions ou à utiliser
la violence d’état qui entraînera, à coup sûr, notre pays vers le chaos. Seules
les urnes, dans le cadre constitutionnel et les lois de la république
subséquentes, peuvent rendre à l’Algérie sa dignité et à son peuple la
possibilité d’être le seul maître de son destin.
Auteur
Mourad Goumiri, professeur
associé IN lematindalgerie.com
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