APS - ALGÉRIE

mardi 19 mars 2019

La chimie politique algérienne



Je tiens cette formule (non chimique) d’un anthropologue algérien, qui a tenté de m’expliquer le déphasage qui s’est creusé entre la société et le pouvoir, en général, jusque et y compris vis-à-vis des partis de la coalition au pouvoir et ceux des oppositions, des organisations de masse et des associations.

En effet, nul n’a compris (moi compris) le raz-de-marée populaire qui a envahi nos villes et nos villages, en date du 22 Février 2019 et après, ainsi que les slogans scandés par le peuple ! Personne, dans la foule n’a demandé du pain, du travail, des avantages ou tous autres biens matériels mais tous revendiquaient seulement le droit à la dignité, au sens large, que vingt ans de pouvoir absolu et arrogant du Président Abdelaziz Bouteflika, sa fratrie et son clan, ont imposé à tout un peuple.

Personnellement, j’avais, dans plusieurs contributions antérieures, parlé de « masse critique »  (empruntée à la physique) de revendications qui n’attendaient qu’une étincelle pour que l’explosion sociale se réalise. J’ajoutais que cette étincelle pouvait provenir de n’importe quel événement, important ou mineur, à l’instar de ce qui s’est passé en Tunisie. Dans le cas de notre pays, l’étincelle proviendrait-elle de la proclamation de la candidature, à un 5ème mandat, du Président, handicapé depuis plusieurs années et en convalescence en Suisse ? Il me semble que c’est la piste la plus pertinente à creuser pour l’instant car certains persistent à développer la thèse du complot intérieur (avec, tapi dans l’ombre, le général de corps d’armée à la retraite M. Mediene dit « Toufik », ex-patron du DRS) et d’autres, évoquent le complot extérieur fomenté par « Israël et ses ramifications sionistes internationales », qui viserait tous les pays arabes et musulmans. A l’évidence, les jours qui suivent viendront sûrement apporter plus de luminosité dans cette bouteille d’encre.
J’avoue humblement que le concept de « chimie politique » est, de loin, le plus séduisant et rend compte d’une réalité sociopolitique concrète, dans laquelle on retrouve des traces anthropologiques certaines. Un mouvement de masse (certains observateurs étrangers affichent le chiffre record de 17 millions de marcheurs le 15 Mars 2019) qui chaque vendredi (cela en fait quatre pour l’instant), est de plus en plus important, jamais atteint depuis l’indépendance, ne peut être que le résultat d’un processus d’un rejet sociétal, qui a maturé dans la société, depuis très longtemps.
Il se caractérise, en outre, par des manifestations pacifiques voire cordiales et débonnaires, ce qui n’a rien à voir avec celles d’Octobre 1988 durant lesquelles des violences et des pillages, ont entraîné la mort de centaines de jeunes et d’enfants. Enfin, les slogans criés par la foule sont identiques sur tout le territoire national : Pas de 5ème mandat et pas de prolongation de mandat. Ces slogans pourraient se traduire par l’obligation de maintenir l’élection présidentielle, à la date fixée par la constitution et la loi électorale, d’une part ; D’autre part, ce mouvement pacifique et civilisé, c’est focalisé sur la personne du Président, sa fratrie et la cour qui l’entoure. Ces éléments sont caractéristiques d’une maturation politique de la société algérienne, qui est allée au plus profond d’elle-même, pour trouver ses ressources psychologiques ancestrales qui lui ont permis de détruire le « mur de la peur » devant lequel elle s’était arrêtée, contrainte et forcée, depuis plus de vingt ans.
Nous avions, dans plusieurs articles antérieurs, signalé que des différentes « désignations électives » organisées dans notre pays, les taux de participation des votants diminuaient chaque fois un peu plus et aux dernières présidentielles il ne dépassait guère les 10% du corps électoral. Ce qui signifiait que quelque 90% de la population ne se rendraient pas aux urnes. C’est donc ces derniers qui aujourd’hui remplissent les rues des villes et des villages de notre pays sans exception, aucune. Mais ce désaveu arrangeait bien des affaires d’un pouvoir autiste et réfractaire aux masses populaire, considérées comme une foule (le terme célèbre vulgaire « ghachi » a même été employé pour les décrire). Très peu d’intellectuels se sont penchés sur ce phénomène sociologique et ont analysé profondément son impact sur la pratique du pouvoir et ses conséquences. D’où la « surprise » général devant l’ampleur des marches et de leur signification profonde qui ont laissé sans réaction adéquate, le pouvoir lui-même, les partis politiques de tous bords, les associations, les organisations de masses et la société civile.
En effet, les capacités d’anticipation de notre pays ont été embastillées par le pouvoir qui les a réduites uniquement en instruments pour sa propre propagande ; Faut-il  citer le CNES (Conseil national économique et social), l’INESG (l’institut national d’études de stratégie globale), la Cour des comptes, l’inspection générale des finances, les commissions d’enquêtes de l’ANP et du Conseil de la Nation… Autant d’institutions de l’Etat qui auraient dû remplir leur rôle de contrepouvoir, de contrôle des politiques publiques et de la gestion des deniers publics et qui en fin de compte, ont été réduite qu’à des faire-valoir du pouvoir et de ses sphères d’influence.
La « chimie politique » a finalement créé des marches non violentes massives pour dénoncer ce que les institutions muselées de l’Etat, ont été incapables d’initier, prenant le pouvoir par surprise et l’obligeant à mettre fin à son règne, sans conditions ou à utiliser la violence d’état qui entraînera, à coup sûr, notre pays vers le chaos. Seules les urnes, dans le cadre constitutionnel et les lois de la république subséquentes, peuvent rendre à l’Algérie sa dignité et à son peuple la possibilité d’être le seul maître de son destin.         
Auteur
Mourad Goumiri, professeur associé IN lematindalgerie.com

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