Durant ce énième conflit autour du tamazight, on verra
subrepticement s'immiscer dans les débats (plateaux télévisé, presse en ligne)
cette notion étrange de la pureté de la race. La dialectique des revendications
sociales et politiques est désormais validée par les thèses de la génétique. Il
ne s'agit plus des droits de l'homme et des libertés individuelles appréhendées
à l'aune de la philosophie politique du 21ème siècle, mais selon des thèses
raciales qu'on croyait révolues. On s'amuse à faire des relectures
tendancieuses à partir de certaines révélations scientifiques. Et voilà qu'ipso
facto, l'Arabe devient un mystificateur et un intrus qu'il faut recadrer.
Nous savions depuis longtemps que les conquêtes islamiques
n'étaient en majorité effectuées que par des troupes d'origine ethniques
diverses arabisées (L'arabe de souche y était fortement minoritaire, parfois
inexistant). La génétique vient de le confirmer et nous rassurer que nous
sommes tous berbères et que nous n'avons rien à craindre hormis de nos propres
démons. La présence du génome arabe au Maghreb ne serait qu'une supercherie, un
mythe, une portion congrue et infinitésimale dans cet océan de pureté Amazigh,
à peine 4% d'arôme arabica dans cette mouture locale, autochtone, berbère, pure
et dure. Un arôme qui aurait quand même mystérieusement et pendant si longtemps
empêché les autres fragrances de se distiller dans l'air.
Ainsi, tout ce beau monde, toutes ces caravanes, toutes ces
transhumances, ces migrations, ces déferlements et tourbillonnement des masses
humaines. Ces navettes, ces périples et ces croisières ethniques n'étaient que
des farandoles berbères dans l'espace et le temps. L'Arabe n'a presque pour
ainsi dire jamais quitté sa péninsule et son désert. On tiendra pour argent
comptant les fabuleuses révélations publiées à la hussarde par « The National
Géographic » qui aurait par le biais d'études génétiques essayé de
cartographier l'espèce humaine pour nous renseigner sur nos souches
généalogiques. (The Génographic Project) (1) et laisser le citoyen lambda
déduire lequel de la poule ou de l'œuf est le premier ? Et qui aurait plus de
droit que l'autre sur un territoire donné ?
Ces détectives du chromosome «préemptif » utilisent
d'ailleurs (maladroitement) deux concepts différents pour parler d'une ethnie
qui se baladerait un peu partout dans le monde (tantôt « Méditerranéen » tantôt
« Nord-Africain ») cette double identification pour une même ethnie laisse
perplexe et donne lieu à un faisceau de conjectures équivoques et fort
regrettables. Bref ! Le débat serait biaisé, toxique et d'une indécence
manifeste si l'on s'amusait de part et d'autres à confirmer ou à contester ces
données. On ne construit pas une nation avec des ADN, ça débouche toujours sur
des tragédies. La description que le philosophe Ernest Renan donne au sujet de
la nation me parait la plus appropriée, elle est déterminée par la conjugaison
de deux facteurs-forces : «Le premier est la possession commun d'un riche
héritage de souvenirs, l'autre est l'engagement, le souhait de vivre ensemble»
(2) Il me semble que l'Algérie a largement prouvé à travers l'histoire que ces
deux ingrédients figurent dans son patrimoine et son futur. S'il y a quelques
défaillances ou malentendus c'est du côté de l'Etat et de ses institutions
qu'il faut chercher les coupables. La nation est bien là, déterminée et
indivisible. Alors, puisque cette génétique si propice et opportune vient à
point nommé d'innocenter cet arabe hégémonique et impérialiste qui s'avère
désormais étranger à cette situation, cet imbroglio, ce vaudeville, cette
comédie qui nous déchire, nous divise, nous obsède depuis un demi-siècle. Je
peux enfin souffler, car pendant un instant, j'ai eu vraiment peur, je me
voyais déjà avec pour seul attirail un simple baluchon et des souvenirs vieux
de plus de quinze siècle, sur le chemin du retour ; revenir vers un «chez moi »
hypothétique et hasardeux, là où quelques arabes généreux et de préférence
nantis consentiraient à m'offrir le gîte et me réincorporer dans leur ADN. Dieu
soit loué ! Ce ne sera pas le cas car je suis donc berbère et je peux rester
chez moi, et parler la langue que je veux.
On en conclut donc que la crise actuelle autour de la langue
et de l'identité tamazight ne sont en fait qu'un conflit berbéro-berbère. Une
frange de Berbères dupés par eux-mêmes s'entêtent depuis des lustres et avec
une débilité déconcertante à refuser à d'autres Berbères comme eux de se
réapproprier leur Tifinagfh. Tout un drame pour une revendication aussi
légitime et un problème intra ethnique et intramuros. Ce qui demeure sidérant
c'est de constater que non seulement l'élément arabe n'a jamais été une réalité
anthropologique que l'on pourrait accusé d'être derrière tous ces blocages et
dénis identitaires, mais que c'est finalement qu'un mythe, une entité fictive,
une forme d'abstraction idéologique mais qui aurait eu le mérite d'imposer une
langue et une religion et plus encore, une langue et une religion qui ont été
pendant longtemps adoptées et assumées par tous les belligérants actuels
(belligérants berbères) dans la paix et l'harmonie avant que certains courants
radicalisés (toujours berbères puisque l'Arabe a été évacuée de l'équation par
la génétique) ne se décident à instrumentaliser la langue à des fins
strictement politiques. Moralité : l'arabe en tant que réalité anthropologique
subversive est dédouané, l'apport civilisationnel arabo-musulman ne sera jamais
contesté au même titre que l'incontestable contribution des turcs à qui on doit
( même si ces réalisations n'étaient circonscrites qu'à des agglomérations
urbaines restreintes ) une prospérité économique, artistique, architecturale,
technique, administrative que personne ne peut leur nier, et surtout le fait
d'avoir servi la gloire de ce pays, par leurs hauts faits d'armes, leur
bravoure et leurs sacrifices dans tous les champs de bataille.
Afin que l'Algérie reste algérienne. Dieu soit loué, les
pendules seront vite remises à l'heure, les choses n'étaient pas aussi graves
qu'elles laissaient supposer, hormis ce monumental et historique quiproquo à
propos d'une ethnie qui s'ignorait et s'autocensurait en faisant porter le
chapeau aux autres. Cette histoire, cette méprise « historico-anthropologique »
me fait penser à cette insoluble question israélo-palestinienne au sujet d'un
passé et d'une histoire truffée de mythes, de mystifications et de tragédies.
En 2001, et suite à des recherches archéologiques entamées
depuis 1970, deux scientifiques juifs, israéliens, l'un archéologue Israël
Finkelstein et l'autre historien Neil Asher Silberman, après avoir farfouillé,
munis d'une bible et d'un marteau, dans les décombres du peuple Juif,
confrontant le texte à la réalité scientifique en quête de vérités sur ce passé
hébreu mythique, meurtri et meurtrier, aboutiront au terme de leur odyssée à
des résultats qui seront déroutants, ils publieront en 2004 (3) leurs comptes
rendus qui feront l'effet d'une véritable bombe dans des lieux où on faisait
prévaloir des pseudo-vérités pour commettre les pires abominations, et pas
seulement au Proche Orient mais partout dans le monde, car le mythe de ce
peuple élu malmené et spolié était devenu très rentable, grâce au mythe et à la
dramaturgie sioniste, il était possible de réclamer au monde entier des
dédommagements, une sympathie inconditionnelle et enfin légitimer toutes les
solutions extrémistes génocidaires que ce peuple serait amené à engager ici et
là.
Néanmoins, le mythe commence à s'effriter et avec lui tous
ses alibis et son business. Les découvertes et les conclusions auxquelles sont
arrivés nos deux éminents scientifiques s'avèrent inquiétantes. On serait tenté
de croire que ce peuple juif n'a jamais existé, (au même titre que l'Arabe en
Afrique du Nord). Pour ce qui est du passé historique et généalogique du peuple
juif, soit que la bible est un tissu de mensonges, soit qu'on n'a pas cherché
là où il faut, soit que sous une ethnie s'en cache une autre. Il en résulte en
fin de compte une remise en question de l'historicité d'une grande part des
récits bibliques, notamment sur l'origine des anciens israélites, l'exode et la
conquête du pays de Canaan, ainsi que sur les royaumes unifiés de David et
Salomon. Quelque années plus tard, l'Historien israélien Shlomo Sand rejoindra
le camp de ces révisionnistes sulfureux et inattendus, il créera un autre
scandale par la publication en 2008 de son essai « Comment fut inventé le
peuple juif ». (4) Selon cet historien, ce peuple ne serait qu'une mosaïque
d'ethnies judaïsées (avec même des berbères à l'intérieur) suite aux longues
pérégrinations des enfants d'Abraham. Contrairement à l'idée reçue, la diaspora
ne naquit pas de l'expulsion des Hébreux de Palestine, mais de conversions
successives en Afrique du Nord, en Europe du Sud et au Proche-Orient. Les
similitudes s'arrêtent là. Le mythe juif accompagné par le meurtre et les
spoliations n'a en effet rien à voir avec ce qui nous préoccupe aujourd'hui
chez nous. Dans tout ce grabuge algéro-algérien, je suis moins fasciné par la
découverte du Tifinagh que par la présence de ce fantôme arabe qui hantera les
lieux et les mémoires depuis des siècles et qu'on vient enfin de débusquer.
Il serait plus honorable et juste de rendre à César ce qui
appartient à César. Maintenant que c'est un fait indéniable que la
quasi-totalité des résidents algériens ne sont en fait que des «Nord-Africains
» ou «Méditerranéens» pour reprendre la classification du «National Géographic
» La constitution algérienne devrait agir avec moins de condescendance et
officialiser sinon promouvoir le développement de toutes les autres variantes
limitrophes apparentées (Chaoui,Tasahlite, Tagargrent, Mozabite, Chenoui,
Tachélhit,Taznatit, Tamajaq) et cela au nom du droit inaliénable à la revendication mémorielle. Le cas de
l'Afrique du Sud serait un exemple à
méditer. La Nation
Arc-en-ciel a consenti à
officialiser 11 langues, chacune n'est pourtant parlée que par une minorité.
Ce sont toujours les défaillances, les imperfections et les
iniquités de l'Etat qui constituent la source de toutes les tragédies. Pourquoi
a-t-on réussi ailleurs à faire en sorte que ni la langue, ni la race, ni la
religion, ni la culture des uns et des autres ne puissent constituer un facteur
de désordre et de conflits, ou de cristalliser des haines et des phobies, de
menacer la stabilité politique du pays. On compte des millions d'Algériens qui
vivent un peu partout dans le monde, aucun n'y songerait à revenir un jour dans
son pays. Ils se sont littéralement fondus, dilués dans le pays d'accueil et y
vivent paisiblement et harmonieusement, en présence d'autres nationalités,
cohabitant avec d'autres cultures et d'ethnies différentes. Ils sont tous là,
égaux devant des lois qui rassemblent au lieu de scinder, qui concilient et
réconcilient au lieu de diviser, qui apaisent au lieu de semer la haine et
l'intolérance. Des lois qui s'adressent à l'être humain, à l'homme, au citoyen
qui doit se définir par sa capacité à respecter et servir le corps social et
les institutions qui le fondent, à l'homme disposé à manifester son entière et
libre adhésion à ce «vivre ensemble», qui transcende les particularismes
meurtriers et sans contraindre quiconque à renier ni sa foi, ni sa langue
d'origine, ni sa race.
Nos frères algériens parmi ces peuple bigarrés, ces
mosaïques d'individus issus d'horizons divers, ils continuent tous à célébrer
librement leurs différences, leurs origines, à servir leurs dieux, chanter leur
passé et glorifier leurs ancêtres. Chacun porte fièrement son pays dans son
cœur, commémore ses traditions en toute liberté, tantôt dans l'intimité, tantôt
en collectivité, avec des opportunités d'échange et de partage qui fécondent
chaque jour davantage cette altérité indispensable à l'union de ces communautés
recomposées. Dans notre imaginaire collectif, c'étaient nos « émigrés »,
personnes fragiles et vulnérables qui rappliquaient dare-dare chaque été,
impatients de revenir se ressourcer, et se laisser bercer par les arômes et les
douces mélodies du terroir avant de remonter au charbon, une fois ces étreintes
émouvantes et nourricières consommées.
Aujourd'hui les distances se rétrécissent, parfois
s'effacent complètement, les craintes d'autre fois se dissipent, les désirs se
portent ailleurs. Ce que nous continuons malgré nous à nommer « El-Djalia
El-Djazaïria », celle qui subissait autrefois ce statut et ce destin bizarre,
instable, momentané, transitoire, le regard et le cœur constamment orientés
vers le Bled, a complètement changé. La sociologie de cette diaspora qui vivait
ailleurs, indécise, tourmentée, obsédée par un projet du retour connaîtra des
changements significatifs. Cet ectoplasme piégé dans des ghettos (affectif,
identitaire, social, culturel, politique) a considérablement évolué sur tous
les plans. On adoptera de nouveaux comportements et codes sociaux, on
s'appropriera tous les moyens nécessaires qui permettront de changer son destin
et de s'inventer enfin d'autres projets que celui du retour au Bled. Les temps
changent, les mœurs évoluent, les politiques s'adaptent et se transforment.
On acquiert de nouvelles nationalités, des citoyennetés avec
lesquelles on interagit positivement. Chacun érigera sur ces terres étrangères
l'autel de ses dieux qu'il peut désormais vénérer sans que personne ne vienne
troubler ses pratiques cultuelles. On y trouve des mosquées, des synagogues,
des églises, des temples. Personne n'y prêterait attention tant que l'ordre et
la paix demeurent à l'abri d'un culte ou d'un repli identitaire qui tenteraient
de s'imposer, de s'affirmer avec violence et de communiquer avec des moyens qui
s'opposent aux lois de ces pays d'accueil, ces mêmes lois qui, précisément se
proposent de garantir et de préserver les différences des uns et des autres,
ces mêmes lois qui ont permis à ces identités multiples de former une seule
communauté , apaisée , pacifique , féconde. Quelle est le mystère de cette
symbiose, de cette résurrection. Est-ce la langue d'origine ? Beaucoup de
famille ont cessé de parler même à la maison leur langue d'origine, par
habitude, par reflexe, par nécessité que les rapports sociaux imposent aux
nouvelles générations qui finissent imperceptiblement par en faire de la langue
du pays d'accueil la langue dominante, une langue usuelle à laquelle, le plus
souvent même des parents analphabètes finissent par s'y initier.
Personne ne se sent offensé, mutilé, dépossédé de quelque
chose qui lui est précieux, on n'y prête même pas attention, pourvu qu'il y ait
du sens, de la joie et que la communication s'effectue. Cela n'empêche
nullement les gens d'être heureux, d'évoluer, de s'épanouir. La langue
d'origine, maternelle, vernaculaire reste omniprésente, fixée profondément dans
chaque être, on peut l'invoquer à tout moment, instinctivement, spontanément,
quand il s'agit de la greffer sur un affect que d'autres vocables s'avèrent
incapables de traduire. On peut la chanter la psalmodier, la brandir comme un
étendard, mais jamais pour en faire une arme, pour menacer autrui. Est-ce donc
la religion qui serait le ferment de cette symbiose ? Absolument pas, désormais
le look et les valeurs du croyant se cristallisent et se manifestent autrement.
On n'exige pas de vous d'être un bon croyant (votre foi, votre ramadhan, vos
prières, votre zakat, votre pèlerinage sont consacrés à Dieu), leur aspect
ostentatoire et public ne doit constituer ni un leurre, ni un simulacre de gage
de bonne vertu, ni un paravent, ni un prétexte, pour vous affirmer, vous
révolter.
Le seul bénéfice que la société peut en tirer de votre
présence et du redéploiement de votre foi au sein du groupe réside dans votre engagement
quotidien pour la production et la préservation d'un bien-être collectif, d'un
«Vivre ensemble » qui ne peut s'accommoder d'une anomie comme celles qui
perdurent dans nos sociétés hybrides (Tartufferies, bigoteries, corruption,
pots de vins, népotisme, clientélisme, économie informelle, fraude fiscale,
enrichissement illicite, déprédation, incivisme dévastateur, ressentiments)
.Des tares sociales antinomiques avec ce modèle d'un «Vivre ensemble» qui
constituent désormais pour nos expatriés des havres de paix et de prospérité ,
une seconde patrie. Le mystère de cette symbiose réside dans cette nouvelle
religion commune et universelle qui considère que « La reconnaissance de la
dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits
égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de
la paix dans le monde. » et que « Tous les êtres humains naissent libres et
égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et
doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. Chacun
ayant la possibilité de se prévaloir de tous les droits et de toutes les
libertés , sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de
langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »
(5) Si aujourd'hui l'Arabe, ou celui qui est prétendu comme tel (Puisqu'il n'en
reste plus) essaye de spolier, d'opprimer son semblable, il ne fait qu'imiter
ceux qu'il était chargé de combattre, tournant le dos aux valeurs qu'il était
chargé de diffuser. Le prophète Mahomet insistera vigoureusement sur cette
notion qui est la quintessence du message coranique : « Ô gens ! Sachez que
votre Seigneur est Unique et que votre père est unique. Sachez qu'il n'y a
aucune différence entre un arabe et un non arabe. Il n'y a pas de différence
non plus entre un blanc et un noir, si ce n'est par la piété. » (Hadith Nabawi)
Cette proclamation et cette injonction à l'unité et à l'égalité dans notre
quête de la vertu et du bien commun constitue l'idéal et le socle des rapports
humains que nous sommes tenus de promouvoir et de préserver. « Ô gens ! Nous
vous avons créés à partir d'un mâle et d'une femelle, et Nous avons fait de
vous des peuples et des tribus afin de vous connaître les uns les autres.
Certes, le plus honoré d'entre vous auprès d'Allah, c'est le plus pieux.»
[Coran - les appartements ; 13] On se retrouve aujourd'hui à gloser sur la
prédominance d'un ADN (donc prééminence politique et culturelle) qui squatte
l'ensemble des individus présents sur cette Numidie contemporaine stratifiée.
Je ne savais pas que ce pays incapable de gérer ses mercuriales disposait d'un
laboratoire High-tech qui pourrait faire un zoom sur les génomes de tous les
Algériens.
Ces violentes polémiques attisées et souvent monopolisées
par des néophytes ( à des fins idéologiques et politiques ) constituent en soi
une abomination et nous ferait glisser insidieusement vers ces idéologies
apologétiques de la pureté de la race, de la prééminence d'une ethnie au sujet
d'un territoire, revendications que l'on s'amuse, à l'ère de la conquête
spatiale, de l'intelligence artificielle et de la nanotechnologie, à valider ou
à infirmer par des références protohistoriques, préhistoriques, voire une
superposition de chroniques historiques éparses, confuses, disséminées et
diluées dans des aires géographiques multiples et vagues longtemps soumises à
des brassages ethniques , culturelles , religieux et linguistiques. Un
pitoyable remake de la tragédie Israélo-palestinienne, Berbères et Arabes en
guerre autour d'une paternité historico-géographique.
Cet arabe bizarre, cet « étranger » que Camus présentait
comme un individu louche et impénétrable, ce même énergumène que Kamel Daoud
essayera de ré-identifier et de réhabiliter, le voilà encore une fois sous les
feux de la rampe. Dénoncé et condamné pour avoir déferlé sur un territoire qui
n'est pas le sien et d'avoir voulu délibérément effacé politiquement et
culturellement les véritables, les seuls, les authentiques propriétaires des
lieux. Je m'étais hélas accoutumé jusqu'à présent à l'idée que c'était le Code
de l'Indigénat et les lois coloniales scélérates qui excellaient dans ces
pratiques ignominieuses, cet art de l'annihilation ethnique et culturelle, de
cette dichotomie diabolique entre l'assimilation ou l'extinction.
Les Etats-Unis d'Amérique font cohabiter chez eux quasiment
toutes les races et ethnies du monde, un concentré d'humanité dans un véritable
chaudron multiracial, multiculturel, multi religieux, sans pour autant que le
pays de l'oncle Sam ne se sente un seul instant menacé par ce cocktail
détonnant. La raison à cette coexistence pacifique ou savamment maîtrisée, il
faut la chercher du côté de la Constitution des Etats-Unis, de la notion du
Rêve américain et de la présence d'institutions très stables. L'Algérie ne
ressemblera jamais à cet Etat Birman que nous avons tous violemment dénoncé
pour ses politiques ségrégationnistes, attisant un feu sournois entre des
minorités ethniques défavorisées. Nous n'aurons jamais chez nous des «
Rohingyas ». L'Algérie n'est ni le Soudan ni le Rwanda.
Ma mère est issue de la tribu des Béni Mézghéna. Mon père
et ses ancêtres claironnent qu'ils appartiennent à une lignée de Chorffas. Ça
ne m'a pas beaucoup aidé dans la vie de tous les jours, la tribu de ma mère
s'est atomisée, quant à mon ancêtre marabout, il ne m'a pas semblé utile de le
localiser. Dieu, par contre lui n'a pas changé de place. « Et quand Mes serviteurs
t'interrogent sur Moi. Alors Je suis tout proche : Je réponds à l'appel de
celui qui Me prie quand il Me prie. Qu'ils répondent à Mon appel, et qu'ils
croient en Moi, afin qu'ils soient bien guidés. » (Coran, - AL-BAQARAH 186). Le
destin voudra que J'épouse une kabyle dont on m'a difficilement accordé la
main, probablement parce que cet « arabe » qui se cachait en moi recelait à mon
insu quelque chose qui ne correspondait pas à leur dogmatique. Les choses
évolueront avec le temps et la mondialisation des concepts et des mœurs.
Ce sera alors le grand amour entre moi et la tribu des
Aït-Hamouda dont est issue mon épouse. Ça me permettra de découvrir que le
village de ses ancêtres, Aïn El Hammam (Michelet), sera un fief de résistances,
et lieu de sépulture du célèbre poète algérien Si Mohand Ou Mhand. Un poète
dont la verve émouvante narre les beautés et les vicissitudes d'un monde où se
reconnaît aussi bien un bédouin du Yémen, un Irlandais, un corse tout le monde : l'errance, la révolte et l'amour, ces
seules véritables
constantes nationales que le peuple algérien
subit et vénère jusqu'à aujourd'hui. Constantes
que l'on retrouvera dans les complaintes de nos « Harragas », dans les satires
d'Anes Tina, dans les cris de révolte de nos frères du Sud. Ce même destin
enjoué , farceur et récidiviste voudra que l'une de mes sœurs épouse un kabyle
, elle ira s'installer dans le village du Cheikh El Haddad, ça me permettra
encore une fois d'admirer , de confirmer et de déceler dans la lutte de ce
personnage multiple le symbole de l'union , du rassemblement et de la paix ,
l'histoire et les événements obligeront ce vieillard à endosser plusieurs rôles
, Il sera le chef de la confrérie des Rahmania , à l'âge de 80 ans il appellera
les Algériens à la révolte contre le colonisateur , son cri de guerre sera
immortalisé par cette phrase célèbre : « Ad-nmeyer irrumiyen cef ullel am
miyrec taåakkazt-agi cer wakkal » « Nous jetterons les français en mer comme je
jette ce bâton par terre! » , son insurrection s'inscrit dans cette mémorable
et longue nuit coloniale , faites de résistances ininterrompues par un peuple
multiple et indivisible.
Sa bravoure lui vaudra, tout sénile qu'il fût, d'être
emprisonné et de mourir en prison à l'âge de 83 ans. La répression coloniale sera
terrible pour les siens : on confisquera leurs terres, certains seront poussés
à l'exil tandis que d'autres seront déportés au bagne de la nouvelle Calédonie
et ensuite complètement
oubliés et effacés de notre mémoire collective poreuse
et farouchement sélective.
Pourquoi autant de sacrifices et autant de souffrances de la part de ces hommes
? Etait-ce pour une région,
pour une langue, pour une ethnie, ou pour l'amour d'une patrie qui englobait
tous les Algériens sans aucune distinction. Mes nièces et mes neveux vont par
la suite admirablement revendiquer leur algérianité en créant par alliance et
au nom de l'amour, des passerelles entre ces deux cultures que des préjugés
coriaces tenaient arbitrairement pour différentes et inconciliables, creusant
des fossés imaginaires qui nous empêchait de voir dans cette diversité, notre
«Moi» algérien dans toute sa splendeur. Ma famille, à l'instar de beaucoup
d'autres familles algériennes depuis des siècles, contractera ce virus de la
navette interethnique. Il y aura constamment un mâle de chez nous dont le cœur
battra pour une berbère et vice versa, comme il y aura toujours l'une des
nôtres qui rejoindra le çof d'en face. Les conservateurs, les
traditionnalistes, les puristes, les réactionnaires, de part et d'autres,
voyaient dans cette bougeotte fébrile et ce magma anthropologique une forme de
sacrilège, de déshonneur, néanmoins le temps finira par réajuster les choses,
les concepts, les valeurs et les vérités. Ce troc d'âmes et de corps aura été
pour nos deux cultures une opportunité inespérée d'investir une autre parcelle
de l'humanité, de fusionner nos légendes, nos arts culinaires, notre humour,
nos espérances et nos déceptions pour donner enfin naissance à une postérité qui balancera un jour
face à nos mesquines
dissensions : « Je
suis vous tous ! Chiche, essayez donc de me diviser, de me déchirer, de me morceler. »
Pendant que Jugurtha faisait ses guerres, l'Arabe n'y était
pour rien, n'y était même pas quelque chose de précis, c'était un païen
idolâtre égaré au fin fond de son désert, s'adonnant à l'infanticide et aux
arts divinatoires, constamment ivre et prompt à guerroyer. Jugurtha se serait
donc entretué avec les siens, non pas au sujet d'un problème linguistique ou
culturel mais pour des raisons éminemment politiques, pour un idéal aussi vieux
que le monde : Liberté, identité et intégrité du territoire. Notre célèbre Baba
Arudj (père Arudj) Barberousse, lui qui ne fut
ni arabe ni berbère, ne va-t-il pas aider tant de Musulmans à quitter l'Espagne
suite à la Reconquista , ne va-t-il pas aussi par la suite , livrer une
bataille mémorable ( La bataille de Tlemcen ) où il périra avec une troupe
composée de turcs , d'arabes et de berbères , pour que cette Algérie étrange
puisse demeurer libre et indépendante en dépit de ses rivalités fratricides
immémoriales. Lorsque notre valeureux Tariq Ibn Ziyad, décidera d'envahir la
péninsule ibérique pour servir un Islam porté au sommet de sa gloire par
d'autres ethnies et non pas seulement par des Arabes, nous sommes nous demandés
quelle langue parlaient ces gens et quelle était la proportion des arabes sur
ces flottes turcs ? Leurs différences, leur diversité, leur multitude,
n'ont-elles pas constitué une richesse et un vecteur prépondérant dans l'essor
d'une civilisation qui diffusera partout dans le monde une philosophie
universelle au sein de laquelle chacun est censé se reconnaître. Celle de la
liberté de conscience, de la liberté de pensée, de la liberté de parole, de
toutes les libertés qui affranchissent l'homme du joug de toutes les
servitudes. L'épopée de Fatma n'Soumer et son alliance avec Si Mohammed
El-Hachemi et cherif Boubghla , était-ce une lutte contre un envahisseur commun
et pour l'indépendance de tout un peuple, d'une patrie, d'une terre , de
l'embryon d'une nation (chacun choisira le terme qui lui convient le mieux..) ,
pour un idéal qui transcende nos dissensions étriquées. Ou n'était-ce
qu'échauffourées pour libérer quelques lopins de terres en Kabylie. Tous ces
héros reposent aujourd'hui ensemble et pêle-mêle dans le même cimetière «
d'El-Âlia », espace symbolique du don et du partage. El-Alia , cette noble dame
, cette femme généreuse qui le léguera à l'Algérie, pouvait-elle imaginer que
c'est sur cette modeste assiette foncière qu'on allait ériger le panthéon
algérien , que ce bout de terre sacré allait servir d'urne de la mémoire
algérienne, de l'identité algérienne.
Dieu reconnaitra les siens. Les locataires « d'El-Âlia »
donneront tous leur vie pour une Algérie indépendante, fière, multiple, unique et
indivisible. Quant à moi, je me débats aujourd'hui parmi mes frères algériens
qui quémandent plus de dignité, je lutte pour ces origines Sanhadjiennes
lointaines et floues de ma mère, pour mon ascendance maraboutique impossible à
tracer dans ce long fleuve impétueux de l'histoire ; Je cogite et gigote
politiquement, socialement, culturellement dans une république algérienne
démocratique et populaire, mes seuls, constants et incontournables
interlocuteurs auront été la Fonction Publique et la CNAS , et entre les deux
j'erre comme si M'hand en titubant et gorgé d'espoir. Les menaces auxquelles
sera confronté l'humanité, l'Algérie y compris (pénuries alimentaires,
pandémies, catastrophes naturelles, cyber-attaques, bioterrorisme, intelligence
artificielle hostile
)
relèvent de compétences qui dépassent de très loin les le champ de
nos philologues, nos linguistes et nos historiens. Les problèmes d'identité, de
langue et de culture seront balayés par d'autres problématiques et périls qu'il
s'agira de résoudre en commun, et avec moins d'inepties.
Mazouzi Mohamed
Notes :
1-https://genographic.nationalgeographic.com/reference-populations-next-generations
Le Projet génographique (en anglais The Genographic Project)
est une vaste étude d'anthropologie génétique lancée en avril 2005 et prévue
pour durer 5 ans, dans le but de cartographier les migrations humaines, en
réalisant l'analyse de l'ADN d'échantillons prélevés sur plus de 100 000
personnes à travers les cinq continents.
Depuis son lancement en 2005, le projet Genographic de
National Geographic a utilisé des analyses ADN avancées et a travaillé avec des
communautés autochtones pour aider à répondre à des questions fondamentales sur
l'origine des humains et comment nous sommes venus peupler la Terre.
2-Renan. E, « Qu'est-ce qu'une nation ? », Presses Pocket.,
1992
3-Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, La Bible
dévoilée : Les nouvelles révélations de l'archéologie, éditions Gallimard,
2004. Titre original complet : The Bible unearthed: archaeology's new vision of
ancient Israel and the origin of its sacred texts, New York, Free Press, 2001.
D'abord édité aux éditions Bayard(2002), il sera réédité en 2004 éditions
Gallimard.
Israël Finkelstein est un archéologue israélien, né en 1949,
Il est directeur de l'Institut d'archéologie de l'Université de Tel Aviv.
4-Shlomo Sand « Comment fut inventé le peuple juif »,
éditions Fayard, 2008
Shlomo Sand a fait ses études d'histoire à l'université de
Tel-Aviv et à fait l'École des hautes études en sciences sociales à Paris.
Depuis 1985, il enseigne l'histoire contemporaine à l'université de Tel-Aviv.
5-Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948
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