APS - ALGÉRIE

lundi 8 janvier 2018

LES CHÊNES QU'ON ABAT Les mois de décembre funestes


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«Lorsque nous serons libres, il se passera des choses terribles ; on n'oubliera pas toutes les souffrances de notre peuple pour se disputer les places. Ce sera une lutte pour le pouvoir. Nous sommes en pleine guerre et certains y pensent déjà. Oui, j'aimerais mieux mourir au combat avant la fin.»
Ce mois de décembre est pour les Algériens un mois de tristesse en ce sens que des hommes politiques qui ont, chacun à sa façon, aimé l'Algérie et en sont morts. Le premier d'entre eux, Abane Ramdane, que l'on commence enfin à réhabiliter a eu une mort violente de la part de ses compagnons de combat. Avec Ferhat Abbas, c'est au contraire, le combat des idées qui, malheureusement ne sont toujours pas à l'honneur dans cette Algérie qui peine à se redéployer. Avec Boumedienne qui eut un comportement ambivalent, nous retenons de lui la lutte pour une Algérie qui prenait en charge son destin et ce qui reste du tissu industriel date de son époque. Enfin j'ai tenu à rendre un hommage à un «Juste» qui a aimé et défendu par la plume l'Algérie à en mourir.

Abane Ramdane, l'un des architectes du congrès de la Soummam
Abane Ramdane est né un 10 juin 1920. Surnommé «l'architecte de la révolution», il a joué un rôle clé dans l'organisation de la lutte pour l'indépendance de l'Algérie Suite à l'affaire du «complot de l'OS», en 1950, Il est arrêté dans l'Ouest et subira plusieurs semaines d'interrogatoire et de torture. En 1951, il est jugé et condamné à 5 ans de prison, 10 ans d'interdiction de séjour, 10 ans de privation des droits civiques et 500 000 francs d'amende. Il connaîtra plusieurs prisons en Algérie, puis en France. Après sa libération, en janvier 1955, c'est Abane qui organise et rationalise la lutte. Il rassemble toutes les forces politiques au sein du FLN et donne à la «rébellion» de Novembre 1954 une autre dimension, celle d'un grand mouvement de résistance nationale. Il organise avec Larbi Ben M'hidi le congrès de la Soummam le 20 Août 1956 à Ifri. «Avec Larbi Ben M'hidi et Yacef Saâdi écrit Zineb Merzouk, il déclenche la bataille d'Alger. Et après l'assassinat de Ben M'hidi, il devient le numéro un de la Révolution, mais doit quitter le pays. Il gagne Tunis via le Maroc, après une longue marche de plus d'un mois. Dans la capitale tunisienne, il se heurte aux colonels de l'ALN. Il leur reproche leur autoritarisme et l'abandon de la primauté du politique et de l'intérieur, adoptée à la Soummam, ce qui lui vaut des inimitiés. Le 29 mai 1958, le journal El Moudjahid annonçait à la une «Abane Ramdane est mort au champ d'honneur», mais la vérité est ailleurs. L'architecte de la Révolution a été attiré dans un guet-apens organisé par les colonels du CCE. Il est mort assassiné le 27 décembre 1957, dans une ferme isolée entre Tétouan et Tanger au Maroc. Il a été étranglé par deux hommes de main de Abdelhafid Boussouf.» (1)
Mohamed Lebjaoui rapporte dans son ouvrage «Vérités sur la Révolution algérienne» paru aux Editions Gallimard: «J'ai demandé à Belkacem Krim ce qu'il pouvait répondre à ces accusations. Et voici, très fidèlement rapportée, la version des faits qu'il m'a donnée : «Abane, dit-il, faisait un «travail fractionnel «et tentait de dresser aussi bien les maquisards que les militants contre les autres membres du C.C.E. Plusieurs démarches furent faites auprès de lui pour le convaincre de modifier son attitude. En vain : on constate qu'Abane, loin de se modérer, persistait dans la même voie en aggravant ses attaques. Nous décidâmes alors - continue Krim - Ben Tobbal, Boussouf, Mahmoud Chérif, Ouamrane et moi-même, de le mettre en état d'arrestation en vue de le juger par la suite. Ni Ferhat Abbas ni Ben Khedda ni Sâad Dahleb ni Mehri n'ont été tenus au courant.»
Beaucoup de choses ont été écrites pour continuer à diaboliser Abane Ramdane qui continue à hanter les consciences et d'une certaine façon -légitimer- la mort violente de l'architecte de la Révolution. Dans un essai objectif et très riche d'informations de première main, notamment de la plupart des acteurs de ce drame, le professeur Belaïd Ramdane raconte «comment le complot a été ourdi et comment la solution 'finale'' coulait de source malgré les dénégations des principaux acteurs de cette tragédie». (2)
Il est vrai que Abane Ramdane était, dit-on, un homme entier, monolithique, mais c'était un pur. Au-delà des luttes pour le pouvoir invoquées par ceux qui y tenaient, c'est le projet politique de la plate-forme de la Soummam qui était révolutionnaire en ce sens qu'il projetait l'Algérie dans une dynamique de progrès, de démocratie adossée à un vivre ensemble de tous les Algériens quelles que soient leurs espérances. Il fallait simplement se dire algériens et accepter les lois de la République qui devraient être les seules repères pour les Algériens.

Ferhat Abbas, un patriote au long cours
Il y a 32 ans, le 25 décembre 1985, nous quittait à jamais Ferhat Abbas, le premier président de l'Algérie combattante. Il n'est pas aisé de cerner le personnage tant il est vrai qu'après un parcours académique, Ferhat Abbas eut une carrière toute entière dévouée à la liberté et à la justice. Ferhat Abbas était déjà conscient de la nécessité d'un combat contre l'injustice et le colonialisme quand la plupart des révolutionnaires qui ont pris en charge le destin du pays n'étaient pas nés. Faisant preuve de pondération, de sagesse, beaucoup lui ont reproché les tentatives d'appel à une Algérie plurielle à l'ombre des lois d'une République Algérienne Démocratique et équidistante des espérances religieuses. Ce sera le seul révolutionnaire qui, après avoir tenté vainement de faire entendre raison au pouvoir colonial par les moyens d'une lutte politique, se tourna vers ce qu'il pensait comme évitable, la lutte armée. Naturellement, un homme de paix est par principe contre la violence. On rapporte qu'il rentra dans une grande colère quand il apprit le sort d’Abane Ramdane qu'il admirait pour ses principes et sa rigueur Après l'indépendance il tenta là encore de ramener un peu de sérénité en acceptant le poste de président de la première Assemblée Algérienne. Mais les manœuvres qui commençaient à faire jour pour la prise du pouvoir à travers un parti unique lui ont fait prendre conscience des dangereuses dérives.
Il s'en explique dans sa lettre de démission dont nous reproduisons des extraits : «Donner une Constitution à la République est un acte d'une extrême importance. Il requiert notre réflexion, notre sagesse. (...)Avant d'engager l'avenir, celui du pays, celui de nos femmes et de nos enfants, chacun de nous doit prendre conscience de ses responsabilités pour mieux les assumer. Sinon, il renonce, par un lâche opportunisme, au devoir élémentaire de tout citoyen. (...)A un mois de la fin de notre mandat, ce projet vient à peine de parvenir à l'Assemblée. Par contre, par la presse, par la radio, par les conférences, dites des cadres, par des déclarations ministérielles, on tente de l'imposer au peuple. (...) Humilier une Assemblée souveraine, qui a toujours apporté sa collaboration loyale et son appui au gouvernement, est un geste extrêmement grave.»(3)
S'insurgeant contre des personnes choisies, il écrit: «Qui a choisi ces prétendus cadres? Selon quels critères ce choix a été fait ? (...) Le F.L.N. ne doit pas être le parti d'une faction, mais celui du peuple Sinon il devient un sujet de division et ne peut faire qu'un travail fractionnel. Les mots sont impuissants à traduire l'amère réalité....La concentration des pouvoirs entre les mêmes mains relève d'une autre forme de délire. Le projet de Constitution fait du président de la République, en même temps que le chef de l'État, le chef du gouvernement et le chef du Parti. Pratiquement il n'y a plus de démocratie. «La révolution se fait par le peuple et pour le peuple.» (sic) Ce slogan officiel, affiché sur nos murs et repris par la radio, est une contrevérité. Il masque la réalité. Quant à notre jeunesse, elle sera condamnée à ne plus penser.
Le régime fabriquera des robots, des opportunistes et des courtisans. Assurer le pain au peuple est, certes, un objectif primordial. Lui assurer cet autre pain qu'est la liberté de pensée et d'expression est également un bien précieux. (...) L'équilibre des pouvoirs n'existe pas. Aucun recours contre les abus d'autorité n'est prévu. Il y a bien une disposition du projet de la Constitution qui prévoit que l'Assemblée nationale peut voter une motion de censure et renverser le chef de l'État. (...) Nous jouons à «pile ou face» le sort du pays. (...) Un chef du gouvernement, investi par une Assemblée nationale souveraine et responsable devant elle, est la seule formule qui corresponde à notre devise «par le peuple et pour le peuple». Il est indispensable que le chef du gouvernement soit contrôlé. Il est indispensable qu'il rende des comptes aux représentants de la nation. (...) Depuis l'indépendance le peuple n'a pas encore été une seule fois librement consulté. Il est temps qu'il retrouve son enthousiasme et sa foi. Ce peuple sait voter. Nous devons lui faire confiance. Il a mérité mieux que cette suprême injure.» (3)

Boumediene: un homme d'Etat
Le 27 décembre 1978 disparaissait Houari Boumediene. L'artisan des trois révolutions. Dans la vie de Boumediene on peut distinguer deux étapes : celle de la prise violente du pouvoir à l'été 1963. L'histoire est assez documentée. Je veux rapporter dans ces lignes l'autre facette celle de l'artisan de la construction d'un Etat qui résiste aux hommes : «Qui se souvient du fameux coup d'éclair dans un ciel serein que fut la décision de Houari Boumediene qui annonçait à la face du monde par son mémorable «Kararna ta'emime el mahroukate» «Nous avons décidé souverainement de nationaliser les hydrocarbures»? Longtemps après, ceux qui sont honnêtes avec l'Histoire, se remémoreront cette phrase qui changea le destin pétrolier de l'Algérie. Les accords d'Evian avaient d'une certaine façon perpétuée un «ordre» qui était celui de l'exploitation du pétrole par les multinationales. Boumediene avait été gagné au goût de l´action diplomatique. Il voulait donner à l´Algérie une place qu´elle n´avait jamais occupée auparavant sur la scène internationale. Le Sommet des Non-Alignés de 1973 a constitué une étape fondamentale qui a servi de tremplin. L´apothéose de ce redéploiement diplomatique fut, incontestablement, la participation de Boumediene, en avril 1974, à la session spéciale de l'Assemblée générale de l´ONU où il a prononcé un discours mémorable sur le Nouvel ordre économique international. Dans son fameux discours, il avertissait. Boumediene ne se faisait pas d'illusion sur le Monde arabe. «J'ai moi-même découvert avec étonnement et consternation que les Égyptiens et par extension les peuples du Machrek et leurs dirigeants ne connaissaient ni le Maghreb ni les Maghrébins. Lorsqu'ils en parlaient ou lorsqu'ils les rencontraient, ces gens traitaient les Maghrébins avec condescendance et même avec mépris.» Il est vrai que, depuis, nous avons, de fait, basculé vers la métropole moyen-orientale dans ce qu'elle a de moins glorieux, le farniente, la fatalité et en définitive l'installation dans les temps morts par rapport aux changements spectaculaires constatés dans les pays développés.» (4)
«Boumediene, écrit Mohamed Chafik Mesbah, continue de réveiller chez le peuple algérien un profond sentiment de fierté nationale. Il continue de symboliser les aspirations populaires à la justice sociale et au progrès économique. Le peuple algérien respecte l'intégrité de Boumediene, lequel ayant adopté un mode de vie confinant à l'ascétisme, est resté à l'abri des tentations mercantiles auxquelles n'ont pas résisté bien d'autres responsables de son époque. (...) Sur le plan du mode de gouvernance et des choix politiques sur lesquels il repose, soulignons que Boumediene aurait consacré l'intégralité des recettes pétrolières à l'investissement productif. Boumediene, par ailleurs, est un nationaliste ombrageux et déterminé. (...) C'est, sans doute, cette capacité à agir, pragmatiquement, qui explique que, nonobstant ses positions tranchées de politique étrangère, Boumediene ait pu entretenir des relations économiques solides, mutuellement profitables, avec les Etats-Unis(4).
Au moment où de par le monde on élabore des stratégies sur l'avenir, nous, nous sommes spectateurs de notre destin, à telle enseigne que nous sommes une variable de négoce entre la Turquie et la France. Mieux, nos partis politiques, qu'ils soient dans le pouvoir ou à côté s'agitent frénétiquement en prévision de la prochaine répartition des prébendes législatives sans naturellement, sans aucune perspective digne d'emporter l'adhésion des jeunes. On peut sans doute reprocher beaucoup de choses à Boumediene, mais c'était un Homme d'Etat au sens de la définition suivante. «Un homme politique pense aux prochaines élections, un homme d'Etat pense aux prochaines générations.» Tout est dit» (4)

Frantz Fanon
Il y a cinquante ans, mourait Frantz Fanon, emporté par une leucémie à l'âge de 36 ans. Peu d'Algériens connaissent Frantz Fanon qui s'est battu à en mourir pour l'indépendance de l'Algérie. Frantz Fanon est né à Fort-de-France, en Martinique, Dès le début de la guerre de Libération nationale du 1er Novembre 1954 en Algérie, Frantz Fanon s'engage auprès de la résistance nationaliste Expulsé d'Algérie en 1957, il rejoint le FLN à Tunis, où il collabore à son organe central de presse El Moudjahid. En mars 1960, il sera nommé ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne au Ghana. Se sachant atteint d'une leucémie, il se retire à Washington pour écrire les Damnés de la terre. Frantz Fanon est mort le 6 décembre 1961 quelques mois avant l'indépendance de l'Algérie. Conformément à son vœu d'être enterré en terre algérienne, sa dépouille sera inhumée au cimetière des chouhada près de la frontière algéro-tunisienne, dans la commune de Aïn Kerma C'est dire si quelque part, nous avons failli envers ce géant qui voulait, comme il l'écrit, mourir pour l'Algérie. «Nous ne sommes rien sur cette terre si nous ne sommes d'abord les esclaves d'une cause, de la cause des peuples, la cause de la justice et de la liberté. Je veux que vous sachiez que même au moment où les médecins avaient désespéré, je pensais encore, oh ! Dans le brouillard, je pensais au peuple algérien, aux peuples du Tiers-Monde et si j'ai tenu, c'est à cause d'eux.»(5)
La lutte pour le pouvoir a terni l'aura de la révolution. Ben M'hidi avait raison de le dire. Ces quelques rappels concernant des hommes illustres qui, à des degrés divers, se sont engagés pour une vision de l'Algérie tolérante ouverte sur l'universel et s'occupant réellement de sa jeunesse méritent d'être médités. Nous sommes en 2017 avec une Algérie ouverte à tout vent, qui devrait être la prunelle de ses yeux en lui offrant un système éducatif de qualité qui devrait être la seule légitimité future. Nous devons aller vers une autre indépendance en ne misant que sur notre compétence pour proposer à la jeunesse un cap basé sur un effort collectif et non sur une rente qui fait indexer sa loi de finances sur les convulsions d'un baril erratique Non ! L’Algérie du million de martyrs mérite un meilleur destin.

1.Zineb Merzouk http://www.babzman.com/27-decembre-1957-assassinat-de-abane-ramdane/
2.Belaïd Ramdane: Vérités sans tabous sur l'assassinat de Abane Ramdane. Qui, Comment? Pourquoi? Et après? Editions Dar el Othmania Alger 2017
3. Ferhat Abbas : Pourquoi je ne suis pas d'accord avec le projet de Constitution établi par le Gouvernement? Lettre de démission du 12 août 1963
4.http://www.alterinfo.net/HOUARI-BOUMEDIENE-Un-Homme-d-Etat-du-temps-present_a68656.html
5.Lettre à Roger Taïeb http://www.frantzfanoninternational.org/spip.php?article93 oct 61

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