Par Ahmed Halli |
Une fois que le produit de la rapine est ainsi lavé et nettoyé aux essences divines et prophétiques, il peut être accepté comme contribution au trésor de guerre des islamistes. C'est ainsi que les petites et grandes rivières qui charrient l'argent extorqué aux peuples pieux et crédules alimentent le projet islamiste de conquérir le pouvoir ou de le conforter. Dans des pays comme le nôtre où les jeux sont faits, il n'y a plus qu'à déchirer quelques pages d'Histoire et à en écrire d'autres à l'occasion, pour s'assurer contre le retour des martyrs. Pour imposer leur histoire, ils n'hésitent pas à prendre des libertés avec l'Histoire, la vraie, celle qui offre la consécration. La pantalonnade organisée le mois dernier à Alger, et qui a permis à un illuminé de s'attaquer à l'un des symboles de la Révolution, Abane Ramdane, a montré encore les limites de l'islamisme. Le seul domaine dans lequel ils montrent quelque compétence est celui de la rapine et de la quête du butin, et de préférence celui des biens mal acquis, avec l'impunité en prime. Et même lorsqu'il leur arrive d'être démasqués et que leurs biens labellisés «halal» se révèlent être des produits d'origine douteuse et sulfureuse, ils ne sont pas pour autant condamnés. Dans ces dernières décennies d'expansion de l'intégrisme, les plus grands voleurs d'Égypte ont ainsi exploité la ferveur religieuse ambiante pour détourner les économies de leurs concitoyens. Par exemple, savez-vous de quelle manière Alla Moubarak, le fils de l'ancien Président destitué, a salué la levée du blocage de l'argent de la famille en Suisse: par un verset ! Après les louanges à Dieu, pour cet heureux évènement, Alla y est allé de son verset sur les calomniateurs et autres diffamateurs qui se sont «injustement attaqués» à sa famille. Le fils aîné de Hosni Moubarak a, en effet, toute latitude de s'en prendre aux millions d'Égyptiens qui ont subi durant plusieurs décennies le joug du despote et vu leur argent se «perdre» en Suisse. Au départ, il s'agissait de quelque 700 000 000 de francs suisses qui ont été mis sous séquestre en 2011, après la chute de la dynastie, et à la demande des nouvelles autorités égyptiennes. Entretemps, et jusqu'au déblocage des fonds annoncé le mois dernier, le trésor de la famille a subi des ponctions successives, jusqu'à atteindre la somme estimée officiellement à 430 000 000 de francs suisses. Qu'importe ! Les Egyptiens sont aussi oublieux que les pourfendeurs de nos martyrs en matière d'histoire et des itinéraires de leurs dirigeants en particulier. Ils oublient volontiers que Moubarak, alors vice-président de l'Égypte, était assis à côté de Sadate au moment où ce dernier avait été mitraillé dans la tribune d'où il présidait un défilé militaire. Le signataire de l'accord de paix avec Israël, toujours assez mal accepté par les Égyptiens, est d'ailleurs revenu au premier plan ces derniers temps, avec des livres qui lui sont consacrés. En plus des archives britanniques concernant le règne de Sadate, les médias égyptiens ont consacré de nombreux articles aux mémoires de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Amr Moussa. Ces mêmes médias sont toutefois restés assez circonspects dans le traitement du décès du journaliste Ibrahim Nafaa, l'une des figures de proue du régime. Décédé ce 1er janvier 2018, Ibrahim Nafaa a été nommé en 1979 par Anouar Sadate à la tête d'Al-Ahram, poste qu'il a conservé jusqu'en 2005, sous Moubarak, incarnant ainsi la continuité. Une carrière trop longue, et qui a suscité des controverses et de la suspicion, puisque le défunt, devenu député du parti au pouvoir, par la suite, a été inculpé pour corruption. Figure atypique, et à l'opposé de Nafaa et autres, le chroniqueur Salah Aïssa a quitté ce monde dit de larmes une semaine auparavant, à l'âge de 78 ans, le lundi 25 décembre. Journaliste et écrivain, épris de liberté, connu pour ses opinions de gauche, Salah Aïssa a subi les foudres du pouvoir et connu la prison, aussi bien sous Gamal Abdenasser, que sous son successeur Sadate. Le quotidien Almisri Alyoum a publié sa dernière chronique le lendemain mardi avec ce titre très actuel en Égypte : «Où sont passés les projets de loi concernant la liberté de la presse et de l'information ?» Salah Aïssa ne connaîtra jamais la réponse à sa question, mais il laisse, outre ses chroniques, une dizaine d'ouvrages, dont le plus fameux reste «Les hommes de Raya et Sakina». Dans l'hommage qu'il lui a consacré dans le même journal, son confrère Salah Djaouda nous apprend qu'il a quand même reçu une distinction, assez insolite. Lors d'un Salon du livre du Caire, des écrivains et journalistes avaient reçu une «distinction honorifique» sous la forme d'une poignée de main, de la part du Président Moubarak. Le côté à la fois insolite et absurde de la cérémonie tenait au fait qu'à l'appel de leurs noms, les «élus» montaient à la tribune pour serrer la main de Moubarak. La distinction se résumait à ça, seulement, il y avait des nominés qui étaient absents, et ce sont les présents qui la recevaient à leur place. C'est ainsi que Salah Aïssa est monté deux fois à la tribune et a eu deux fois une poignée de main, l'une pour lui-même, et l'autre par délégation pour l'un de ses amis alités. Rentré chez lui, il s'est retrouvé devant un grave dilemme, à savoir s'il devait ou non se laver les mains avant d'avoir retransmis la poignée de main présidentielle à son ami absent, pour ne pas faire de mélange. Inutile de préciser qu'après sa relation des faits, Salah Aïssa n'a plus jamais eu droit à d'autres distinctions.
A. H. inLSA
halliahmed@hotmail.com
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