Par Slemnia Bendaoud
Les deux plus grandes fortunes du pays (ou supposées comme
telles) font désormais l'actualité nationale. Il ne s'agit pourtant pas de deux
farouches concurrents qui s'affrontent ouvertement sur la place publique.
Et ce n'est donc pas non plus leur impressionnante richesse
qui inquiète outre mesure la haute sphère du pouvoir ou encore le simple
citoyen. Leur guerre est plutôt bien souterraine ! Très sourde ! Une peu
vilaine sans être le moins du monde très sereine.
A l'origine, il y a certes une question de pognon gagné ou
de « f'lous » engrangé et détenu, mais ce qui importe le plus a plutôt rapport
avec leur réelle influence sur la scène économique et surtout en matière d'acte
politique.
Et tout leur différend tourne manifestement autour ou réside
encore dans la façon de le gagner ou dans la manière assez surprenante de s'en
accaparer, de s'en emparer et, bien évidemment, largement en profiter.
Issaâd Rabrab a bâti son empire économique sur une «savante
stratégie» articulée autour de la bonne interprétation des chiffres. Leur utile
utilisation en fera, plus tard, tout le reste. Des chiffres additionnés les uns
aux autres.
Car, en face, il y eut bel et bien une quasi-absence de
l'Etat, en tant qu'instrument de contrôle et de régulation du marché et des
sources d'enrichissement.
Ce comptable de formation, en grand expert et très habile
manipulateur des chiffres, saura au moment opportun en tirer profit. Il
exploitera à son avantage ces tout nécessaires ratios dont il fallait s'armer
en vue de faire face à la nouvelle situation, née de l'abrogation du monopole
de l'Etat sur le commerce extérieur, consécutivement à la promulgation de la
Constitution du 23 février 1989.
En bon capitaine de l'industrie, il aura beaucoup misé sur
le bon cheval de bataille et surtout astucieusement usé des outils de
l'économie moderne dans un pays qui était, rappelons-le, en cessation de
paiement et en phase de totale restructuration économique et industrielle ;
d'où d'ailleurs ces énormes opportunités qui lui furent offertes pour se
propulser si rapidement en grand patron privé et accumuler un aussi important
capital, lui permettant de mieux consolider ses assises et de diversifier ses
activités économiques.
Une conjoncture aussi favorable devait considérablement
réduire les délais de réussite de ses nombreux projets, dès lors qu'au sein de
son staff technique officiaient de grands routiers des branches d'activités
choisies, précocement mis sur la touche ou encore légués à la retraite avant
l'heure par leurs anciens employeurs du secteur public économique national.
Ali Haddad, lui, a plutôt choisi un tout autre itinéraire.
Une différente destination. Sa fortune -tout comme d'ailleurs sa très rapide
ascension- obéit par contre à d'autres logiques, considérations, paramètres et
conjonctures.
Elle en est le pur produit, sinon le résultat tout indiqué
ou tant attendu.
Pour ce tout petit hôtelier qui a choisi de faire les choses
en grand dans le domaine des travaux publics, secteur brassant, faut-il encore
le préciser, une très grosse manne financière, sa richesse à tout le moins
assez surprenante, reste intimement liée à la «commande publique» et surtout
conditionnée par sa réelle proximité et autres personnelles relations avec les
personnes les plus influentes évoluant au sein de la plus haute sphère du
pouvoir. Fondamentalement opposées dans leurs formes, origines, stratégies et
conceptions, ces deux «exemples de réussite économique» renvoient à deux
philosophies très distinctes, bien parallèles parfois, si elles ne sont pas
entre elles bien souvent totalement antinomiques et étrangères l'une envers
l'autre.
Pour rester dans un raisonnement de pure correction ou de
scrupuleuse neutralité qui évacue de son champ d'évaluation le concept de la
moralité de leur action, il y a lieu de retenir, outre leur raison sociale ou
domaine d'intervention assez particuliers, que ces deux hommes d'affaires
opèrent selon des stratégies qui s'affrontent dans leur logique d'évolution car
:
- Au moment où le premier puise sa réelle force et
suprématie d'une plutôt «saine compétition» où seule la loi du marché dicte ses
normes, ses prix et autres formes de réelle influence sur sa propension à
augmenter sa part de marché, le second évolue au sein d'un environnement «très
protégé», acquis d'avance et pratiquement «dépouillé de toute forme
concurrentielle»
- A l'instant où celui-ci s'intègre progressivement dans les
grands rouages des marchés internationaux où seul le génie managérial a droit
au chapitre des prouesses économiques réalisées avec panache et grand mérite,
celui-là reste très confiant qu'il peut «défier toutes les règles ou lois
économiques en vigueur» à travers le monde des affaires, étant persuadé de
faire valoir à leur place «d'autres arguments» pas assez probants mais plus
performants
- Aux nombreux blocages, tracasseries et autres pressions et
entraves que subit de plein fouet le premier, correspondent sur un tout autre
registre toutes ces «largesses et grâces du pouvoir» qui ouvrent au second
grand ouvertes les portes du pouvoir et issues d'enrichissement pour service
rendu aux gouvernants, jusqu'à le pousser à présider le monde de
l'entrepreneuriat du pays.
- Véritable acteur de l'économie du pays, celui-ci réalise
de la plus-value et une réelle valeur ajoutée dans son travail à l'heure où cet
autre ne fait que consommer un faramineux budget alloué à des projets souvent
surévalués parmi ceux qui lui sont concédés dans leur forme de gré à gré.
- Pour tout schématiser : l'un vole de ses «propres ailes»
parfaitement très haut et souvent bien loin des murs algériens alors que
l'autre «vit encore au crochet du pouvoir» auquel il reste adossé, très lié, et
des prébendes qu'il en tire ou en soutire à satiété.
Au vu des points ci-dessus développés, se pose donc la
relation de causalité entre le pouvoir et l'argent. Qui fait donc l'autre ? Et
quel est l'apport de l'un à l'autre ?
Tout le monde sait que la fortune d'Ali Haddad a été générée
et amassée grâce à sa proximité avec le pouvoir en place. D'autant plus qu'elle est des plus récentes
qui soient. Ou de toutes celles très vite gagnées qui puissent exister à
travers le monde. Et que son volume de croissance donne vraiment le tournis à
ceux qui sont hantés par les interminables séries de zéros qui terminent les
chiffres déclarés ou supposés exister.
Tandis que celle détenue par Issaâd Rabrab est plutôt plus
ou moins ancienne.
Peut-être aussi parfois très justifiée dans le contexte du
temps et dans ses origines.
Vieille de près d'un demi-siècle déjà, elle connaîtra son
grande apogée grâce à l'avènement des réformes économiques de 1989, mais aussi
à cause de la faiblesse du secteur économique étatique, suite à la chute des
prix du brut de 1986 et de l'absence de réels concurrents dans son secteur
d'activité. Et pour tout synthétiser, faut-il encore souligner que le groupe
Rabrab détient, en effet, ce «pouvoir absolu de l'argent» qui lui appartient à
l'heure où celui de Haddad reste toujours «confondu avec l'argent du pouvoir»
en place. Voilà donc pourquoi Issaâd Rabrab et sa grosse fortune font tellement
peur au régime en place.
Et voilà pourquoi Ali Haddad et la sienne en font vraiment
partie ! Dans l'esprit très étroit de notre gouvernance, l'équation de la
proximité de l'argent avec le pouvoir, sinon celle du rapprochement du pognon
avec le système de gouvernance, est donc ainsi expliquée, ainsi justifiée, dans
cette seule philosophie.
Le premier est considéré comme un redoutable adversaire par
(ou pour) le régime. Tandis que le second n'est autre que son véritable allié.
L'un est tout le temps surveillé de très près alors que l'autre est souvent
politiquement instrumentalisé. La fortune de l'un est tout le temps sévèrement
contrôlée à l'heure où celle de cet autre est plutôt encouragée par tous les
moyens, démesurément développée.
Celui-ci est dans le viseur du pouvoir au moment où celui-là
en constitue sa véritable antichambre. L'un active dans le seul secteur
économique. L'autre lui adjoint celui du sport et de la politique. A celui-ci
l'Etat dénie le droit de disposer de deux organes de presse à un moment où ce
même Etat accorde à cet autre non pas deux journaux mais aussi deux chaînes de
télévision.
Issaâd Rabrab a lui-même créé son empire économique. Tandis
qu'Ali Haddad n'est autre qu'une supposée ou bien réelle «création du système».
L'un émarge au budget d'un fonds privé alors que la fortune
de l'autre dérive tout simplement des fonds publics. Bref ! Aux restrictions
exercées sur celui-ci correspondent les largesses accordées à celui-là. C'est
tout dire, en fait !
A l'un le pouvoir demande ou même cherche à savoir à tout
moment après la traçabilité du mouvement continu de ses fonds tandis que pour
l'autre, il en constitue le parrain, le protecteur, le défenseur,
l'arrière-garde.
A l'un l'on tient vraiment court la bride -car très
dangereux pour la survie du système-, et à l'autre on tend bien loin la laisse
en vue de le laisser se promener dans tous les coins et sens, et surtout
d'empiéter sur le territoire des autres pour atteindre tous les horizons.
Tout autant que celui-ci est régulièrement accusé d'inventer
ou même de profiter d'un monopole de fait, celui-là reste favorisé dans son
entreprise de tout avoir et tout détenir par la grâce d'un régime qui
l'accompagne et l'encourage dans ses actions. C'est donc selon le rapport au
pouvoir de chacun d'entre eux qu'est jugé. D'où d'ailleurs cette politique de
«deux poids, deux mesures» !
L'argent sale reste un levier important pour tout pouvoir
corrompu. Tandis que la transparence au sein des régimes démocratiques est un
gage qui garantit leur pérennité. Tout pognon indûment gagné n'est que la face
cachée d'un système autocratique et bureaucratique. Le hic est qu'il (le
régime) se nourrit de la corruption qu'il génère et élève en pratique citoyenne
!
Et si Issaad Rabrab a su tirer profit d'une période de
grande léthargie de la politique économique du pays, Ali Haddad, lui, n'est pas
allé avec le dos de la cuillère pour bâtir rapidement tout son grand empire.
Le premier symbolise ce véritable «pouvoir de l'argent».
Alors que le second ne constitue que cet argent «arraché à la sphère du
pouvoir» dont se pavanent ces nouveaux riches de la société algérienne.
Alors que les produits de l'un sont exportables, ceux de
l'autre se consomment exclusivement en intra-muros et à un coût de revient très
élevé. Voilà en gros où mène un projet bien pensé et où conduit un autre tout à
fait improvisé !
S'il est, bien évidemment, reconnu aux hommes d'affaires de
disposer de beaucoup d'intelligence dans leurs tentatives liées au gain de leur
fortune, aussi faut-il encore se prévaloir d'être de bonne culture afin d'en
faire bon usage !
De mieux le fructifier en tant qu'acteur générateur d'emploi
et de pourvoyeur de ces fonds et projets qui aident à développer le pays et
assurer sa pérennité.
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