par Chems Eddine Chitour
«Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à
apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres.» Antonio Gramsci.
Cette année 2017 a été riche en stress. Trois évènements
majeurs ont structuré cette année horribilis marquée par la politique de Trump.
S'il y a une chose qu'il faut lui reconnaitre c'est qu'il fait ce qu'il dit.
Cependant, ces actions ont déstabilisé plus que prévu le mouvement du monde. Ce
sera d'abord le décret contre l'entrée aux Etats-Unis de certains pays
musulmans, ensuite ce sera plusieurs actions qui montrent l'isolationnisme d'un
côté et l'interventionnisme de l'autre. Cette année 2017 a vu aussi plus que
jamais les conflits prendre une connotation ethnique et religieuse.
Souvenons-nous des Rohingyas décimés par la junte birmane avec la bénédiction
de la prix Nobel de la paix Au Sung Tsu Kii. Souvenons-nous aussi de la
victoire de la Syrie et de la débâcle de Daesch, malgré toutes les aides
occidentales. Souvenons-nous aussi de Kim Jong-Un pour qui l'arme nucléaire est
la meilleure assurance-vie pour son régime, le président des Etats-Unis brandit
régulièrement la menace du feu américain. Trump, malgré ses tirades sur le feu
nucléaire, en vient à prendre acte par de discrètes reculades de Tillerson
malgré les démentis de la Maison Blanche. Les nièmes sanctions contre la Corée
du Nord ne pourront pas impressionner ce pays et le monde occidental s'habitue
à l'idée que la Corée du Nord est une nation nucléaire.
Bilan d'une année d'angoisse avec Trump :
Pour Sylvia Swinden l'élection de Trump a déjà mené à une
série de mesures qui font de cette période l'une des plus dangereuses de
l'histoire, y compris la montée de la menace d'une guerre nucléaire. Voici une
petite liste. Tentatives d'abrogation de l'Obamacare, et à défaut, suppression
de son financement. Retrait de l'accord de Paris sur le changement climatique.
Augmentation du financement des armes nucléaires. Interdiction de l'immigration
de musulmans et promotion de l'islamophobie sous toutes ses formes :
Déclaration de Jérusalem capitale d'Israël, aggravant le conflit au
Moyen-Orient. Réduction d'impôt pour les riches et les entreprises,
augmentation pour les pauvres. Menace d'anéantir la Corée du Nord, dans une
première manche sans diplomatie avec son compère militariste Kim Jong-Un.
Retour des aides pour le pétrole et le charbon au détriment des énergies
renouvelables. Déclare que les manifestants néo-nazis et anti-nazis sont
comparables. Je suis sûre que d'autres peuvent s'ajouter à la liste. Mais comme
nous l'avons déjà dit, Trump n'est pas le
problème, mais le
symptôme. Par le passé, le système a été plutôt habile pour cacher ses vraies
couleurs. La ploutocratie déguisée en démocratie, la politique de la peur, le
racisme, la déshumanisation à tous les niveaux, tout ceci existait déjà. Si
auparavant nous nous sommes voilés la face, maintenant ce n'est pas si facile.
Le système fabrique Trump depuis des décennies, c'est-à-dire qu'il fabrique les
conditions pour que nous votions nous-mêmes pour ce type de dirigeant». (1)
«Il est vrai que l'anti-humanisme radical répand sa violence
dans le monde entier, et c'est effrayant. Mais les fascistes, les extrémistes,
les fondamentalistes néolibéraux, eux aussi ont peur. Le vide existentiel du
système dominant est un terrain fertile pour l'irrationalisme. La renaissance
que nous recherchons n'est pas seulement faite de justice sociale,
d'anti-discrimination et de solidarité, réalisée à travers la méthodologie de
la non-violence. Sa véritable force proviendra d'une révolution spirituelle, de
la concrétisation de la véritable dimension de l'être humain, de la capacité
des hommes et des femmes à se transformer et à transformer le monde» (1)
Pour couronner le tout, la guerre bactériologique reprend
ainsi. Le gouvernement fédéral américain a levé aussi le moratoire imposé sur
le financement de la recherche impliquant le développement et l'étude des
techniques visant à rendre certains virus plus meurtriers et plus
transmissibles, voire mortels» (2).
L'hubris de Salman et le calvaire du peuple yéménite
De façon tout à fait symétrique Mohamed Ben Salman se veut à
tout prix le seul leader au Moyen-Orient faisant de son combat contre l'Iran
«une croisade». Naturellement il s'allie avec Israël pour cela. Des décisions
intempestives, toutes proportions gardées, sont prises comme celle du président
américain sans l'intelligence la force militaire mais avec une manne imméritée
allant même jusqu'à faire un hold-up de 800 milliards de dollars en rackettant
les princes. Ces argents lui permettront de faire une guerre atroce à un petit pays,
le Yémen. En 1000 jours d'offensive saoudienne au Yémen il y eut 13.603 martyrs
dont 2.887 enfants et 2.027 femmes, 21.812 blessés dont 5.000 femmes et
enfants, 841.906 personnes atteintes de choléra et 2.176 personnes en sont
mortes, 8 millions de personnes souffrent de la famine. Du point de vue
infrastructure 211 sites archéologiques ont été démolis, 31 hôpitaux, 174
centrales d'électricité, 15 aéroports, 945 établissements d'enseignement, 82
mosquées. Au Yémen enfin 1 enfant meurt toutes les 10 minutes de diverses
façons» (3)
La décision sur Jérusalem et ses conséquences
Une nouvelle de plus qui plonge les Palestiniens dans le
désarroi et la communauté des hommes épris de justice scandalisés par
l'injustice et les faits du prince. Après Lord Balfour qui promet un home, pour
la troisième fois, les Israéliens se voient remettre les clés d'une ville trois
fois sainte. Cette décision dangereuse du président américain de transférer
l'ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem qu'il déclare être la capitale
d'Israël est dangereuse à plus d'un titre. Elle consacre, à Dieu ne plaise, le
droit de la force. Dans cette déclaration Trump ne parle nullement de Jérusalem
ouest, pour lui la Jérusalem est depuis 1967 n'existe pas. Cette violation du
droit international Trump n'en a cure. Comme conséquence, les affrontements
continuent dans la bande de Gaza entre des soldats israéliens et des
Palestiniens qui protestent contre la décision des États-Unis de reconnaître
Jérusalem comme la capitale d'Israël, faisant de plus en plus de victimes. Le
nombre de victimes des affrontements avec l'armée israélienne parmi les
Palestiniens a atteint 12 personnes depuis l'annonce de Donald Trump de la
reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël, a déclaré à Sputnik le
porte-parole du ministère de la Santé à Gaza, Ashraf al-Qudra. L'Assemblée
générale de l'Onu a approuvé jeudi soir à une large majorité des voix la
résolution contre la décision des États-Unis de reconnaître Jérusalem comme
capitale d'Israël, rejetant ainsi le choix de Donald Trump. 128 pays ont voté
en faveur de la résolution, neuf contre, 35 autres se sont abstenus.
Les conséquences imprévues de la décision de Trump
Pour Abdel Bari Atwan Trump a rendu service aux musulmans.
Il écrit : «L'initiative de Trump sur Jérusalem a remis la Palestine sur le
devant de la scène arabe et islamique. Il a également allumé la mèche d'une
intifada qui pourrait durer des mois, voire des années, et qui sera le prélude
d'une guerre régionale qui remodèlera la carte de la région, l'équilibre des
pouvoirs et les alliances. Le pari de Trump, salué par le Premier ministre
israélien Binyamin Netanyahou et le lobby israélien à Washington, a marginalisé
les deux principaux alliés arabes des Etats-Unis, l'Arabie saoudite et l'Egypte,
et a considérablement renforcé la position de deux Etats non arabes, l'Iran et
la Turquie, qui sont en compétition avec eux pour le leadership du monde
islamique et de ses autorités religieuses. Le fait que le commandant iranien
Qassem Soleimani en appelle publiquement aux dirigeants des ailes armées des
groupes palestiniens et offre tout son soutien aux forces de résistance contre
Israël, montre l'émergence de l'Iran en tant qu'allié principal des
Palestiniens et de leur intifada à un moment où la plupart de ses rivaux arabes
du Golfe sont en train de normaliser leurs relations avec l'Etat israélien et
de se rendre complices de Trump dans la judaïsation la ville sainte» (5).
La crise actuelle sur Jérusalem a porté un coup dur à cette
ambition, en favorisant l'émergence d'un front islamique qui inclut les deux
Etats régionaux les plus puissants la Turquie sunnite et l'Iran chiite et qui
s'unit aux peuples arabes, chrétiens
inclus, sur une base non sectaire ou non confessionnelle pour affronter Israël et son allié Trump et
pour obliger le monde à voir le conflit sous son vrai jour, à savoir celui d'un
peuple opprimé par un Etat colonisateur raciste et sans merci. Ce n'est pas un
changement qu'Israël et ses alliés de l'alliance «sunnite modérée» avaient
anticipé. Trump mérite
notre gratitude pour sa décision
sur Jérusalem, car
elle a uni le monde islamique et porté
un coup mortel à la
division sectaire entre les Sunnites et les Shiites. Elle a isolé ses alliés arabes qui normalisent
leurs relations avec Israël et deviennent ses alliés ou ses amis» (5).
Le monde va mal
Sans vouloir prendre à notre compte la prophétie de
Huntington sur le choc des civilisations, force est de constater l'irruption du
religieux dans les sociétés. Philippe Portier et Alain Dieckhoff avancent que
la religion sert de plus en plus de mode de gouvernance surtout si elle est
alliée à l'ethnie. Ils écrivent : «Dans beaucoup de pays aujourd'hui, et bien
au-delà de la seule Europe dont on fait souvent le continent exemplaire de la
sécularisation, il y a à l'évidence des phénomènes de reflux de la croyance.
Toutefois, parallèlement à ce recul éventuel, le monde contemporain est
également marqué par une réaffirmation du religieux. Cette dernière se
manifeste, d'abord, par une présence plus forte des religions sur la scène
publique. Elle peut passer par une «pénétration par le bas», qui prend souvent
la forme d'une intervention des groupements confessionnels dans les sphères
éducative et sociale. Elle peut aussi s'exprimer, de façon beaucoup plus
spectaculaire, à travers une «pénétration par le haut». Le religieux est alors
directement mobilisé dans la sphère politique (..) Avec l'épuisement des
projets idéologiques séculiers, le religieux devient une ressource que de plus
en plus de pouvoirs politiques utilisent sans vergogne. La religion remplit dès
lors une fonction d'identification nationale. Au Japon, le gouvernement de
Shinzo Abe met ainsi en avant le shinto ; en Pologne, c'est l'enracinement
catholique qui est exalté ; en Turquie, l'ancrage islamique est célébré par le
nouveau sultan ; en Israël, l'exhortation à la consolidation de la dimension
juive de l'Etat se renforce avec constance ; tandis qu'au Myanmar,
l'affirmation de la birmanité passe par le bouddhisme. Tous ces nationalismes
religieux génèrent des processus d'exclusion qui, dans des cas extrêmes,
conduisent à des massacres et à des expulsions, comme ceux qu'endurent les
Rohingyas musulmans de Birmanie. Ainsi donc, contrairement à ce qu'écrivait
Friedrich Nietzsche, Dieu n'est pas mort, il fait de la politique» (6).
Les nouvelles formes d'inquisition
Même constat de Claire Verilhac : «Depuis la nuit des temps
les religions ont été utilisées par des fous afin d'assouvir appétits de
pouvoir et instincts meurtriers. Un prétexte bien commode puisque irrationnel.
De l'Inquisition à Trump des terroristes ont semé la haine et la mort en leur
nom. Il est urgent de les arrêter. On l'a déjà oublié mais Donald Trump, à
peine investi président des Etats Unis, annonçait déjà la couleur. Pour son
premier voyage officiel, en mai 2017, il se rendait dans les trois Etats
religieux que sont le Vatican, l'Arabie saoudite et Israël ! Ainsi commencera
sa «croisade» qui l'amènera à désigner Jérusalem capitale d'Israël, comme il
l'avait promis durant sa campagne à la droite évangélique, la remerciant ainsi
de son important soutien électoral. On voit bien que dès que sont associés «pouvoir» et «religion» la volonté de semer la terreur
c'est-à-dire le
terrorisme, n'est jamais très
loin. C'est même le
compagnon de route habituel »
(7).
Mais en Europe, particulièrement en France, nombre de voix
politiques et médiatiques flirtent dangereusement avec ces théories raciales,
par exemple lorsqu'elles exigent des seuls musulmans qu'ils se positionnent
contre le terrorisme. Demande-t-on à tous les Juifs de prendre parti contre les
massacres de Palestiniens ? A tous les catholiques de se dissocier des prêtres
pédophiles ? Heureusement non, bien sûr. Les musulmans sont devenus des cibles
permanentes et les propos racistes à leur encontre désormais monnaie courante.
Dans le cadre de l'état d'urgence c'est au nom de leur religion (supposée)
qu'ils ont été arrêtés, perquisitionnés ou assignés à résidence quand bien même
on n'avait rien de spécial à leur reprocher. Des coupables potentiels «par
nature» là aussi ! Ce sont pourtant eux les principales victimes du terrorisme
et la simple décence voudrait qu'on cesse de parler de «terrorisme islamique»
et d'associer ainsi, comme le souhaitent les assassins, leurs crimes à une
religion.
L'université du Maryland (Etats-Unis) a recensé l'intégralité
des attaques terroristes qui ont eu lieu à travers le monde entre 2001 et 2016.
Celles-ci ont coûté la vie à 188.272 personnes, sans compter les auteurs des
faits eux-mêmes, et fait plus de 340.000 blessés. Les pays les plus frappés
sont l'Irak, le Pakistan et l'Afghanistan. Et les musulmans représentent 90%
des victimes ! Les dirigeants occidentaux, Etats-Unis en tête, ont soutenu, et
soutiennent, systématiquement les régimes religieux les plus rétrogrades :
Talibans, Israël ou Arabie saoudite. En parallèle ils se sont acharnés à
détruire les régimes laïques : Irak, Libye ou Syrie semant chaos,
déstabilisation politique durable de régions entières, guerres, terrorisme,
cortèges de réfugiés» (7).
«Les religions ont tout à fait leur place dans notre culture
en tant qu'œuvres littéraires au même titre que celles d'Aristote, Avicenne,
Maïmonide, Descartes ou Spinoza. Car les trois religions du Livre, qui en
réalité n'en sont qu'une, nous invitent à l'universalisme. Il y est question de
notre fragile condition humaine et cela ne peut pas nous être totalement
indifférent. Encore faut-il interroger ces sources que sont la Bible, les
Evangiles ou le Coran en les situant dans leur contexte historique,
géographique et politique. Ce que font de passionnants exégètes talmudiques,
coraniques, ou les penseurs de la Réforme par exemple.
Les fondamentalistes de tous poils rejettent, eux, ces
analyses et n'admettent qu'une lecture au premier degré de ces textes, faisant
fi du contexte dans lequel ils ont été écrits, opposant ainsi la croyance à la
raison ce qui permet toutes les dérives. Ce serait de peu d'importance s'il ne
s'agissait là que de quelques illuminés à qui on n'accorde pas un rôle
politique majeur.
Mais ce sont justement ces adeptes de l'ignorance qui sont
au pouvoir : - un président des EU redevable aux fondamentalistes chrétiens qui
ont assuré son élection et qui rejettent en bloc la science, le savoir, le
progrès, - un Premier ministre israélien qui s'appuie sur des textes vieux de
3.000 ans pour justifier colonisation, racisme, apartheid, massacres ...- des
dirigeants saoudiens qui utilisent une religion pour s'affranchir du respect
des droits humains fondamentaux. C'est cette coalition obscurantiste qui décide
de la marche du monde et qui fait son malheur ! (..) Cette volonté d'attiser
les haines, les communautarismes, encourage toutes les intolérances et crée à
coup sûr de nouveaux adeptes pour toutes les sectes assassines. Il est grand
temps de séparer ce couple infernal et la France s'est dotée d'un atout
précieux, la laïcité, qui devrait lui permettre de jouer un rôle important au
niveau international» (7).
Que nous réserve 2018 ? Nous pourrions dire Business as
usual ! A moins que par miracle la raison l'emporte partout sur l'irrationalité.
Les prémices invitent à être. Car l'ancien monde de l'unipolarité ne veut pas
lâcher prise au profit d'un monde apaisé où chaque pays a sa part d'humanité.
Ce clair-obscur, pour reprendre Gramsci, verra l'avènement de monstres déclinés
de façons diverses. C'est peut-être cela l'Apocalypse de Jean et pour les
musulmans, «el quarn arba'etache» «le quatorzième siècle» synonyme de
bouleversement du monde et de fin des temps. Bonne année 2018 !
Note :
1.https://www.pressenza.com/fr/2017/12/trump-magasin-de-porcelaine/
2.http://trustmyscience.com/les-usa-levent-l-interdiction-federale-de-creer-des-virus-mortels-en-laboratoire/
3.http://arretsurinfo.ch/1000-jours-doffensive-saoudienne-au-yemen/
4.https://www.alternatives-economiques.fr/religion-recomposee/00082101
5.Abdel Bari Atwan http://www.raialyoum.com/?p=795122
6.
https://www.alternatives-economiques.fr/religion-recomposee/00082101
7.Claire Verilhac https://blogs.mediapart.fr/register/blog/011117/religion-et-politique-...
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