Alors que la Mecque complotait ainsi contre Mohammed, Médine
lui préparait, au contraire, un accueil enthousiaste et solennel.
Le serment d’Akaba - pacte de Mohammed avec les gens de
Médine, dénommés depuis les Ançars - et le zèle du Naquib Mouçab, lequel avait
su gagner à l’Islam de nombreuses sympathies dans Yathrib, avaient préparé
l’Hégire.
Une nuit, alors que les conjurés faisaient le guet devant le
domicile de Mohammed, celui-ci en sortit sous les yeux de ses ennemis : sans en
être vu, dit la tradition, il réussit à gagner les environs de la Mecque avec
un de ses compagnons, Abou Bekr. Ils se réfugièrent dans une grotte, Ghar
Thour, où le guide convenu devait les rejoindre avec les chamelles et les
provisions deux ou trois jours plus tard afin de dépister les poursuivants.
Mais l’alerte est donnée à la Mecque, aussitôt le départ des
fugitifs, et les Koréichites se mettent sur leurs traces.
Quiconque a connu la vie du désert, se rend compte de la
chance minime que Mohammed et son compagnon avaient à s’échapper. Et, de fait,
les pisteurs arrivent jusqu’à l’entrée de la grotte. Mais ils n’en franchirent
pas le seuil. La tradition explique cet étrange épisode par l’intervention
miraculeuse d’une douce colombe et d’une fragile araignée.
Quoi qu’il en soit, même si la légende a pu intervenir dans
l’explication de ce dénouement étonnant, l’historicité de l’épisode n’en est
pas moins certaine, quoi qu’il puisse paraître. Elle ressort, en effet, du plus
sûr document de l’époque : Le Coran. L’incident est explicitement relaté dans
le verset suivant
« Si vous ne secourez pas le prophète, Dieu l’a secouru ;
lorsque les incrédules l’ont expulsé, lui, le deuxième des deux, le jour où
tous deux se trouvèrent dans la caverne, et qu’il dit à son compagnon : Ne
t’affliges pas ; Dieu est avec nous ! Alors Dieu lui inspira la confiance et la
sérénité... » (Cor. IX, 40).
Évidemment le destin prépare ses voies d’une manière
quelquefois déconcertante.
Pour l’intérêt de notre étude, nous retenons de cet incident
historique, le détail psychologique qui ressort de la sérénité imperturbable du
Prophète, rassurant son compagnon, avec un calme surhumain, à l’instant même où
le danger et la mort étaient si proches.
La sincérité de Mohammed, qui est à établir comme la
condition absolument nécessaire pour l’utilisation de la donnée coranique comme
document psychologique certain, se manifeste à l’évidence et d’une manière
dramatique en cet instant particulièrement crucial.
Enfin, les poursuivants s’étant retirés, les fugitifs purent
prendre tranquillement le chemin de Yathrib, la patrie des Ançars, qui leur
réservait une grandiose réception. Pour mieux marquer cette solennité, la ville
changea elle-même de nom : pour se consacrer entièrement à Mohammed, elle
s’appellera désormais : Médinet-En-Nabi.
Sur tous les toits, les femmes et les enfants guettaient
l’arrivée des illustres fugitifs et inauguraient l’ère nouvelle, l’ère de
l’Hégire, par un chant que répètent, depuis les générations de l’Islam :
« La lune point sur la colline des adieux.
O Toi qui est envoyé par Dieu,
Tu viens avec un ordre qui sera obéi... »
Pendant que cet alléluia fusait de toutes parts, Mouhadjirs
et Ançars nouaient entre eux les premiers liens de la fraternité islamique,
base d’une nouvelle société et d’une nouvelle civilisation.
Mais combien cette jeune communauté ne va-t-elle pas poser maintenant
de problèmes législatifs, religieux, politiques et militaires ?
C’est à la solution de cette multitude de problèmes que
Mohammed, - indépendamment de la révélation qui se poursuit apportant toujours
la suprême lumière et le dernier mot - va déployer maintenant un génie d’une
ampleur incomparable. L’homme va se révéler d’une intelligence surprenante,
d’un jugement quasi infaillible sur la valeur des choses et la psychologie des
hommes et d’un caractère que rien ne pourra ébranler.
Jusque-là, nous avons suivi ses pas d’apôtre, nous avons
surtout cherché à saisir les mouvements de son cœur et de son âme, à surprendre
dans ses gestes et même dans ses prières les indices apparents de son humilité,
de sa foi et surtout de sa sincérité totale.
La période mecquoise est essentiellement l’ère spirituelle,
celle du Prophète appelant et guidant des élus et une élite.
La période médinoise est à la fois la suite de la première
et sa conséquence temporelle : le Prophète et le chef vont se doubler
maintenant pour appeler et guider des masses populaires. La technique des
foules devait fatalement faire suite à la psychologie de l’individu : les
problèmes d’une société ne peuvent pas se résoudre seulement par un
enseignement éthéré. En œuvrant à la solution de tous ces problèmes,
Mohammed va nous permettre de compléter son portrait psychologique par un
aspect intellectuel. Dans le feu de l’action, on peut en effet mieux saisir
maintenant les nuances de sa pensée, mieux apprécier l’étoffe de son caractère
et estimer la qualité de son jugement sur les autres et sur lui-même.
En réalité, il y aurait là une bien singulière prétention à
vouloir saisir tous les traits de cet aspect intellectuel, car cela reviendrait
à faire toute l’histoire d’un génie incomparable dans le cadre restreint d’un
paragraphe.
Nous nous bornerons à poser seulement quelques jalons vers
la conclusion de ce critère.
A Médine, le premier souci de Mohammed sera de pacifier la
ville de ses luttes intestines, de réconcilier les Aous et les Khazradjs, en
vue d’organiser une défense efficace contre l’ennemi de l’extérieur : le
Koraïchite.
L’heure du « Djihad » va sonner.
La critique moderne veut s’en étonner. Elle ne comprend pas
que l’apôtre en ait ainsi appelé aux armes matérielles. Mais, si Mohammed
s’était armé du glaive, c’est parce qu’il savait très bien que la Mecque
n’allait pas désarmer et, là-dessus, l’histoire lui donnera raison.
Il n’y
a pas lieu de faire une comparaison entre le christianisme et l’Islam sur ce
point : les conditions historiques n’étaient pas les mêmes. Le premier
affronte du dedans un état organisé et mine intérieurement ses rouages.
Le second fait face sur un front extérieur à un état
organisé, la Mecque, et il doit le détruire du dehors ou périr lui-même.
Ces conditions sont d’ailleurs imposées par le cours même
des événements : historiquement, le Djihad est la conséquence de l’hégire.
Le même phénomène s’est produit dans l’histoire du Judaïsme,
quand lsraël, sous la conduite de Moïse et de Josué, affrontera de l’extérieur
les états organisés des rives du Jourdain.
Donc Mohammed va s’organiser pour la lutte armée qui lui
ouvrira les portes de la Mecque, en l’an VIII de la nouvelle ère.
Mais avant cette apothéose, qui fera rêver l’orgueilleux
Abbou Soufyan, combien d’écueils ! Toute une série de noms prestigieux vont
résonner désormais dans l’histoire du monde
Bedr ! Uhod ! El-Khandak ! Honaïn !
Extrait de « le phénomène Coranique » de Malek Bennabi,
1946, édité par "International Islamic Federation of Student
Organizations"
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