Par YOUCEF MERAHI
Les anciens, qui disposaient de la faconde et de la parole ciselée, ont façonné des proverbes, une sorte de chute d’un discours, pour prendre un ascendant sur le groupe. C’est une manière d’appuyer une proposition, un argumentaire ou une accusation, lors d’un rassemblement. Malgré l’oralité, des proverbes sont restés, de nos jours, d’actualité. Et sont encore utilisés, parfois par pédantisme, souvent par moquerie, des fois pour convaincre un auditoire. Cependant, je pense qu’il y a des proverbes qui ne rendent pas service à ceux qui les utilisent ; même si je reconnais que cette façon de discourir est désuète, passée de mode et inutile. Sauf qu’il y a des malins qui nous ont légué certains proverbes qui façonnent encore notre société.
«Koul âtla fiha khir» (Tout retard peut être un bienfait) est le premier exemple que je citerais. Ailleurs, sous d’autres cieux, là-bas où on «carnette» son temps, ce dernier vaut de l’argent. Tout provient et tout va vers la productivité, y compris quand il s’agit du secteur dit «parasitaire». Le temps, c’est de l’argent ! Chez nous, par contre, le temps se distend en fonction de nos humeurs, de notre «nefha» et de notre bon vouloir. On prend notre temps. On donne le temps au temps. On devient esclave du temps. On ne le domine pas. On loupe un rendez-vous ? Et alors ? C’est peut-être un bien pour un mal. On ne s’embarrasse pas de la ponctualité, de l’importance du rendez-vous ni de la gêne qu’on peut créer. Alors, fiers de notre fatalisme, on s’exclame : «Koul âtla fiha khir !» Et on passe notre chemin. On ne se pose pas comme préalable de prendre en compte les aléas du trajet, de régler son réveil à une heure précise, d’appeler pour s’excuser de ne pas honorer le rendez-vous et/ou de partir à l’avance pour arriver à l’heure. Ce qui est valable pour le commun des Algériens, comme moi, l’est également pour notre administration. Eh oui ! Doucement le matin, pas trop vite le soir ! Pourquoi se tracasser outre mesure ? On a le temps pour nous. Qui nous presse de régler un dossier quelconque ? Reviens la semaine prochaine. Comme tu vois, on est débordé. On a trop de dossier. Tu ne peux pas aller plus vite que le temps. Une journée dispose de vingt-quatre heures. Ne nous mets pas dans une chéchia. «Koul âtla fiha khir», ya kho ! Et vogue ainsi la galère des rendez-vous ratés, des escaliers usés par nos semelles, des crises de nerfs, des pots-de-vin, des recommandations et de la paperasse à n’en plus finir. Un jour peut-être, nous dirons à l’unisson «Koul âtla fiha char» ; ce jour-là, les poules auront des dents.
Ce que je vais vous proposer comme proverbe, maintenant, relève beaucoup plus d’un trait de philosophie qui, en fait, n’en est pas une ; car il n’y a là aucun amour de la sagesse. Qui n’a pas prononcé, un jour, cet anti-cri de «Regda w’t’manji». Manger et dormir. Dormir et manger. Kif-kif ! Les rois fainéants, c’était ça, non ? Le drame, chez nous, est que nous sommes tous des rois, tous des fainéants.
La preuve, nos enfants refusent de subir les compos du dernier trimestre lors du mois de Ramadhan. Lors de ce mois, on vit la nuit et on dort le jour, pour éviter l’épreuve de la faim. J’ai assez discuté avec ceux de cette génération, chômeurs de leur état, qui n’acceptent de job que celui d’agent de sécurité ou celui de chauffeur. Surtout, s’il s’agit de veilleur de nuit. En termes de veille, il faut repasser. On ne fait que changer de lit. On se munit de sa gamelle, on réchauffe sur le chauffage de la loge, on prend quand même soin de se barricader, on dîne, un peu de télé (oui, il y a des loges qui en disposent), puis on va pioncer comme un veilleur de nuit algérien. «Regda w’t’manji» : c’est cela, même ! Manger et dormir. Ah, le poste de chauffeur ! Comme il est couru ! Travailler assis, c’est le pied ! Il faut reconnaître que l’Algérien a un rapport avec la voiture aussi particulier que l’Américain. A telle enseigne qu’on change le nom de chaque bagnole. Tenez : merdassa pour Mercedes, biyouma pour la BM, debza pour la Clio… L’Algérien n’est pas tout à fait responsable de cet état de fait, le système y est pour beaucoup. Allez remettre au boulot un quidam qui n’a jamais travaillé ! Je me rappelle, avec effroi, d’un texte du SGT (les anciens connaissent ce sigle, tout comme la GSE…) qui a prévu des appariteurs et des appariteurs chefs. Je ne plaisante pas, ça a existé en ce pays des miracles.
Il y a un proverbe en kabyle qui leur a dit tous de dormir. Ouais, aujourd’hui, je perds mon français. «Akham yergha khertsoum an sehmou» ! Langue officielle ou pas, je vais devoir tenter une traduction. «La maison a brûlé. Et alors ? Au moins, on pourra se réchauffer.» Plus fort que ça, oulach. Plus machiavélique que ça, tu meurs. Plus débile que ça, tu peux repasser.
Si ce n’est pas un suicide, je me demande ce que c’est. D’aucuns connaissent l’histoire de Djeha à qui on annonce que sa maison brûle, il répond je ne suis pas dedans. Sauf que Djeha, c’est Djeha ! Rien d’autre ! Mais là, ce proverbe est à la taille d’un pays. De fait, je me demande si la chanson «Madame la marquise» n’a pas été inspirée par notre proverbe. Tout va bien «Madame la marquise», sauf que le château et le marquis ont brûlé.
De quel contexte est tirée cette folie ? Car, je vois d’ici quelques esprits patriotards me dire, il faut toujours remettre les événements et/ou paroles dans leur contexte. Pourquoi pas le contexte dans son problème ? Façon de dire que plus on coule, plus on prend du plaisir à couler.
Et en touchant le fond ? Redis-nous ta sentence cher Fellag ! Quand donc finirons-nous de creuser ? Un jour, peut-être !
Y. M. IN LSA
Les anciens, qui disposaient de la faconde et de la parole ciselée, ont façonné des proverbes, une sorte de chute d’un discours, pour prendre un ascendant sur le groupe. C’est une manière d’appuyer une proposition, un argumentaire ou une accusation, lors d’un rassemblement. Malgré l’oralité, des proverbes sont restés, de nos jours, d’actualité. Et sont encore utilisés, parfois par pédantisme, souvent par moquerie, des fois pour convaincre un auditoire. Cependant, je pense qu’il y a des proverbes qui ne rendent pas service à ceux qui les utilisent ; même si je reconnais que cette façon de discourir est désuète, passée de mode et inutile. Sauf qu’il y a des malins qui nous ont légué certains proverbes qui façonnent encore notre société.
«Koul âtla fiha khir» (Tout retard peut être un bienfait) est le premier exemple que je citerais. Ailleurs, sous d’autres cieux, là-bas où on «carnette» son temps, ce dernier vaut de l’argent. Tout provient et tout va vers la productivité, y compris quand il s’agit du secteur dit «parasitaire». Le temps, c’est de l’argent ! Chez nous, par contre, le temps se distend en fonction de nos humeurs, de notre «nefha» et de notre bon vouloir. On prend notre temps. On donne le temps au temps. On devient esclave du temps. On ne le domine pas. On loupe un rendez-vous ? Et alors ? C’est peut-être un bien pour un mal. On ne s’embarrasse pas de la ponctualité, de l’importance du rendez-vous ni de la gêne qu’on peut créer. Alors, fiers de notre fatalisme, on s’exclame : «Koul âtla fiha khir !» Et on passe notre chemin. On ne se pose pas comme préalable de prendre en compte les aléas du trajet, de régler son réveil à une heure précise, d’appeler pour s’excuser de ne pas honorer le rendez-vous et/ou de partir à l’avance pour arriver à l’heure. Ce qui est valable pour le commun des Algériens, comme moi, l’est également pour notre administration. Eh oui ! Doucement le matin, pas trop vite le soir ! Pourquoi se tracasser outre mesure ? On a le temps pour nous. Qui nous presse de régler un dossier quelconque ? Reviens la semaine prochaine. Comme tu vois, on est débordé. On a trop de dossier. Tu ne peux pas aller plus vite que le temps. Une journée dispose de vingt-quatre heures. Ne nous mets pas dans une chéchia. «Koul âtla fiha khir», ya kho ! Et vogue ainsi la galère des rendez-vous ratés, des escaliers usés par nos semelles, des crises de nerfs, des pots-de-vin, des recommandations et de la paperasse à n’en plus finir. Un jour peut-être, nous dirons à l’unisson «Koul âtla fiha char» ; ce jour-là, les poules auront des dents.
Ce que je vais vous proposer comme proverbe, maintenant, relève beaucoup plus d’un trait de philosophie qui, en fait, n’en est pas une ; car il n’y a là aucun amour de la sagesse. Qui n’a pas prononcé, un jour, cet anti-cri de «Regda w’t’manji». Manger et dormir. Dormir et manger. Kif-kif ! Les rois fainéants, c’était ça, non ? Le drame, chez nous, est que nous sommes tous des rois, tous des fainéants.
La preuve, nos enfants refusent de subir les compos du dernier trimestre lors du mois de Ramadhan. Lors de ce mois, on vit la nuit et on dort le jour, pour éviter l’épreuve de la faim. J’ai assez discuté avec ceux de cette génération, chômeurs de leur état, qui n’acceptent de job que celui d’agent de sécurité ou celui de chauffeur. Surtout, s’il s’agit de veilleur de nuit. En termes de veille, il faut repasser. On ne fait que changer de lit. On se munit de sa gamelle, on réchauffe sur le chauffage de la loge, on prend quand même soin de se barricader, on dîne, un peu de télé (oui, il y a des loges qui en disposent), puis on va pioncer comme un veilleur de nuit algérien. «Regda w’t’manji» : c’est cela, même ! Manger et dormir. Ah, le poste de chauffeur ! Comme il est couru ! Travailler assis, c’est le pied ! Il faut reconnaître que l’Algérien a un rapport avec la voiture aussi particulier que l’Américain. A telle enseigne qu’on change le nom de chaque bagnole. Tenez : merdassa pour Mercedes, biyouma pour la BM, debza pour la Clio… L’Algérien n’est pas tout à fait responsable de cet état de fait, le système y est pour beaucoup. Allez remettre au boulot un quidam qui n’a jamais travaillé ! Je me rappelle, avec effroi, d’un texte du SGT (les anciens connaissent ce sigle, tout comme la GSE…) qui a prévu des appariteurs et des appariteurs chefs. Je ne plaisante pas, ça a existé en ce pays des miracles.
Il y a un proverbe en kabyle qui leur a dit tous de dormir. Ouais, aujourd’hui, je perds mon français. «Akham yergha khertsoum an sehmou» ! Langue officielle ou pas, je vais devoir tenter une traduction. «La maison a brûlé. Et alors ? Au moins, on pourra se réchauffer.» Plus fort que ça, oulach. Plus machiavélique que ça, tu meurs. Plus débile que ça, tu peux repasser.
Si ce n’est pas un suicide, je me demande ce que c’est. D’aucuns connaissent l’histoire de Djeha à qui on annonce que sa maison brûle, il répond je ne suis pas dedans. Sauf que Djeha, c’est Djeha ! Rien d’autre ! Mais là, ce proverbe est à la taille d’un pays. De fait, je me demande si la chanson «Madame la marquise» n’a pas été inspirée par notre proverbe. Tout va bien «Madame la marquise», sauf que le château et le marquis ont brûlé.
De quel contexte est tirée cette folie ? Car, je vois d’ici quelques esprits patriotards me dire, il faut toujours remettre les événements et/ou paroles dans leur contexte. Pourquoi pas le contexte dans son problème ? Façon de dire que plus on coule, plus on prend du plaisir à couler.
Et en touchant le fond ? Redis-nous ta sentence cher Fellag ! Quand donc finirons-nous de creuser ? Un jour, peut-être !
Y. M. IN LSA
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Qu’en pensez vous?