Par Boubakeur Hamidechi
A la veille de la Journée internationale de la presse (3 mai), il ne sera pas facile à cette corporation d’ignorer la plainte introduite auprès des tribunaux par le ministère de la Communication et relative à la récente cession du groupe de presse El Khabar. Alors que les spécialistes du droit commercial sont d’avis pour dire que cette transaction ne souffrait aucune entorse à la loi, le pouvoir a décidé de répliquer afin d’exiger que cet accord soit frappé de nullité.
Invoquant les dispositions restrictives concernant la possession de plusieurs titres de même périodicité et les conséquences qui en découlent en termes de monopole (article 25 de la loi de 2012), la tutelle ministérielle pointe clairement un soupçon là où des opérations du même genre s’étaient accomplies sans qu’ils fussent l’objet d’un quelconque interdit qui soit. Or, ce qui est surtout bizarre dans cette réaction est qu’elle se manifeste comme un règlement de comptes ciblé. Car, comment doit-on justifier ultérieurement que de semblables accords aient pu avoir lieu sans qu’à aucun moment la puissance publique n’y avait trouvé matière à délit contre la liberté de la presse ? Ainsi, quels que soient les aspects que doivent prendre les péripéties de cette cession, il sera toujours inexact de qualifier «l’affaire El Khabar» d’imbroglio juridico-financier. Car, dans la réalité des faits, il s’agit bel et bien d’une expédition punitive juridico-politique visant à affaiblir une adversité qui dérangerait les projets du palais. Ceci étant dit concernant le destin d’un grand «quotidien» menacé dans sa survie, passons maintenant au «récit» d’une presse nationale qui s’apprête à traverser la fameuse journée du 3 mai dans l’insupportable morosité des années précédentes. Telle est l’abrupte réalité qu’elle affronte tout en tentant de s’en accommoder et de s’adapter avec toutefois les sentiments de crainte et de culpabilité lorsqu’elle constate qu’elle n’a pas été à la hauteur dans l’inégal duel que des pouvoirs castrateurs lui imposent depuis un quart de siècle. Mais en dépit de l’acharnement de ces derniers, les ressorts ne se sont pas tout à fait brisés dans la plupart des rédactions. En peu de mots, disons que dans les quelques îlots de cette résistance, l’on vacille quotidiennement mais l’on refuse de céder juste pour ne pas décliner dans sa propre estime. C’est donc dans un environnement politique qui lui est traditionnellement hostile que se mesure l’émouvante solitude de ces journaux.
Rongé par l’incertitude, ce carré de publications, affranchies des casseroles qui alimentent la mauvaise réputation, survit dans une inconfortable posture défensive.
Recluse dans une sorte de zone du doute, chacune d’elles s’édite au jour le jour tout en rêvant au «grand soir» qui inaugurerait alors un Etat de droit et une république exemplaire. Or, l’impasse dans laquelle est piégée cette presse a été balisée notamment par la nature ambiguë du régime, lequel, sans être une dictature brutale, n’est toutefois pas un pouvoir scrupuleux qui ne transige pas avec le droit. En effet, c’est à partir de ce caractère hybride, qui est notamment la marque de fabrique de la présidence actuelle, que l’on est parvenu à encadrer subtilement l’ensemble des vecteurs de la communication jusqu’à faire accroire que la liberté de la presse en Algérie est bien réelle alors que l’indigène d’ici n’ignore guère que le pouvoir corrupteur demeure le fournisseur de toutes les contre-vérités qui se publient en contrepartie de rémunérations diverses. C’est certainement une des raisons qui allait pousser la presse écrite non officielle à toujours tenir en haute suspicion les promesses du palais aussi bien que celles émanant de ses réseaux.
Une vigilance parfois prise en défaut et qui se paye alors par de pénibles procès. De ceux qui alimentent cycliquement le processus de culpabilisation morale des journalistes et participent en même temps à la stratégie globale de mise au pas des éditeurs. D’ailleurs, le reproche courant qui est fait à la «prose imprimée» insiste en particulier sur la transgression de la déontologie qualifiée sans nuance de pire tare de la presse.
Aussi laissent-ils entendre aux directeurs que l’autocensure en amont est, en toutes circonstances, le seul recours pour soustraire leurs publications aux poursuites devant les tribunaux. Dès lors que la fabrication des journaux redevint subordonnée à cette injonction implicite, l’on ne pouvait que revenir aux terribles ciseaux au nom d’une certaine hygiène éthique susceptible de traquer la diffamation. Une compromission, cachée comme une faute au cœur des rédactions et qui engendra progressivement un reflux qualitatif du produit imprimé. D’où l’insatisfaction du lectorat puis de sa disparition.
Alors que le retour à un journalisme soporifique devint la seule possibilité pour survivre, la presse papier n’avait plus d’autres choix que gérer dans la patience la parenthèse d’un régime désormais incontrôlable. En effet, ce n’est sûrement plus par euphémisme qu’ici et là est évoqué le «sens de la mesure» alors que la campagne liberticide est déjà ouverte avec l’affaire d’El Khabar.
Autrement dit, le «rationnement» de la presse est à l’ordre du jour auprès du cercle des décideurs.
Désireux d’imposer, dès maintenant, un huis clos médiatique afin d’organiser la succession, ce «cercle» s’est déjà «affairé» à la précarisation financière des entreprises de presse pour ensuite poursuivre l’épuration en dressant des bûchers aux plumes iconoclastes. Sans illusion, aucune, certaines rédactions devraient, d’ores et déjà, s’estimer dans l’œil du cyclone qui se prépare.
B. H. IN LSA
A la veille de la Journée internationale de la presse (3 mai), il ne sera pas facile à cette corporation d’ignorer la plainte introduite auprès des tribunaux par le ministère de la Communication et relative à la récente cession du groupe de presse El Khabar. Alors que les spécialistes du droit commercial sont d’avis pour dire que cette transaction ne souffrait aucune entorse à la loi, le pouvoir a décidé de répliquer afin d’exiger que cet accord soit frappé de nullité.
Invoquant les dispositions restrictives concernant la possession de plusieurs titres de même périodicité et les conséquences qui en découlent en termes de monopole (article 25 de la loi de 2012), la tutelle ministérielle pointe clairement un soupçon là où des opérations du même genre s’étaient accomplies sans qu’ils fussent l’objet d’un quelconque interdit qui soit. Or, ce qui est surtout bizarre dans cette réaction est qu’elle se manifeste comme un règlement de comptes ciblé. Car, comment doit-on justifier ultérieurement que de semblables accords aient pu avoir lieu sans qu’à aucun moment la puissance publique n’y avait trouvé matière à délit contre la liberté de la presse ? Ainsi, quels que soient les aspects que doivent prendre les péripéties de cette cession, il sera toujours inexact de qualifier «l’affaire El Khabar» d’imbroglio juridico-financier. Car, dans la réalité des faits, il s’agit bel et bien d’une expédition punitive juridico-politique visant à affaiblir une adversité qui dérangerait les projets du palais. Ceci étant dit concernant le destin d’un grand «quotidien» menacé dans sa survie, passons maintenant au «récit» d’une presse nationale qui s’apprête à traverser la fameuse journée du 3 mai dans l’insupportable morosité des années précédentes. Telle est l’abrupte réalité qu’elle affronte tout en tentant de s’en accommoder et de s’adapter avec toutefois les sentiments de crainte et de culpabilité lorsqu’elle constate qu’elle n’a pas été à la hauteur dans l’inégal duel que des pouvoirs castrateurs lui imposent depuis un quart de siècle. Mais en dépit de l’acharnement de ces derniers, les ressorts ne se sont pas tout à fait brisés dans la plupart des rédactions. En peu de mots, disons que dans les quelques îlots de cette résistance, l’on vacille quotidiennement mais l’on refuse de céder juste pour ne pas décliner dans sa propre estime. C’est donc dans un environnement politique qui lui est traditionnellement hostile que se mesure l’émouvante solitude de ces journaux.
Rongé par l’incertitude, ce carré de publications, affranchies des casseroles qui alimentent la mauvaise réputation, survit dans une inconfortable posture défensive.
Recluse dans une sorte de zone du doute, chacune d’elles s’édite au jour le jour tout en rêvant au «grand soir» qui inaugurerait alors un Etat de droit et une république exemplaire. Or, l’impasse dans laquelle est piégée cette presse a été balisée notamment par la nature ambiguë du régime, lequel, sans être une dictature brutale, n’est toutefois pas un pouvoir scrupuleux qui ne transige pas avec le droit. En effet, c’est à partir de ce caractère hybride, qui est notamment la marque de fabrique de la présidence actuelle, que l’on est parvenu à encadrer subtilement l’ensemble des vecteurs de la communication jusqu’à faire accroire que la liberté de la presse en Algérie est bien réelle alors que l’indigène d’ici n’ignore guère que le pouvoir corrupteur demeure le fournisseur de toutes les contre-vérités qui se publient en contrepartie de rémunérations diverses. C’est certainement une des raisons qui allait pousser la presse écrite non officielle à toujours tenir en haute suspicion les promesses du palais aussi bien que celles émanant de ses réseaux.
Une vigilance parfois prise en défaut et qui se paye alors par de pénibles procès. De ceux qui alimentent cycliquement le processus de culpabilisation morale des journalistes et participent en même temps à la stratégie globale de mise au pas des éditeurs. D’ailleurs, le reproche courant qui est fait à la «prose imprimée» insiste en particulier sur la transgression de la déontologie qualifiée sans nuance de pire tare de la presse.
Aussi laissent-ils entendre aux directeurs que l’autocensure en amont est, en toutes circonstances, le seul recours pour soustraire leurs publications aux poursuites devant les tribunaux. Dès lors que la fabrication des journaux redevint subordonnée à cette injonction implicite, l’on ne pouvait que revenir aux terribles ciseaux au nom d’une certaine hygiène éthique susceptible de traquer la diffamation. Une compromission, cachée comme une faute au cœur des rédactions et qui engendra progressivement un reflux qualitatif du produit imprimé. D’où l’insatisfaction du lectorat puis de sa disparition.
Alors que le retour à un journalisme soporifique devint la seule possibilité pour survivre, la presse papier n’avait plus d’autres choix que gérer dans la patience la parenthèse d’un régime désormais incontrôlable. En effet, ce n’est sûrement plus par euphémisme qu’ici et là est évoqué le «sens de la mesure» alors que la campagne liberticide est déjà ouverte avec l’affaire d’El Khabar.
Autrement dit, le «rationnement» de la presse est à l’ordre du jour auprès du cercle des décideurs.
Désireux d’imposer, dès maintenant, un huis clos médiatique afin d’organiser la succession, ce «cercle» s’est déjà «affairé» à la précarisation financière des entreprises de presse pour ensuite poursuivre l’épuration en dressant des bûchers aux plumes iconoclastes. Sans illusion, aucune, certaines rédactions devraient, d’ores et déjà, s’estimer dans l’œil du cyclone qui se prépare.
B. H. IN LSA
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