Au
début du mois de janvier 1957, 8 000 militaires français de la 10e Division
parachutiste entrent dans Alger avec à leur tête le général Jacques Massu,
assisté des colonels Marcel Bigeard, Yves Godard, Roger Trinquier, Paul-Alain
Léger, François Fossey et du commandant Paul Aussaresses (*). Des opérations de
ratissage sont menées tambour battant aux quatre coins de la capitale pour
débusquer responsables et combattants de la Zone autonome d’Alger (ZAA).
Le 23 février 1957, le chef de l’action armée au sein de la ZAA, Larbi Ben
M’hidi, est interpellé. Plus de cinquante-cinq ans plus tard, les conditions
de son arrestation et de sa mort constituent toujours une énigme qui
continue d’enfler la polémique. Quoi qu’il en soit, les versions quant à la capture
et le décès de ce héros de la Révolution algérienne, qui a tenu tête aux
parachutistes de la 10e DP commandée par Massu, sont contradictoires.Plusieurs versions des faits ont été émises, aussi bien côté français qu’algérien. Selon l’une d’elles, à la mi-février, un contrôle de véhicules permit d’appréhender un homme qui transportait dans le coffre de sa voiture une mallette contenant 50 millions de francs. Au cours d’un interrogatoire violent qui dura plusieurs jours, l’homme indiqua une adresse : un appartement situé dans le quartier européen, près de l’église du Sacré-Cœur, dans le centre d’Alger. Au matin du 23 février 1957, Larbi Ben M’hidi est arrêté par les hommes du colonel Bigeard. Interrogé, il révéla que tous les autres membres du Comité de coordination et d’exécution (CCE) avaient quitté l’Algérie pour l’étranger.
Le témoignage de
Benkhedda…(1)
Selon
Benyoucef Benkhedda, en février 1957, l’agent immobilier qui lui louait des
appartements fut arrêté à la suite d’une dénonciation. Lors de son interpellation,
il leur donna une liste d’adresses où logeaient les membres du CCE. Soumis aux
épreuves de torture il reconnut avoir des relations avec Si Salah, pseudonyme
de Benkhedda. Lancés à sa recherche, les paras se ruèrent sur les adresses
qu’ils détenaient. A l’une d’elles, au 139 boulevard du Télémly, ils ne
trouvèrent personne, Abane et Benkhedda leur ayant échappé de justesse.
Par contre, au 5, rue Louise de Bettignies, ils découvrent Ben M’hidi qu’ils
interpellent sur le champ. Toujours selon Benyoucef Benkhedda, «l’unique
explication de la capture puis de l’assassinat de Larbi Ben M’hidi est à mettre
sur le compte de deux éléments d’appréciation, à savoir qu’à la localisation de
la cache de Si Larbi est venue se greffer malencontreusement une histoire de
malchance par la découverte de la liste des adresses des refuges, combinée aux
caprices du hasard ou de la fatalité (…) Ou bien Si Larbi a été arrêté
dans la rue, ou bien il l’a bel et bien été au numéro 5, de la rue Louise de
Bettignies. Le premier cas de figure est parfaitement envisageable dans la
mesure où notre malheureux compagnon avait abandonné les caches de la Casbah
pour se replier vers les quartiers européens. Or, il avait disparu de ce
quartier, il n’y était nulle part, ni dans le réduit que j’occupais
précédemment et que je lui avais laissé ni dans les autres gîtes dont nous
disposions dans le même secteur. Je vois mal, d’ailleurs, comment il s’y serait
hasardé sans m’en avertir, ou sans en toucher mot à notre permanence du 133,
boulevard du Télémly. Etant introuvable dans les lieux où il aurait dû être
normalement, il est permis de déduire qu’il a pu tomber dans le traquenard
d’une rafle-surprise ou d’un bouclage inopiné, à l’occasion d’un déplacement en
ville. Cette supposition a de quoi tenir valablement : elle présente l’avantage
de la vraisemblance et de la logique. Simplement, son aspect inédit la dessert
: à ma connaissance, pas la moindre source, pas la moindre référence, du côté
français comme du côté algérien, n’a jamais été invoquée pour en corroborer la
portée. Est-ce suffisant pour l’écarter ? Je ne le pense pas. Si tout de même
on marque quelque réticence à l’entériner, force alors est de se rabattre sur
le second terme de l’alternative. A savoir, l’explication qui a pour pivot la
découverte du studio du Sacré-Cœur. Elle jette, certes, une clarté plausible
sur la filière empruntée par les hommes de Bigeard pour remonter jusqu’à
l’endroit où se dissimulait Ben M’hidi. Echafaudée sur des informations solides
et des recoupements convaincants, elle se donne comme point de départ
l’arrestation de notre courtier de l’agence Zannettacci. Une fois ce dernier
neutralisé, les paras auraient, conformément à la pratique policière
habituelle, perquisitionné dans son bureau et à son domicile. C’est en
fouillant dans ses papiers qu’ils seraient tombés sur la fameuse liste des
appartements et studios vendus au CCE sous des prête-noms. On devine la suite,
visite à chaque adresse mentionnée, et irruption chez Ben M’hidi, dans le
pied-à-terre du quartier de l’église du Sacré-Cœur, lequel était compris dans
le lot (…). »
…et de Brahim Chergui
Brahim
Chergui, de son nom de guerre H’mida, est une vieille figure du mouvement
national. Du PPA-MTLD au FLN, il a assumé de nombreuses responsabilités. Il a été
interpellé par les parachutistes le lendemain de l’arrestation de Larbi
Ben M’hidi, c’est-à-dire le 24 février (c’est lui que l’on voit sur les
photos et films d’archives aux côtés de Ben M’hidi, entourés par des
parachutistes). Il donne quelques indications au sujet de cette affaire
(2).
«J’ai été interpellé après lui, le lendemain. D’après mon analyse, il a été arrêté par hasard. Les parachutistes étaient à la recherche de Benyoucef Benkhedda. C’est Benkhedda qu’ils recherchaient (...). Mes calomniateurs allèguent depuis 1957 que j’ai donné aux parachutistes de Bigeard l’adresse du refuge de Larbi Ben M’hidi. C’est faux ! Ben M’hidi a été arrêté avant moi, le 23 février 1957, et moi le lendemain le 24 février. Par conséquent, je ne pouvais ni le dénoncer ni donner son adresse. D’ailleurs, je ne savais même pas où était situé son refuge... Qu’on aille lire mon procès-verbal d’audition toujours disponible dans les archives de la DGSN. Même pas deux pages. Pourtant, je connaissais beaucoup de secrets. Je n’ai divulgué ni noms ni adresse, aucune accusation, aucun aveu. Pour essayer de me faire parler, les parachutistes m’ont confronté à des responsables et des militants, il n’y en a pas un que j’ai dénoncé ou accablé. Nous, militants de la première heure, avons été formés pour résister, pour donner nos vies sans succomber. »
«J’ai été interpellé après lui, le lendemain. D’après mon analyse, il a été arrêté par hasard. Les parachutistes étaient à la recherche de Benyoucef Benkhedda. C’est Benkhedda qu’ils recherchaient (...). Mes calomniateurs allèguent depuis 1957 que j’ai donné aux parachutistes de Bigeard l’adresse du refuge de Larbi Ben M’hidi. C’est faux ! Ben M’hidi a été arrêté avant moi, le 23 février 1957, et moi le lendemain le 24 février. Par conséquent, je ne pouvais ni le dénoncer ni donner son adresse. D’ailleurs, je ne savais même pas où était situé son refuge... Qu’on aille lire mon procès-verbal d’audition toujours disponible dans les archives de la DGSN. Même pas deux pages. Pourtant, je connaissais beaucoup de secrets. Je n’ai divulgué ni noms ni adresse, aucune accusation, aucun aveu. Pour essayer de me faire parler, les parachutistes m’ont confronté à des responsables et des militants, il n’y en a pas un que j’ai dénoncé ou accablé. Nous, militants de la première heure, avons été formés pour résister, pour donner nos vies sans succomber. »
«Dès
son arrestation le 23 février 1957 à Alger, Ben M’hidi est conduit au PC de la
Scala (…). Il y reste jusqu’à sa liquidation (dans la nuit du 3 au 4 mars). Ma
cellule jouxte la sienne. J’entends sa voix chaque fois qu’on l’emmène au
bureau de Bigeard situé dans un bloc en face du nôtre. On lui a fait faire
plusieurs va-et-vient entre sa cellule et le bloc de Bigeard. Un jour – c’était
un après-midi –, les «paras» sont venus le chercher. Pour la dernière fois. »
Dans son livre Larbi Ben M’hidi, un symbole national, paru en 2009 aux éditions Thala, «les circonstances de la mort de Larbi Ben M’hidi sont encore plus opaques et plus mystérieuses que son arrestation», estime Khalfa Mammeri, qui conclut : «A elles seules, son arrestation et sa mort constituent un testament politique où les valeurs de courage, de dignité et de grandeur d’âme ont été portées à leur haut niveau.»
Dans son livre Larbi Ben M’hidi, un symbole national, paru en 2009 aux éditions Thala, «les circonstances de la mort de Larbi Ben M’hidi sont encore plus opaques et plus mystérieuses que son arrestation», estime Khalfa Mammeri, qui conclut : «A elles seules, son arrestation et sa mort constituent un testament politique où les valeurs de courage, de dignité et de grandeur d’âme ont été portées à leur haut niveau.»
Epilogue
Dans
la nuit du 3 au 4 mars 1957, sur ordre du secrétaire d’Etat à la guerre, Max
Lejeune, et du gouverneur général, Robert Lacoste, Ben M’hidi était «liquidé»
et sa mort maquillée en suicide. Le 6 mars, le porte-parole du gouvernement
général indique, au cours d’une conférence de presse, que «Ben M’hidi s’est suicidé
dans sa cellule en se pendant à l’aide de lambeaux de sa chemise». Cette
déclaration était en fait une mascarade pour dissimuler son assassinat par les
hommes de Bigeard, après des séances de torture qui durèrent une dizaine de
jours. Dans un entretien accordé à un quotidien suisse, peu de temps avant sa
mort, Bigeard, alors colonel sous les ordres du général Massu durant la
Bataille d’Alger, a reconnu que Larbi Ben M’hidi a été exécuté. Un aveu
supplémentaire qui tranche avec la version officielle de la France coloniale,
qui voulait faire croire à tout prix que Ben M’hidi s’est «suicidé», aveu qui
s’ajoute d’ailleurs à celui du sinistre général Aussaresses qui, dans un
entretien au journal Le Monde en 2001, avait relaté avec force détails l’exécution
par pendaison de Ben M’hidi «qui avait refusé de parler sous la torture».
Abderrachid
Mefti IN memoria.dz
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