APS - ALGÉRIE

jeudi 5 mai 2016

Larbi Ben M’hidi face à ses bourreaux - Une leçon d’héroïsme, de dignité et de grandeur d’âme



Au début du mois de janvier 1957, 8 000 militaires français de la 10e Division parachutiste entrent dans Alger avec à leur tête le général Jacques Massu, assisté des colonels Marcel Bigeard, Yves Godard, Roger Trinquier, Paul-Alain Léger, François Fossey et du commandant Paul Aussaresses (*). Des opérations de ratissage sont menées tambour battant aux quatre coins de la capitale pour débusquer responsables et combattants de la Zone autonome d’Alger (ZAA).
Le 23 février 1957, le chef de l’action armée au sein de la ZAA, Larbi Ben M’hidi, est interpellé. Plus de cinquante-cinq ans plus tard, les conditions de  son arrestation et de sa mort constituent toujours une énigme qui continue d’enfler la polémique. Quoi qu’il en soit, les versions quant à la capture et le décès de ce héros de la Révolution algérienne, qui a tenu tête aux parachutistes de la 10e DP commandée par Massu, sont contradictoires.
Plusieurs versions des faits ont été émises, aussi bien côté français qu’algérien. Selon l’une d’elles, à la mi-février, un contrôle de véhicules permit d’appréhender un homme qui transportait dans le coffre de sa voiture une mallette contenant 50 millions de francs. Au cours d’un interrogatoire violent qui dura plusieurs jours, l’homme indiqua une adresse : un appartement situé dans le quartier européen, près de l’église du Sacré-Cœur, dans le centre d’Alger. Au matin du 23 février 1957, Larbi Ben M’hidi est arrêté par les hommes du colonel Bigeard. Interrogé, il révéla que tous les autres membres du Comité de coordination et d’exécution (CCE) avaient quitté l’Algérie pour l’étranger.
Le témoignage de Benkhedda…(1)
Selon Benyoucef Benkhedda, en février 1957, l’agent immobilier qui lui louait des appartements fut arrêté à la suite d’une dénonciation. Lors de son interpellation, il leur donna une liste d’adresses où logeaient les membres du CCE. Soumis aux épreuves de torture il reconnut avoir des relations avec Si Salah, pseudonyme de Benkhedda. Lancés à sa recherche, les paras se ruèrent sur les adresses qu’ils détenaient.  A l’une d’elles, au 139 boulevard du Télémly, ils ne trouvèrent personne, Abane et Benkhedda leur ayant échappé de justesse.  Par contre, au 5, rue Louise de Bettignies, ils découvrent Ben M’hidi qu’ils interpellent sur le champ. Toujours selon Benyoucef  Benkhedda, «l’unique explication de la capture puis de l’assassinat de Larbi Ben M’hidi est à mettre sur le compte de deux éléments d’appréciation, à savoir qu’à la localisation de la cache de Si Larbi est venue se greffer malencontreusement une histoire de malchance par la découverte de la liste des adresses des refuges, combinée aux caprices du hasard ou de la fatalité  (…) Ou bien Si Larbi a été arrêté dans la rue, ou bien il l’a bel et bien été au numéro 5, de la rue Louise de Bettignies. Le premier cas de figure est parfaitement envisageable dans la mesure où notre malheureux compagnon avait abandonné les caches de la Casbah pour se replier vers les quartiers européens. Or, il avait disparu de ce quartier, il n’y était nulle part, ni dans le réduit que j’occupais précédemment et que je lui avais laissé ni dans les autres gîtes dont nous disposions dans le même secteur. Je vois mal, d’ailleurs, comment il s’y serait hasardé sans m’en avertir, ou sans en toucher mot à notre permanence du 133, boulevard du Télémly. Etant introuvable dans les lieux où il aurait dû être normalement, il est permis de déduire qu’il a pu tomber dans le traquenard d’une rafle-surprise ou d’un bouclage inopiné, à l’occasion d’un déplacement en ville. Cette supposition a de quoi tenir valablement : elle présente l’avantage de la vraisemblance et de la logique. Simplement, son aspect inédit la dessert : à ma connaissance, pas la moindre source, pas la moindre référence, du côté français comme du côté algérien, n’a jamais été invoquée pour en corroborer la portée. Est-ce suffisant pour l’écarter ? Je ne le pense pas. Si tout de même on marque quelque réticence à l’entériner, force alors est de se rabattre sur le second terme de l’alternative. A savoir, l’explication qui a pour pivot la découverte du studio du Sacré-Cœur. Elle jette, certes, une clarté plausible sur la filière empruntée par les hommes de Bigeard pour remonter jusqu’à l’endroit où se dissimulait Ben M’hidi. Echafaudée sur des informations solides et des recoupements convaincants, elle se donne comme point de départ l’arrestation de notre courtier de l’agence Zannettacci. Une fois ce dernier neutralisé, les paras auraient, conformément à la pratique policière habituelle, perquisitionné dans son bureau et à son domicile. C’est en fouillant dans ses papiers qu’ils seraient tombés sur la fameuse liste des appartements et studios vendus au CCE sous des prête-noms. On devine la suite, visite à chaque adresse mentionnée, et irruption chez Ben M’hidi, dans le pied-à-terre du quartier de l’église du Sacré-Cœur, lequel était compris dans le lot (…). »
…et de Brahim Chergui
Brahim Chergui, de son nom de guerre H’mida, est une vieille figure du mouvement national. Du PPA-MTLD au FLN, il a assumé de nombreuses responsabilités. Il a été interpellé par les parachutistes le lendemain de l’arrestation  de Larbi Ben M’hidi, c’est-à-dire le 24 février  (c’est lui que l’on voit sur les photos et films d’archives aux côtés de Ben M’hidi, entourés par des parachutistes).  Il donne quelques indications au sujet de cette affaire (2).
«J’ai été interpellé après lui, le lendemain. D’après mon analyse, il a été arrêté par hasard. Les parachutistes étaient à la recherche de Benyoucef Benkhedda. C’est Benkhedda qu’ils recherchaient (...). Mes calomniateurs allèguent depuis 1957 que j’ai donné aux parachutistes de Bigeard l’adresse du refuge de Larbi Ben M’hidi. C’est faux ! Ben M’hidi a été arrêté avant moi, le 23 février 1957, et moi le lendemain le 24 février. Par conséquent, je ne pouvais ni le dénoncer ni donner son adresse. D’ailleurs, je ne savais même pas où était situé son refuge... Qu’on aille lire mon procès-verbal d’audition toujours disponible dans les archives de la DGSN. Même pas deux pages. Pourtant, je connaissais beaucoup de secrets. Je n’ai divulgué ni noms ni adresse, aucune accusation, aucun aveu. Pour essayer de me faire parler, les parachutistes m’ont confronté à des responsables et des militants, il n’y en a pas un que j’ai dénoncé ou accablé. Nous, militants de la première heure, avons été formés pour résister, pour donner nos vies sans succomber. » 
«Dès son arrestation le 23 février 1957 à Alger, Ben M’hidi est conduit au PC de la Scala (…). Il y reste jusqu’à sa liquidation (dans la nuit du 3 au 4 mars). Ma cellule jouxte la sienne. J’entends sa voix chaque fois qu’on l’emmène au bureau de Bigeard situé dans un bloc en face du nôtre. On lui a fait faire plusieurs va-et-vient entre sa cellule et le bloc de Bigeard. Un jour – c’était un après-midi –, les «paras» sont venus le chercher. Pour la dernière fois. »
Dans son livre Larbi Ben M’hidi, un symbole national, paru en 2009 aux éditions Thala, «les circonstances de la mort de Larbi Ben M’hidi sont encore plus opaques et plus mystérieuses que son arrestation», estime Khalfa Mammeri, qui conclut : «A elles seules, son arrestation et sa mort constituent un testament politique où les valeurs de courage, de dignité et de grandeur d’âme ont été portées à leur haut niveau.»
Epilogue
Dans la nuit du 3 au 4 mars 1957, sur ordre du secrétaire d’Etat à la guerre, Max Lejeune, et du gouverneur général, Robert Lacoste, Ben M’hidi était «liquidé» et sa mort maquillée en suicide. Le 6 mars, le porte-parole du gouvernement général indique, au cours d’une conférence de presse, que «Ben M’hidi s’est suicidé dans sa cellule en se pendant à l’aide de lambeaux de sa chemise». Cette déclaration était en fait une mascarade pour dissimuler son assassinat par les hommes de Bigeard, après des séances de torture qui durèrent une dizaine de jours. Dans un entretien accordé à un quotidien suisse, peu de temps avant sa mort, Bigeard, alors colonel sous les ordres du général Massu durant la Bataille d’Alger, a reconnu que Larbi Ben M’hidi a été exécuté. Un aveu supplémentaire qui tranche avec la version officielle de la France coloniale, qui voulait faire croire à tout prix que Ben M’hidi s’est «suicidé», aveu qui s’ajoute d’ailleurs à celui du sinistre général Aussaresses qui, dans un entretien au journal Le Monde en 2001, avait relaté avec force détails l’exécution par pendaison de Ben M’hidi «qui avait refusé de parler sous la torture».
Abderrachid Mefti IN memoria.dz

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