A quoi pensent les Etats-Unis ? Donald
Trump radicalise de façon démagogique un discours déjà relayé par Barack Obama et qui
a une longue histoire aux Etats-Unis, le repli sur soi.
Par PAUL BERMAN*
ans sa version américaine, l’isolationnisme
exprime un rejet de la philosophie de l’histoire.
Il est l’antithèse d’une vieille thèse américaine sur le progrès et la civilisation,
à savoir l’idée selon laquelle l’humanité est en quête de liberté démocratique,
et qu’elle finira par l’obtenir. Et le devoir de l’Amérique est d’ouvrir la
voie dans cette direction. Transposée dans le domaine de la politique
étrangère, cette idée constitue la doctrine de l’internationalisme
progressiste, résumée dans le vocabulaire politique américain par le terme d’«
idéalisme ».
A l’heure actuelle, nous voyons les
Etats- Unis reproduire le même schéma de comportement – celui d’une naïve exaltation
démocratique suivie d’une désillusion autodestructrice, mais qui cette fois
trouve son origine dans les révolutions européennes de 1989. Vus des
Etats-Unis, les soulèvements qui eurent lieu cette année-là dans le bloc de
l’Est furent particulièrement enthousiasmants. Ils semblaient montrer que,
malgré tout, il y avait depuis le début quelque chose de vrai dans
l’internationalisme démocratique de Woodrow Wilson. Notre 1917 damait le pion à
leur 1917.
SAUVER DES POPULATIONS EN DANGER
Plus encore : la modernisation et
l’expansion de l’Union européenne qui suivirent ces événements paraissaient
indiquer que la démocratie avait également trouvé sa structure politique, une
structure de type fédéral – ce qui était justement le problème que Wilson n’avait
jamais su résoudre. Plus : l’Europe des années 1990, de même que les Etats-Unis, semblait avoir
découvert le secret d’une économie démocratique fondée sur des traités
commerciaux. Plus encore : un développement
militaire. L’Europe fut incapable de
réagir aux massacres des années 1990 dans les Balkans, et les Etats-Unis se
montrèrent réticents à intervenir. Mais au bout de longues années, ils finirent
par se ressaisir et proposer une force aérienne, et l’Europe agit. Le relatif
succès enregistré au Kosovo semblait esquisser une nouvelle possibilité, à
savoir qu’à l’avenir, les démocraties alliées, fédérées, prospères et bienveillantes
pourraient être capables de sauver des populations en danger dans le monde.
Tout cela procurait l’impression que la naïveté dont avait fait preuve Wilson
il y a bien longtemps était enfin surmontée. Hélas, il n’en était rien. Et nous
voici à présent plongés dans une nouvelle ère de désillusion. La politique
étrangère de l’administration Obama a toujours été un mélange de différentes impulsions,
ce qui signifie que personne n’a jamais exactement compris en quoi elle
consistait. Mais chacun peut constater que, sur une grande question idéologique
au moins, l’esprit qui la régit est le repli sur soi. Sous la présidence Obama,
l’Amérique s’est toujours présentée avec modestie et
effacement. Sans être un isolationniste, Obama incarne l’anti-Woodrow Wilson
dans un style qui lui est propre, en s’inspirant parfois de la gauche
antiguerre, et le plus souvent en puisant dans la tradition du réalisme prudent
tel qu’incarné par George Bush père. Il veut donner l’impression que si
quelqu’un est en pointe dans la résistance mondiale au djihad islamiste, ce
n’est pas le président des Etats-Unis. Sa modestie sur ce point est étrange,
car si quelqu’un mène cette résistance, c’est bien Barack Obama – le président qui,
d’un côté, envoie des troupes dans bien plus d’endroits que n’a jamais rêvé le
faire George W. Bush fils, et qui de l’autre verse des fonds substantiels à
l’opposition civile dans de nombreux pays placés sous la coupe de tyrans, dans
l’intention évidente de préparer les révolutions démocratiques de demain. Mais
Barack Obama préfère faire profil bas. Il préfère convaincre le monde que
désormais les Etats-Unis ne sont plus capables de faire grand-chose.
Aujourd’hui, un peu partout sur la planète, les gens pensent que l’Amérique et ses
alliés européens, avec leurs 800 millions de citoyens au total, ne sont pas en
mesure de lancer une opération humanitaire à grande échelle pour venir en aide aux 16
millions de malheureux qui continuent à vivre dans ce qui reste de la Syrie. Dans
ces conditions, il était probablement inévitable que quelqu’un se saisisse de
cet esprit de repli en matière de
politique étrangère et le pousse de façon démagogique à
ses limites extrêmes. C’est ce que l’on constate dans la campagne républicaine
de Donald Trump : un regain isolationniste généralisé, laissant entrevoir que
le candidat républicain a bien compris le contexte de l’entre-deux-guerres, ce
qu’attestent ses allusions répétées au slogan « America first » comme
son flirt avec le Ku Klux Klan et autres sectarismes de ce lointain passé. La
plus ambitieuse aspiration de Trump est de réduire le rôle de l’Amérique dans les affaires du monde à une
simple opération commerciale. Il propose de transformer l’OTAN en un garde de
sécurité américain que l’on pourrait louer aux Européens, sauf si ceux-ci
déclinent l’offre, auquel cas il serait tout prêt à laisser l’Alliance se
dissoudre. Il envisage de laisser les Sud-Coréens et les Japonais construire leur arsenal nucléaire. Et
bien entendu il admire Vladimir Poutine, sans parler de Saddam Hussein.
LE SUCCÈS DU MUR
Trump veut isoler l’Amérique, tout d’abord
en instaurant des droits de douane qui priveraient les Etats-Unis d’un accès à
une part importante du commerce mondial, mais aussi en empêchant les musulmans
d’entrer dans le pays, et surtout en érigeant le long de la frontière mexicaine
un mur qu’il ferait financer par Mexico. Les observateurs prompts à verser dans
la sociologie aiment interpréter le succès du mur comme étant le cri d’angoisse
économique de la classe ouvrière américaine blanche. Mais ces difficultés n’ont
en réalité pas grand-chose à voir avec les immigrants mexicains. Le mur est populaire parce
que les partisans de Trump sont exaspérés d’entendre parler une autre langue
que l’anglais. Il est probable que l’Amérique ne choisira pas la catastrophe et
qu’Hillary Clinton sera élue. Mais devra-t-elle céder en partie à ce vent
d’isolationnisme ? On peut seulement dire que Mme Clinton ne passe pas pour
quelqu’un susceptible de plier facilement. Son caractère politique en matière
d’affaires mondiales s’est forgé dans les années 1990, lorsqu’elle était First
Lady. Tout le monde sait que pendant les années où elle a été la secrétaire d’Etat
d’Obama, elle a recommandé à plusieurs reprises des politiques un peu plus énergiques que celles d’Obama, ce qui
tendrait à indiquer que ses instincts sont restés les mêmes qu’autrefois. On
peut penser qu’elle a tiré quelques leçons prudentes et sophistiquées des
échecs, déceptions et désastres de ces dernières années. Si Mme Clinton, est
élue, elle sera élue comme l’anti-Trump. Et elle est la candidate de
l’anti-isolationnisme américain.
* Paul Berman est un écrivain et essayiste américain. Il est notamment l’auteur des Habits neufs de la terreur (Hachette Littératures, 2004) et de Cours vite camarade ! (Denoël, 2006). The New York Review of Books, The New Republic ou la revue d’études juives Tablet ont publié ses articles.
Historien de la gauche, il en a critiqué les positions à l’égard de l’islam radical, qui sont, à ses yeux, trop conciliantes.
Historien de la gauche, il en a critiqué les positions à l’égard de l’islam radical, qui sont, à ses yeux, trop conciliantes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Qu’en pensez vous?