APS - ALGÉRIE

dimanche 10 avril 2016

RÉFLEXION : 02-Les peuples que le bendir rassemble et que le gourdin disperse




Par Nour-Eddine Boukrouh

Pourquoi les musulmans, si sensibles à l’idée de «salaf», qui a donné salafisme (imitation des anciens), ont-ils suivi l’exemple de Moawiya plutôt que celui d’Abou Bakr ?

La réponse apportée par le bédouin pour compléter le principe posé par Abou Bakr n’est-elle pas l’égale du Deuxième amendement légitimant le recours aux armes pour combattre un pouvoir devenu illégitime ? 

«Dans la nature rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme», a dit Lavoisier. Il en est à peu près de même pour les idées, elles ne disparaissent pas. Il en est qui se transforment pour s’adapter aux nécessités de la vie, devenant des motivations exaltantes et des institutions au service du bonheur des hommes et de l’harmonie entre eux, et d’autres qui, tels les virus, mutent à la recherche de nouvelles conditions propices à leur survie pour continuer de sévir contre le bonheur des hommes et l’harmonie entre eux au nom de quelque cause «transcendantale».
Elles se nichent dans le double-fond des mentalités, attendant le moment où la rationalité recule et où les mesures prophylactiques s’étiolent pour reprendre leur œuvre corrosive. Contrairement à ce que l’on croyait, le maraboutisme qui a prospéré dans notre société entre le XVe siècle et la célébration en 1930 du centenaire de la colonisation de l’Algérie n’a pas disparu dans la nature sous l’action éradicatrice des Oulémas algériens qui s’est étalée sur un demi-siècle. Voyez avec quelle rapidité il est revenu ces dernières décennies, et avec quelle facilité il s’est réincarné dans le charlatanisme qui se cache derrière l’islamisme.
Notre pays a livré une grande guerre de libération, reconquis sa souveraineté au prix de lourds sacrifices, dépensé un millier de milliards de dollars depuis l’Indépendance pour se moderniser, dont une grande partie a été destinée à l’éducation – en vue de former «l’Algérien moderne» — mais finalement il se retrouve ramené aux périodes les plus obscures de la décadence du monde musulman et de la colonisation qui avait fait du maraboutisme un auxiliaire bénévole. Ce que nous pensions être des avancées irréversibles s’est avéré être de coûteux et vains coups d’épée dans l’eau. Le maraboutisme a fait un extraordinaire saut en hauteur, puisqu’il a atteint les sphères dirigeantes du pays, et son avatar, l’islamisme politique — chaussé des bottes de sept lieues — a fait un gigantesque saut en longueur puisqu’il couvre désormais une grande surface de la société. En fait, l’islamisme n’est pas l’héritier du maraboutisme, il en est une duplication, un clone. Ils sont désormais deux, deux entités virales, deux fléaux à prendre en tenailles la société algérienne jusqu’à sa stérilisation définitive, jusqu’à sa talibanisation. Tout doit être refait un jour, à moins que l’Algérie ne leur aura pas survécu parce qu’elle serait devenue quelque chose comme la Somalie ou l’Afghanistan, ce qui n’est pas impossible. Surtout si le pétrole venait à nous lâcher prématurément, ce qui n’est pas non plus impossible. La seule différence entre l’islamisme charlatan contemporain et le maraboutisme musulman d’autrefois est que ce dernier n’était pas sanguinaire. Il n’égorgeait pas les gens, il se contentait de les décervelait, de tuer en eux la rationalité, tandis que le premier aime à cumuler les deux quand il le peut. De concert, ils ont réussi à reconstituer de haut en bas, parmi les gouvernants et le peuple, le public assoiffé de sacré dont ils ont besoin pour exercer leur apostolat douteux. Ils ont restauré l’ambiance envoûtante propice à leurs boniments, en même temps qu’à toutes les escroqueries, et rétabli les pratiques de sorcellerie comme la «roqia». A l’époque de Ben Badis, de larges couches de la population, béant de crédulité devant ce qu’on leur racontait, guettant la survenance de quelque miracle, et suivant comme des moutons les processions maraboutiques, révéraient les «sid», les «moulay» et les «chouyoukh» dispensateurs de baraka. Elles buvaient leurs paroles comme de l’eau bénite et recueillaient les poils de leur barbe, quand ils en avaient, comme des reliques. C’est ce public que Ben Badis a qualifié un jour de «peuple que rassemble le bendir et que disperse le gourdin». Public mêlant pêle-mêle amateurs de bkhouret de djawi, «tolba» guérisseurs de l’âme et du corps, émules entrant en transe au rythme endiablé du bendir, et charmeurs de serpents comme ceux qu’enfant j’allais voir sur la place de la Régence (actuelle place des Martyrs). Il y en avait partout, passant dans les villes, les quartiers et les villages, Blancs ou Noirs, enjôleurs ou louches, en burnous ou en gandoura, exhibant devant les foules émoustillées ou émerveillées tambours, bendirs, karkabous et moult objets fétiches hérités de l’ère ottomane ou provenant de la mythique Tombouctou. Parfois, la pensée est obligée de créer des mots nouveaux pour cerner des phénomènes nouveaux. C’est ainsi qu’il nous faut un nouveau terme pour caractériser la situation créée par les révolutions arabes, je veux dire la victoire en chaîne de l’islamisme et l’engouement communicatif qu’elle a suscité, notamment en Algérie. «L’islamismania» est celui qui semble convenir pour rendre compte de cet engouement endémique. On pensait que le gourdin de Moubarak avait assommé les islamistes, et que celui de Ben Ali les avait dispersés aux quatre vents. Or, voilà que l’islamismania les a rameutés. Ironie du sort, ce sont les «générations internet » qui ont sonné le rassemblement et leur ont frayé la voie, qui ont ouvert la boîte de Pandore et ramené Aladin (en la personne de tel ou tel leader), la lampe merveilleuse à la main et promettant de faire retrouver la vue à leur peuple plongé dans la cécité de la «djahiliya du XXe» selon l’expression de Sayyed Qotb. Le monde arabe s’est mis au vert, au sens propre et figuré du terme. Ça sent partout le swak, le henné et l’ambre. En se clonant en islamisme, le maraboutisme s’est modernisé. Il a gagné en religiosité ostensible et perdu en folklore ridicule. Le bendir a été remplacé par l’islamismania, et à la place du spectacle des charmeurs de serpents, confinés à la place Djamâa-l-fna (Marrakech) pour amuser les touristes européens, les chaînes de télévision des monarchies arabes offrent aux pieux téléspectateurs de nouveaux produits de marketing religieux comme l’activité lacrymale interactive promue par l’inimitable Amr Khaled. Dans son œuvre, Bennabi considère que la civilisation islamique a été déviée de sa trajectoire en l’an 57 de l’Hégire, l’année de l’affrontement entre Moawiya et Ali. Pour lui, la «phase de l’âme» venait de s’achever, laissant place à la «phase de la raison» qui s’est prolongée jusqu’à l’époque d’Ibn Khaldoun, puis à celle de la décadence qu’il est mort sans la voir se clore. Il voulait dire par là que la civilisation islamique n’était plus, depuis lors, qu’un vaisseau qui avait perdu son plan de vol au décollage, avant d’achever sa course, un millénaire plus tard, dans le maraboutisme. Il propose à notre réflexion un exemple très concret : «L’effort intellectuel, c’est-à-dire l’effort créateur d’idées, a été placé par l’islam au premier rang de ses recommandations par ce hadith du Prophète : «Quiconque fait un effort intellectuel et parvient à une vérité a un double mérite, et quiconque fait un effort et est parvenu à une erreur a quand même un mérite.» Voilà un archétype qui a guidé les efforts des premières générations de l’islam dans ces conquêtes de l’esprit qui ont enrichi le patrimoine humain dans le domaine de la pensée pure, comme dans le domaine des sciences appliquées. Mais, quelques siècles au-delà, nous trouvons la société musulmane en possession d’une nouvelle philosophie de l’effort intellectuel. Nous trouvons, à vrai dire, son comportement totalement changé à l’égard des idées comme l’indique ce précepte que les dernières générations nous ont transmis : «Tafsirouhou khata’, wa khata’ouhou kofr» (L’interpréter, en parlant du Coran, est une erreur, et toute erreur est blasphème). Et Bennabi de poursuivre : «Voilà une idée qui constitue une défense qui a effectivement paralysé tout effort intellectuel dans le monde musulman où toute spéculation a eu en effet à la base une idée coranique, comme les spéculations de l’école mu’tazilite qui a tant enrichi la pensée musulmane. L’école réformiste, depuis Abdou, a eu vaguement conscience que l’esprit musulman s’était enlisé dans cette ornière. Mais pour l’en tirer, il fallait soit lui donner une nouvelle impulsion spirituelle, comme Luther et Calvin en Europe, soit lui faire subir une révolution intellectuelle comme Descartes, c’est-à-dire lui donner, d’une manière ou d’une autre, un nouvel élan créateur d’idées. L’Ecole réformiste n’a su faire ni cette réforme ni cette révolution. Elle est tombée elle-même dans l’ornière, tout en criant que nous sommes dans l’ornière.» L’esprit musulman continue de tourner en rond, prisonnier d’une gravité qui le fait tourner autour d’un astre mort, celui de la décadence. Le maraboutisme, comme le mode de pensée et le modèle de société prônés par l’islamisme, descendent en droite ligne de l’attitude «intellectuelle» suggérée par ce précepte. Combien de fois ne l’a-t-on entendu dans la bouche de oulamas moyen-orientaux et moyenâgeux, ou de leaders islamistes algériens ? En dehors du volet touchant aux mœurs, que sait-on de la «solution islamique» ? Rien, sinon qu’elle se prévaut des succès de la Malaisie ou de l’AKP alors que celuici, comme on l’a montré dans de précédentes contributions, résulte des garde-fous posés par la laïcité, de l’application des règles de l’économie de marché et des critères de convergence imposés par la perspective d’adhésion à l’Union européenne. Si l’islamisme turc n’avait pas été soumis à ces pressions, il aurait probablement versé dans le charlatanisme et l’extrémisme quand on sait que Teyyip Erdogan a failli être happé par cette spirale à un moment de sa vie. Ayant été dans sa jeunesse à une école de formation des imams — avant de bifurquer plus tard vers des études économiques — il n’était pas loin de devenir un taliban. Alors qu’il était maire d’Istanbul (de 1994 à 1998), il a été mis fin à son mandat, et lui jeté en prison, parce qu’il avait lu en public un poème d’un auteur turc qui disait : «Les minarets seront nos baïonnettes, les dômes des mosquées nos casques, les lieux de prière nos casernes, et les croyants nos soldats.» L’islamisme considère que l’islam est une seule et même chose depuis son apparition. Mais si l’islam est un, pourquoi l’islamisme est-il pluriel ? Pourquoi autant de partis en Algérie et en Égypte si la vérité que chacun prétend détenir est une seule ? La différence est-elle dans le «programme» ou dans les hommes qui le véhiculent ? Or, on sait qu’il n’y a pas de programme islamiste. La cause du peuple palestinien a perdu sa prééminence dans l’esprit des peuples qui la soutenaient depuis que le peuple palestinien a été divisé en musulmans islamistes et en musulmans tout court (sans oublier les chrétiens). Elle s’est scindée en deux Etats avant même que l’Etat palestinien ne naisse. Sous prétexte de résistance l’islamisme l’a divisée en deux sous-causes antagoniques, l’une domiciliée à Ghaza, l’autre à Ramallah, sous l’œil vigilant de Tsahal. Qui pouvait, en Israël, rêver d’un tel scenario, d’un tel cadeau ? Le monde s’en est détourné, et le gouvernement israélien en a profité pour grignoter davantage de territoires, jusqu’au jour où il n’y aura plus de Palestine du tout. Restera l’islamisme qui, faute de terre, planera majestueusement sur les eaux du Jourdain ou de la Méditerranée comme l’Esprit saint au début de la Création. J’ai parlé dans un écrit antérieur de «chariâland », un autre néologisme qui m’a été inspiré par l’actualité arabe. Ghaza n’en est-il pas un modèle ? N’y sont admis que les musulmans palestiniens islamistes. Les autres, musulmans tout court ou chrétiens, n’ont qu’à aller se faire pendre ailleurs. Dans l’Algérie coloniale, il y avait un pluralisme politique et une vie électorale. Eut-il pu y exister des partis islamistes pour concurrencer le PPA-MTLD et l’UDMA ? Non, car l’islamisme n’existait pas encore, il n’est apparu qu’à l’ère des indépendances pour s’occuper de la femme, de la mixité, du maillot de bain, des salles de prière sur les lieux de travail, de l’intérêt bancaire et autres questions majeures restées insolubles depuis l’apparition de l’Homosapiens, c’est cela son programme. Mais maintenant qu’il est bien installé, que l’islamismania va rassembler encore plus de gens autour de lui, qu’il ne sera pas possible de disperser avec le gourdin, devra-t-il s’inspirer du Hamas pour séparer musulmans islamistes et musulmans ordinaires (sans parler du sort à faire à la minorité chrétienne en voie d’expansion) quand il ne sera plus possible de vivre ensemble ? Ou aura-t-il besoin de l’expertise israélienne ? Et dans la pauvre Égypte, bien plus mal lotie que nous, où iraient les 15% de musulmans qui n’ont pas voté islamiste, et les 10% de Coptes ? Faudrait-il la diviser par trois ? Le Soudan, lui, n’a pour l’heure été divisé que par deux pour cause d’islamisme. Comme le morceau de gruyère arraché par Yasser Arafat au temps de Clinton et de Rabin. Tout le monde connaît l’argument utilisé par des générations de «savants» et intellectuels musulmans : on peut se développer sans rien changer à sa culture et à sa personnalité, et la meilleure illustration est le Japon. Or, un spécialiste japonais du monde arabe vient d’apporter la réponse des Japonais à l’imparable et lumineux argument. Il s’agit de Nobouaki Notohara, un nippon arabisant, qui a passé quarante ans de sa vie dans la péninsule arabique et traduit plusieurs livres de l’arabe au japonais. Il a publié, il y a quelques années, un livre intitulé Les Arabes : point de vue japonais où il écrit : «A chaque fois que des Arabes se rencontrent à un colloque scientifique et que le Japon est mentionné, les participants comparent le renouveau japonais au renouveau arabe tant espéré. Ils affirment que le Japon a réussi à intégrer le nouvel âge tout en préservant sa culture. Il semblerait qu’ils cherchent ainsi à se trouver des excuses, à se justifier en disant : “On peut intégrer l’âge de la modernisation, de la mondialisation, et de la production, sans pour autant renoncer à son héritage social, au modèle politique traditionnel, aux normes comportementales qui ne sont plus de mise aujourd’hui.” Et si on leur répond que les Japonais ont intégré l’époque moderne parce qu’ils ont renoncé au modèle politique et au comportement social auxquels ils étaient habitués, et qu’ils ont adopté de nouvelles idées, certains Arabes réagissent avec stupéfaction, refusant d’admettre les faits… Au Japon, chaque jour apporte son lot de faits nouveaux, alors que l’Arabe se contente de reconstruire les évènements du lointain passé…» L’Islam est la religion qui était la mieux disposée pour promouvoir une philosophie politique démocratique. Pourtant, les peuples que rassemble la culture théocratique et que disperse le gourdin lui ont préféré le despotisme, c’est-à-dire le règne des personnes plutôt que celui des institutions. La monarchie héréditaire était étrangère aussi bien à la doctrine islamique, qu’à l’histoire des Arabes. Il n’existait pas de monarques dans l’Arabie préislamique qui était plutôt une «République de marchands» où cohabitaient des tribus et des familles, mais sans structure unitaire ou autorité au-dessus d’elles. Pour sa part, le Prophète n’a ni institué la monarchie ni désigné un successeur, il a laissé aux musulmans le soin de le faire selon ce qui leur conviendrait. Il n’a ni usé de la culture théocratique ni du gourdin. Pourtant, quand on regarde le bilan, le despotisme est le seul modèle politique que les arabo-musulmans ont connu tout au long de leur histoire. Ce qui était au départ une hérésie est devenu une orthodoxie. Le despotisme a si bien été moulé dans l’argile des croyances qu’il n’a pas été, à ce jour, inquiété dans les monarchies qui se veulent de droit divin. Autre ironie du sort, ce ne sont pas les républiques qui ont été les plus fervents soutiens des révolutions arabes, mais les monarchies, pour les raisons géostratégiques que l’on devine et non par conviction démocratique, bien sûr. Et que feraient les islamistes s’ils savaient qu’on les laisserait faire ? Le califat. En cherchant un jour à vérifier un détail dans la Constitution américaine pour les besoins d’un travail, j’ai été saisi par la similitude entre le principe posé dans la Déclaration d’indépendance américaine, en vertu duquel les citoyens ont le droit de se soulever contre le despotisme et le principe posé par Abou Bakr le jour où il a prêté serment comme successeur du Prophète, fondant le même droit. Il n’y a de différence que dans la formulation, autrement le fond est absolument identique. Et les deux moments, la Déclaration d’indépendance, comme le discours d’investiture, étaient des moments fondateurs. On lit, en effet, dans le troisième paragraphe de la Déclaration d’indépendance : «Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir (ces) droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement… Il est de son droit, il est de son devoir de rejeter un tel gouvernement…» Et comme pour donner aux citoyens américains les moyens de mettre en œuvre ce principe, le Deuxième amendement a institué le droit pour eux de détenir et de porter des armes. Les Américains, n’ayant pas connu depuis leur guerre de libération le despotisme, n’ont pas eu à recourir au soulèvement contre lui. De ce vieux principe est restée la liberté du port d’arme malgré les problèmes qu’elle pose à la société américaine. Après sa désignation comme premier calife, Abou Bakr a déclaré devant ceux qui venaient de l’élire : «Me voici chargé de vous gouverner. Si j’agis bien, soutenez-moi, si j’agis mal, corrigez-moi. Dire la vérité au dépositaire du pouvoir est un acte de dévouement, la lui cacher est une trahison… ». Quelqu’un, parmi la foule, prit la parole et s’écria en levant haut son sabre : «Si tu agis mal, c’est avec ceci que nous te redresserons !» N’est-ce pas la même philosophie politique qui est à la base du texte américain et du discours du premier calife ? La réponse apportée par le bédouin pour compléter le principe posé par Abou Bakr n’est-elle pas l’égale du Deuxième amendement légitimant le recours aux armes pour combattre un pouvoir devenu illégitime ? Pourquoi les choses ont-elles bien marché dans le cas des Américains et pas dans celui des musulmans ? Parce qu’un quart de siècle après l’énoncé de ce principe, le gouverneur de Damas, Moawiya (fondateur de la dynastie omeyyade), a renversé le calife légitime, Ali, et instauré le califat héréditaire sans que le peuple ne se soulève, ni que les oulamas ne le clouent au pilori. Au contraire, ils se sont ingéniés à légitimer le gourdin et sa transmission héréditaire. Depuis, les peuples que rassemble le bendir et que disperse l’épée d’Al- Hadjadj ont fait leur entrée dans l’ère ininterrompue du despotisme sous toutes ses déclinaisons : califat dynastique, monarchies, présidence à vie, républiques héréditaires… Autre question : Pourquoi les musulmans, si sensibles à l’idée de «salaf», qui a donné salafisme (imitation des anciens), ont-ils suivi l’exemple de Moawiya plutôt que celui d’Abou Bakr ? Parce que les oulamas et fouqahas ont escamoté le principe démocratique par crainte du gourdin ou pour lui complaire en échange de leur prérogative de rassembler le peuple et remplacé par un autre, tiré du détournement de sens de paroles comme : «Obéir au détenteur du pouvoir, c’est obéir à Dieu.» Ils ont fait avec le Coran et le hadith ce que les despotes ont fait avec leurs Constitutions. Pas plus qu’il n’a voulu désigner un successeur, le Prophète n’a laissé derrière lui le Coran tel que nous le connaissons. Le premier, Omar s’était inquiété de ce que les révélations coraniques n’étaient pas réunies en un seul corpus. Elles étaient apprises par cœur par les Compagnons ou transcrites sur des supports de fortune (parchemin, bois, poterie, omoplates…) Or, ces derniers commençaient à disparaître avec les guerres d’expansion, ou de vieillesse. Omar en parla au calife Abou Bakr qui prit peur devant la perspective de faire quelque chose que le Prophète n’avait pas fait : réunir en un seul livre les versets épars. Les deux hommes consultèrent le scribe-secrétaire le plus qualifié du Prophète, Zeïd Ibn Thabit, lequel réagit comme Abou Bakr avant que Omar ne finisse par les convaincre tous les deux en leur opposant ce simple argument : «Quel mal y a-t-il à le faire ?» Le travail fut engagé sous la direction de Zeïd et aboutit à une recension à laquelle on donna le nom de «mashaf», resté pendant une douzaine d’années par devers Abou Bakr puis Omar. C’est Othman qui décida de régler définitivement le problème en nommant une commission de quatre experts, dont Zeïd qui, sur la base de l’exemplaire laissé par Omar à sa fille (et veuve du Prophète) Hafsa, a donné au Coran son ordre actuel. Mais, peut-on s’interroger, pourquoi les 114 Sourates regroupant les versets ont-elles été classées par ordre de longueur plutôt que par ordre chronologique, c’est-à-dire dans l’ordre où les versets ont été révélés ? L’ordre décroissant n’aide pas à leur compréhension puisqu’on a détaché chaque ensemble de versets du contexte dans lequel il est venu. Ce n’est pas Dieu ou le Prophète qui a voulu cet ordonnancement, mais les hommes désignés par Abou Bakr puis, une douzaine d’années plus tard, par Othman. Résultat, il faut transiter par les oulamas et les «sciences religieuses» pour accéder au sens d’un verset.

N.B. IN LSA

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