MELISSA ROUMADI BENFERAG |
« Nous n'avons pas de quoi payer les
salaires de novembre». Déclaration choc du Premierministre, M. Ahmed Ouyahia
et qui est allée de son effet suscitant inquiétude et indignation. Une phrase
qui a surtout fait le lit de la solution miracle que le nouveau chef de
l'Exécutif a été chargé de mettre en place. Car il faut le dire, l'idée du
recours à la planche à billets, n'est pas nouvelle. Elle flottait dans l'air
depuis plusieurs mois, du temps de l'ex-ministre de Finances, M. Abderrahmane
Benkhalfa déjà, mais n'a été validée qu'au début de l'été 2017. Au cours d'un
Conseil des ministres tenu le 14 juin dernier, alors qu'Abdelmadjid Tebboune
était encore Premier-ministre, le Président de la République, M. Abdelaziz
Boutefiika avait « Invité le
Gouvernement à promouvoir des financements internes non conventionnels qui
pourraient être mobilisés pendant quelques années de transition financière,
pour ne pas trop impacter les programmes publics d'investissements », Mais ce
n'est qu'aujourd'hui que le recours à la planche à billets prend tout son sens,
avec Ouyahia, ce commis de l'État, avec lequel rien n'est impossible.
Il aura fallu la quasi-faillite
de l'État pour que l'opinion publique soit noyée sous une pléthore de chiffres
que l'on avait pris grand soin de lui dissimuler au cours des derniers
mois. De cette vague de « transparence »
intéressée, on apprendra que le Trésor public a besoin de
570 milliards de dinars pour boucler
l'année en cours. On nous dira aussi qu'il faut injecter
1.000 milliards de dinars dans les
entreprises publiques pour relancer la croissance, que Sonlegaz aura besoin de
200 à 300 milliards de dinars par an pour financer ses
investissements. On saura surtout
qu'il aura fallu puiser plus de 8.800 milliards de dinars (l'équivalent de près
de 88 milliards de dollars) pour éponger le déficit public depuis 2014, Il faut
dire que malgré les chiffres publiés aucune indication n'a été donnée quant à
l'usage de ses fonds, et encore moins des 1,100 milliards de dollars engloutis
par le budget de l'État en 17 ans.
Qu'à cela ne tienne et à défaut de
créer de la richesse, les pouvoirs publics ont choisi la voie de la création
monétaire, sous le vocable de financement non conventionnel.
La monnaie nationale a perdu plus de
30 % de sa valeur en deux ans. Mais l’aggravation de la situation financière ne
laisse pas d'autre : recours à l'endettement pur et simple afin de financer le
déficit du Trésor. Le gouvernement a dans ce sens opté pour l'émission de bons
du Trésor lesquels seront achetés par la Banque d'AIgérie. Selon un cadre de la
Banque d'Algérie la loi sur la monnaie et sur le crédit interdit ce genre de
procédés. Le texte ne permet que des avances au Trésor. L'article 46 de la loi
« n'évoque que des avances de la Banque d'Algérie au Trésor dont le montant ne
doit surtout pas dépasser 10 % des recettes ordinaires et remboursables en 240
jours maximum, consécutifs ou non, au cours d'une année calendaire ». D'où la nécessité d'introduire un amendement
à la loi en question. C'est dans ce contexte qu'un article 45 bis est introduit
et qui stipule que « la Banque Algérie procède, ( ... ) à titre exceptionnel et
durant une période de cinq années, à l'achat directement auprès du Trésor, de
titres émis par celui-ci, à l'effet de participer, notamment à la couverture
des besoins de financement du Trésor, au financement de la dette publique
interne et au financement du Fonds National d'Investissement (FN I).» Mais
cette mesure présentée par le Premier-ministre comme « un impératif et non une
option », suscite l'inquiétude. Le fait est que la création monétaire, et
quelle que soit sa forme est aussi de l'endettement, qui doit être remboursé
grâce à la création de richesses en contrepartie.
C'est dans ce contexte que l'ancien
ministre du commerce et de la PME, M. Noureddine Boukrouh a indiqué que le
danger de cette forme de création monétaire, « vient de la contrepartie de la
création de monnaie et de son remboursement. Dans le cas de l'État, la banque
centrale, qui est aussi l’institut d'émission de la monnaie, va fabriquer de la
monnaie scripturale et fiduciaire qu'elle remettra au Trésor qui la remettra
aux ministères et collectivités locales pour alimenter leurs budgets et couvrir
leurs dépenses. Elle deviendra de la monnaie de
singe qui va
entraîner la dévaluation du dinar et amenuiser le pouvoir d'achat des revenus
si l'État ne recouvre pas assez de fiscalité pour la rembourser ».
KEYNES, ENCORE ET TOUJOURS...
Pour sa part, Rouf Boucekkine, professeur à l'université
d'Aix-Marseille, et membres de la défunte task force mise en place par le
gouvernement Sellal nous expliquait il y'a quelques semaines que « dans un
contexte d'assèchement de liquidités bancaires, on ne peut se permettre de
rester les bras croisés ». Il considère, d'ailleurs, que la planche à billets «
n'est pas ce que l'on peut imaginer. Il ne s'agit pas d'imprimer de nouveaux
billets, c'est de la création monétaire via diverses techniques comme le rachat
d'actifs ". Aussi critique-t-il les inquiétudes vis-à-vis de la création
monétaire et l'impact que celle-ci par rapport à l'inflation en estimant que
l'épisode inflationniste actuel ne résulte pas de la création monétaire mais
bien de la déstructuration des marchés. « Il ne faut pas avoir peur d'utiliser
la planche à billets, indique-t-il. Cependant. M. Boucekkine émet un certain
nombre de conditions : « il faut qu'il y ait un deal entre l'État et la banque
centrale pour que chacun fasse son boulot dans une coordination des politiques
monétaires et fiscales parfaite », nous expliquait-il. L'économiste estime
aussi qu'il « faut cibler la création monétaire pour l'orienter vers le
financement des projets. Il y 'a un nouveau plan de croissance économique avec
des objectifs d'investissements. Il faudra caler les besoins de financement
monétaires sur ces objectifs-Là. Il faut que le recours à la création monétaire
soit limité dans le temps et borné », précise-t-il.
Et d'ajouter que l'on pourrait mettre
en œuvre une création monétaire, « mais à condition que cela ne dure pas
au-delà de 2018, que ce soit quantitativement limité pour des choses bien
précises. Il ne faut pas en faire usage pour financer les subventions. Il ne
faut pas recourir à la planche à billets sans contrepartie ».
Un point de vue fidèle aux
fondamentaux des politiques Keynésiennes, qui ont tant inspiré les pouvoirs
publics algériens. Ceux-ci entendent d'ailleurs reproduire leurs
politiques Keynésiennes. Avec leurs
travers, Loin de ce qui est conseillé, les nouvelles politiques de création
monétaire vont s'étaler sur 5 années, Et ce n'est pas pour autant que les
besoins en financements ont été clairement définis et « bornés», Le cadrage
budgétaire triennal ne permettra pas de définir les besoins en financements,
qui restent à définir, selon le Premier ministre.
CALCULS POLITIQUES
C’est d’ailleurs la sommes de ces
petits détails qui s’assimilent à des grains de sables dans la machine et qui
laissent craindre plus que jamais des dérapages inflationnistes. Mais
l’Exécutif n’en démord pas. Le ministre des finances, M.Abdrrahmane Rouya a
tablé, lors de son passage au parlement, sur une baisse progressive de
l’inflation avec un taux de l’ordre de 5.5% en 2018, 4% en 2019 et 3.5% en
2020, contre 6.5% aujourd’hui. Il omet pourtant de préciser que ce ne sont là
que des objectifs fixés par ce même exécutif qui va gérer les avances de la
banque d’Algérie, et qu’il va tenter de réaliser. Si le ministre assure avec
confiance que les risques inflationnistes sont maîtrisables, il ne donne aucune
indication sur les montants à mobiliser dans le cadre des financements non
conventionnels. Il prétend que ce financement « sera fixé selon les besoins ».
Une démarche qui ne fait qu’alimenter les suspicions. De nombreux
parlementaires de l’opposition y ont d’ailleurs vu des calculs politiques en
prévision des échéances électorales de 2019.
M.Raouf Boucekkine nous expliquait,
en marge d’une présentation sur le rapport entre ressource naturelles, rentes
et révoltes populaires et qu’il avait fait lors de l’Africa Meeting de la
société internationale d’économé-trie, que la logique actuelle du pouvoir
Algérien est une logique « de préservation des élites ». Et c’est pour cela
qu’il maintient un niveau élevé de dépenses et de redistribution afin d’éviter
tout mouvement populaire ».
Il estime cependant que dans un
contexte « de double choc induit par une hausse des dépenses de fonctionnement
et une baisse des prix du pétrole, la situation est devenue insoutenable ».
Pour l’économiste il faut réformer sans « heurter les sensibilités » des
populations. Et d’ajouter qu’il « ne faut pas avoir peur d’utiliser ni
l’endettement extérieur ni la planche à billets », pour peu que l’on fasse des
réformes et que les fonds mobilisés soit utilisés pour financer des
investissements productifs et ne soient pas orientés vers les subventions ou
les « investissements fous de Sonelgaz ».
Les pouvoirs publics sont-ils pour
autant mus par la volonté de réformer ? La résurgence de la question relative
aux gaz de schistes, ressuscitée par le gouvernement Ouyahia laisse
transparaître cet attachement viscéral à la rente. Pour l’ancien ministre du
budget et opposant, M.Ali Bennouari, « le pouvoir actuel n’entreprendra pas de
réformes structurelles sérieuses car celles-ci ont un social très élevé. Il
sait qu’il n’a pas la légitimité politique pour faire accepter l’austérité
qu’elles engendrent ».
Certains diront bien que le recours
aux financements non conventionnels sera soumis au contrôle d’une instance
indépendante à installer au niveau du ministère des finances et comptera de
plusieurs ministères et dont la structure sera déterminée par décret
présidentiel.
Le gouvernement explique que la
banque d’Algérie suivra l’impact de ce mécanisme sur la masse monétaire, le
niveau d’inflation, la liquidité bancaire et le prix de change. On nous explique
aussi que les questions techniques et monétaires devraient être réservées aux
techniciens et non aux politiques. Une réponse cinglante aux députés ayant émis
le vœu d’associer le parlement au contrôle de l’opération.
Mais cela est-il suffisant ? Si l’on
décrypte le propos, l’on se rend compte que ce sera à l’exécutif de contrôler
l’usage qu’il fera des fonds dont lui-même bénéficiera.
Aussi, l’impression est grande que la
banque d’Algérie est évincée de tout suivi de l’usage qui sera fait des fonds prêtés
et reste cantonnée dans les missions traditionnelles de politique monétaire et
de maîtrise de l’inflation. Un cadre de la banque centrale nous expliquera sous
couvert de l’anonymat que la BA « n’a pas de marge de manœuvre pour ce qui est
du suivi et de recadrage des politiques menées par l’Exécutif ». Et s’il est
vrai que l’indépendance de la banque centrale a été rognée au fur et à mesure
par les amendements de la loi sur la monnaie et le crédit en 2003 puis en 2010,
il est aujourd’hui évident que la politique monétaire est définitivement
soumise au pouvoir politique.
M.R.B
UNE IDÉE PAS SI NOUVELLE
Le retour officiel de la planche à
billet a d'ailleurs été saisi par les politiques et les polémistes. Pour
beaucoup, il s'agirait de demander à la Banque d'Algérie d'imprimer de nouveaux
billets pour en noyer le marché, Mais qu'en est-il en réalité ? Il faut
comprendre que la planche à Billets peut
prendre plusieurs formes, au-delà de sa forme historique de l'impression de
monnaie papier, La création monétaire est aujourd'hui virtuelle et
informatique, Cela peut passer par l'assouplissement quantitatif via l'achat
des obligations d'État, ou le rachat d'actifs, ou la forme d'hélicoptère monétaire.
La nouvelle monnaie étant censée être distribuée à la population, directement ou
indirectement par un accroissement de la dépense publique. Cela peut aussi
passer par la «monnaie fondante", grâce à la dépréciation de la monnaie ou
par la « monnaie fiscale », qui permet à
l'État de payer ses factures par de simples reconnaissances de dette, où encore
en appliquant des taux d'intérêt négatifs, Une technique qui permet d'injecter
des liquidités dans l'économie pour relancer la croissance (cas de la Fed aux
USA, de la Banque centrale européenne), mais qui peut aussi induire des dérives
inflationnistes, chose qui pousse certains pays à recourir à la création
monétaire pour lutter contre la déflation, comme ce fut le cas au Japon. Des
définitions qui permettent d'éclairer l'opinion publique sur un fait : le
recours à la planche à billets n'est pas une nouveauté, Il est vrai que depuis
juin 2014, période au cours de laquelle les prix du baril ont commencé à chuter
dangereusement, et qu'il est devenu évident pour l’Algérie que la crise
financière est inévitable, la Banque centrale a commencé à dévaluer le dinar,
pour gonfler artificiellement l'équivalent, les revenus libellés en dollars.
L’ÉCONOMIE PLUS QUE JAMAIS SOUMISE AU
POLITIQUE
M, Ouyahia promet que les fonds issus
de la création monétaire serviront à financer les investissements publics et
relancer les projets qui ont été gelés ce qui aura pour vertu de booster la
croissance du PIB.
Le chef de l'Exécutif promet
également une série de réforme à même de diversifier l'économie, d'augmenter
les ressources fiscales de l'État, de réduire le déficit public et par ricochet
réduire peu à peu le recours du Trésor public au financement de la Banque
d'Algérie. Au programme, recours à la finance islamique pour absorber les fonds
de l'informel, institution de l'impôt sur la fortune lequel existe déjà sous la
dénomination d'impôt sur le patrimoine, rationalisation budgétaire et
amélioration du climat des investissements. Bref, une série de mesures que le
gouvernement promet de mettre en œuvre depuis une quinzaine d'années sans y
parvenir.
Le fait aussi, que les financements de la
Banque d'Algérie serviront entres autres, à couvrir le déficit du Trésor, à
rembourser les créances détenues par des entreprises de réalisations nationales
et étrangères estimées à 400 milliards de dinars, sans oublier le remboursement
des dettes de la Caisse nationale des retraites envers la Cnas, pour lequel le
PLF 2018 a déjà mobilisé 500 milliards de dinars, il promet aussi que les prêts
de la Banque d'Algérie ne serviront pas à payer les salaire el les subventions,
ni à couvrir les transferts sociaux, lesquels augmenteront de 8 % dès 2018, il
affirme que ceux -ci seront financés à 80 % par la fiscalité ordinaire,
Pourtant, force est de constater que les recettes ordinaires de l'État
n'arrivent toujours pas aujourd'hui, à garantir le financement des deux tiers
des dépenses de fonctionnement, el ce n'est certainement pas les quelques taxes
sur le tabac et les carburants qui leur permettront d'y arriver. Le
Premier-ministre l'avait d'ailleurs avoué au Parlement, « la hausse des taxes
ne va rien régler au problème».
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