Monsieur le président de la république française.
Quand
vous étiez le simple candidat à l’élection présidentielle de votre pays, vous
fîtes un voyage éclair à Alger, capitale d’un pays qui a de longues et
douloureuses relations historiques avec le vôtre. Ce n’est pas le lieu de philosopher
sur les mécanismes des refoulements de l’histoire qui favorisent les dénis de
la réalité. C’est d’une journée précise, celle du 17 octobre 1961 dont je veux
vous parler. Ce jour-là, c’était un mardi, une partie de l’Algérie en exil
sortit de ‘’ses’’ bidonvilles pour défiler dans les rues de Paris. Elle voulait
protester contre une décision inique qui limitait sa liberté de circuler et
l’obligeait à respecter un couvre-feu dès la tombée de la nuit. Par cette
manifestation ; cette Algérie en exil tenait aussi à exprimer son droit de
résister à l’oppression, droit inscrit dans la charte de l’ONU, dois-je le
rappeler ?
Ainsi Monsieur le président, je ne vous apprends rien en
rappelant que lors de cette tragique journée, des Algériens, manifestants pacifiques,
ont été livrés à la hargne de la police de l’Etat français qui agissait sur
ordre des plus hautes autorités du pays. Cette précision est importante pour
éviter que l’on qualifie les crimes commis ce jour-là de bavures de quelques
lampistes de la police française. Ce jour-là donc des Algériens, par milliers
furent arrêtés et transportés comme du bétail dans les bus de la RATP vers des
camps d’internement. Ce jour-là des centaines furent blessés mais refusèrent de
se rendre dans des hôpitaux de peur de se faire arrêter dans ces institutions
de soins en principe protégées par les lois de la république. Ils furent
secourus dans des pharmacies par des citoyens français, les uns par humanisme,
d’autres par solidarité avec leur légitime combat.
Enfin des centaines furent ligotés, oui ligotés et jetés,
oui jetés dans la Seine. Leurs familles à ce jour n’ont pas de lieu pour aller
les pleurer et les honorer. Cette journée se solda par un carnage dans la ville
des Lumières sous les flashs de journalistes militants dont les photos
témoignent de la brutalité subie par ces ‘’invisibles’’ de cette époque. C’est
pourquoi, aucun artifice de langage, ni argutie juridique, aucun discours
reposant sur le déni de la réalité, ne peut effacer pareil acte que des écrits
et des films ont exposé la cruelle réalité au grand public. Ainsi monsieur le
président, le 17 octobre 1961, les pavées de Paris ont été couverts de sang,
pareils à d’autres moments de la riche histoire de votre pays comme le hurle
Arthur Rimbaud dans son poème ‘’l’orgie parisienne’’ Ce 17 octobre 1961, une
tragédie s’est donc déroulée en plein Paris, au nom de la raison et de la
justice, au nom des cris des suppliciés noyés dans la Seine, leurs enfants, des
citoyens tout simplement, vous demandent de reconnaître officiellement cet
évènement comme un crime d’Etat dont les victimes défendaient leur dignité.
Vous entrerez dans l’histoire de votre pays comme l’un des hommes politiques
qui aurait respecté sa parole publique pour être fidèle à ses nobles convictions.
Votre déclaration à Alger sur les crimes contre l’humanité
durant la colonisation est courageuse et vous honore à un moment où vous
sollicitiez le suffrage des Français dont beaucoup se complaisent encore dans
une lecture tronquée de l’histoire. Je ne peux croire que vous avez fait ce
voyage pour glaner les voix des enfants des manifestants d’octobre 1961 comme
le prétendent certains esprits mal intentionnés. Je préfère croire que
l’attitude du candidat et futur président d’un grand pays répond à d’autres
considérations moins intéressées. Vous feriez alors un geste symbolique de
haute portée politique d’un président à la tête d’un pays qui veux nouer des
relations solides avec un pays géographiquement voisin mais aussi parce
l’histoire continue de labourer leur présent. Un présent encore rongé par le
lourd héritage des contentieux du passé. Arracher les rances des ressentiments
des uns et les épines de la colère des autres, ne peut qu’accélérer l’ouverture
des portes à de fructueuses et amicales relations entre les deux pays. Monsieur
le président, la décision que vous prendriez soulagera les descendants de ces
victimes. Elle effacera le froid de cette nuit-là qui gela l’oasis de leurs
rêves d’enfants. Donnez-leur l’opportunité de remplacer les images insupportables
de cette noire journée par celles de la danse des vagues de notre commune mer.
C’est ainsi que les corps des morts ballotés par la houle de la Seine
trouveront le repos de leur âme. Quant aux vivants, leur conscience s’enrichira
de cette reconnaissance officielle qui les aidera à s’engager pour que pareils
actes ne soient plus possible.
Puisse votre stature d’homme d’Etat répondre aux attentes
des deux peuples français et algérien dont la frontière n’est autre que cette
Méditerranée berceau de tant de civilisations, une Méditerranée qui doit cesser
d’être un cimetière des parias de l’Afrique pour devenir un lac de paix tant
rêvé par ses habitants.
Ali Akika réalisateur du film Enfants d’octobre 61.
Lien avec le film :
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