«Enlève la photo, laisse le drapeau»

Chawki Ammari

Au-delà de l’effet de foule, des colères légitimes et d’une administration totalement inféodée à l’oligarchie en place, il y a de l’importance dans ce qu’il s’est passé à Khenchela. La symbolique du geste de la population constatant au matin une énorme photo du Président et un grand drapeau du pays accrochés côte-à-côte sur la façade de la mairie : «Enlève la photo, laisse le drapeau», ont crié les manifestants à ceux qui escaladaient la façade pour décrocher un homme mourant qu’on tente d’imposer à 40 millions de personnes qui n’ont pas encore donné leur avis.

Geste fort de découpler deux choses jusque-là amalgamées, le régime et l’Etat, le gouvernement et la nation. La photo a donc été décrochée et le drapeau est resté, avec l’idée que la sauvegarde du pays ne passe pas forcément par la réélection du Président sortant, la nation est supérieure à l’individu et la stabilité n’est pas l’immobilisme.

On peut aimer son pays et ne pas aimer son Président, ce qui signe déjà la naissance, conceptuelle, de la deuxième République, après cette longue séquence où il s’est agi de voter Boumediène, Chadli et Zéroual ou Bouteflika, dans un premier entendement pour l’électeur, être en phase avec son pays, dans un autre plus naïf ensuite, les dirigeants savent ce qu’ils font.

Avec le temps, on a bien compris à Khenchela et ailleurs que les responsables font aussi n’importe quoi, comme ruiner le pays, traiter de traîtres ceux qui ne votent pas Bouteflika, usant de fatigants discours sur la main de l’étranger et le retour du terrorisme, tout en insistant à entretenir la confusion entre Bouteflika et la nation. Reste le cas du maire de Khenchela, qui a fermé la mairie pour ne pas donner de formulaires aux autres candidats, il a été suspendu par le wali suite à la manifestation.

Ce qui ne règle pas le problème fondamental des pouvoirs, un homme nommé par le Président peut suspendre un homme élu par la population. Le chemin est encore long, mais les premiers kilomètres ont été franchis.

IN EL WATAN  LE 21.02.2019