APS - ALGÉRIE

dimanche 26 novembre 2017

Le fantôme d'Arafat

par Abdelhak Benelhadj

« Tu ne meurs pas de ce que tu es malade ; tu meurs de ce que tu es vivant. » (Montaigne, Essais)

Menacé d'assassinat pendant des décennies, Yasser Arafat est décédé le 11 novembre 2004 à l'hôpital militaire Percy de Clamart (Hauts-de-Seine) à l'âge de 75 ans. Il y a de cela 13 ans.

Sa mort a été à l'image de sa vie. Le chef charismatique d'une Palestine toujours à naître a suivi dans la tombe les Accords d'Oslo qu'Israël a imaginés pour achever son projet d'« Etat juif ». « Ambiguïté créatrice » avait expliqué Shimon Peres surfant sur le succès médiatique de l'« ordre par le bruit », les « attracteurs étranges » et le « chaos créateur » à l'usage des benêts.

Treize après son décès, le Proche Orient est dans le même état. Toujours au bord de la fin du monde : l'Irak et la Syrie ne sont plus qu'un vaste champ de ruines, l'Afghanistan une gigantesque narco-économie, la Turquie éperdue piétine aux portes d'une Europe barricadée, les pétromonarchies démonétisées comptent leurs sous. Israël du haut des créneaux de ses fortins contemple la chute successive de ses ennemis. Arafat n'est même plus un souvenir.

Etrange mort en vérité. A ce jour mystérieuse. Qu'on en juge :
* Cela commence par l'annonce prématurée, le 04 novembre, de son décès par Daniel Juncker alors Premier ministre du Grand Duché du Luxembourg. D'où tenait-il en son état la nouvelle ? Mystère et boule de gomme. Après un entretien avec J. Chirac, il retire son annonce.1 En écho le même jour, George Bush lâche un très hypocrite, « Que Dieu ait son âme ».

* En juillet 2004 déjà, anticipant les demandes palestiniennes, dans un document interne (fuité comme il faut), le gouvernement israélien prévient que si le président de l'Autorité palestinienne venait à mourir, il serait interdit de l'enterrer dans al-Haram al-Charif, à Jérusalem-est. Précaution étonnante : car en juillet la santé de Arafat ne semblait pas défaillir...

* Enfin la cause de la mort reste indéterminée. Soit on l'ignore soit on ne veut pas la rendre publique. Les résultats des analyses, confirmés post-mortem, évoquent le « polonium » élément radioactif comme cause probable de la mort. On se perd en conjectures... et on se prend à songer à la fin de H. Boumediene et à la célébrissime hypothèse Waldenström...

En novembre 2012, la tombe de l'ex-Raïs palestinien avait été ouverte et une soixantaine d'échantillons prélevés sur sa dépouille puis répartis pour analyse entre trois équipes d'experts suisses, français et russes. Les trois juges d'instruction de Nanterre estimaient qu'il n'est «pas démontré que M. Yasser Arafat ait été assassiné par empoisonnement au polonium 210, et il n'existait pas de preuve suffisante de l'intervention d'un tiers qui aurait pu attenter à (sa) vie». (AFP le mercredi 02/09/2015 à 19:27) Au contraire, les experts suisses sollicités par la veuve avaient pour leur part jugé que leurs résultats «soutiennent raisonnablement l'hypothèse de l'empoisonnement» au polonium.

* On peut y ajouter une déclaration insolite de Mahmoud Abbas qui, à l'occasion du 12ème anniversaire du décès d'Arafat, assure connaître le nom (« surprenant » selon lui) de l'auteur de la mort de Arafat mais aussitôt prévient qu'il s'abstient de le divulguer.

Devant des milliers de personnes, il aurait déclaré : «vous me demandez qui l'a tué. Je le sais. Mais mon témoignage seul n'est pas suffisant.» «Une commission d'enquête se penche sur la question, et vous le découvrirez à la première occasion, et vous serez surpris de voir qui a commis cela.» «Je ne veux pas citer de noms, parce que ces noms ne méritent pas d'être mentionnés», aurait-il ajouté. (Gavin Rabinowitz, Time of Israël, J. 10 novembre 2016, 20:33) Depuis, plus rien. M. Abbas a d'autres urgences...

Toutes ces questions soulèvent à leur tour d'autres questions sur lesquelles il y a peu de prise2. Aussi, en attendant des démonstrations crédibles et vérifiables, on s'en tiendra là.

« La politique arabe de la France » est un mythe bien entretenu. Il a une fonction et un but précis : justifier et conforter le soutien continu et indéfectible de Paris à Israël. Y compris sous règne gaullo-pompidolien dont on a abondamment souligné la fable du parti pris en faveur des pays arabes. Exemple, l'histoire rocambolesque des « vedettes de Cherbourg » dans la nuit de noël 1969 avec la discrète complicité des autorités françaises. Israël gagne sur tous les plans : récupère ses vedettes et en supplément conforte l'image clamée à la cantonade, du « génie » militaire israélien, intrépide, « sûr de lui et dominateur ». Que demander de plus ?

Sans doute fortement contrainte, la posture française en de nombreuses circonstances (certes, sans portée stratégique décisive) n'a pas toujours été accommodante pour ses alliés.

Ben Bella : « Vive la France !»

Samedi 15 février 2003. Comme la plupart des grandes villes du monde, plus d'un million et demi de protestataires avait pris d'assaut la ville de Londres. Hyde Park était alors envahi par une marée humaine pour exiger l'arrêt des préparatifs de guerre contre l'Irak.

Au milieu de la foule, anonyme, un algérien aussi controversé pouvait-il l'être, se trouvait là où il se passait des choses décisives. Il était à Baghdad, sous les bombes de Bush père le 17 janvier 1991. Chassé d'Amérique pour avoir soutenu la cause « indienne », il était à nouveau là, dans la capitale britannique, parmi les manifestants pour la paix.

Ahmed Ben Bella lança ce jour-là un bien hétérodoxe « Vive la France ! », saluant l'opposition de Chirac à Washington et le discours pour ainsi dire gaullien que prononça la veille D. de Villepin au Conseil de Sécurité, obligeant les Etats-Unis à une guerre juridiquement, « hors du droit international », donc illégale, et humainement criminelle. Jamais dans l'histoire de la région aucun dictateur sanguinaire n'a fait autant de victimes que Washington venu y apporter paix, justice, démocratie et prospérité. Standing ovation offensant pour C. Powell, assis tête baissée au milieu d'une Assemblée inhabituellement émue. G. W. Bush ne l'oubliera pas.

« J'ai combattu la France que nous avons chassée de notre pays. Mais je salue sa position qui consiste à dire non à la guerre », expliqua Ben Bella.

La France chiraquienne accumulait contentieux et bras de fer avec Bush Jr et son compère Sharon. Les deux faces d'une même politique qui n'ont que faire du droit et de la justice.

Déjà un matin 1996 à Jérusalem-Est, Chirac secoua un pouvoir israélien habitué à humilier impunément ses visiteurs officiels occidentaux, traînant une culpabilité de circonstance, prêts à la résipiscence. « Do you want me to back to my plane ! » menaça le président français encadré étroitement par un service d'ordre israélien retors, résolu à l'empêcher de se mêler à la foule palestinienne qui tendait les mains vers lui.3

Juin 2004. Sharon mit en demeure M. Barnier, le ministre français des affaires étrangères qui a succédé à de Villepin, de choisir entre une visite indésirable à Arafat ou une audience avec lui. Barnier rencontra Arafat les 29 et 30 juin. La rencontre avec Sharon fut repoussée sine die.4

Fin octobre 2004. Yasser Arafat malade arrive à Paris. L'initiative française d'offrir l'asile médical à Arafat a été jugée sévèrement partout où a été décidée la mise en quarantaine des Palestiniens et de leur Autorité.5

C'est la France qui administra les derniers instants du chef de l'autorité palestinienne en le consacrant comme chef d'Etat alors que pendant 3 ans il fut reclus à en une bastille de quelques mètres carrés à Ramallah. Et que pendant ces trois longues années, sa vie ne tenait qu'à une cogitation sophistiquée entre militaires et politiques, pesant le « pour » et le « contre »… savoir ce qu'il convenait de faire de son modeste sort.

Il est vrai que le chef palestinien était une équation avec peu de constantes et une multitude de variables non quantifiables. Les canailles sont comme les boursiers, ils n'aiment ni le risque, ni l'incertitude.

Les querelles faites à la France n'ont pas cessé. Israël lui en avait beaucoup voulu d'avoir officiellement consigné le lieu de naissance qu'Arafat avait décliné. Nissim Zvili, alors ambassadeur d'Israël en France, ne fut pas content. Selon lui, la France n'aurait pas dû figurer sur l'acte de décès de Yasser Arafat, en date du 11 novembre, un lieu de naissance « sensible », celui de Jérusalem. « Je ne comprends pas comment cela se fait que le gouvernement français ait accepté de fournir un acte de décès qui est basé sur des faux documents », a-t-il protesté, jeudi 25 novembre 2004, à Montpellier, au cours d'une conférence de presse. L'administration française fait effectivement état d'une naissance à Jérusalem en se fondant sur le livret de famille de M. Arafat, établi en 1996. Le Monde, S. 27.11.04, 18h06.

Selon certains biographes, Mohammed Abdel-Raouf Arafat el Qudwa el Husseini serait né au Caire le 24 août 1929 dans une famille de petits commerçants. Il affirme, lui, avoir vu le jour à Jérusalem, comme sa femme Souha dont le lieu de naissance n'est pas disputé.

Entre France et Israël, il y eut des époques plus fastes : « Dans les années 50, les relations entre la France et Israël étaient merveilleuses. C'était la lune de miel. Je me souviens de cette époque, de Guy Mollet, de Bourgès-Maunoury... »6 disait Sharon nostalgique se souvenant de l'aide militaire française dans le domaine atomique, des transferts de technologies sensibles et des ventes d'armes.

Le chef palestinien était avec l'accord de Washington et de tous les supplétifs européens, enfermé à la Mouqata'a d'où il est parti pour Paris.

Aucun chef d'Etat arabe ou musulman ne s'est rendu au chevet d'Arafat. Seul J. Chirac s'est enquis à plusieurs reprises de sa santé, par téléphone, et s'est déplacé pour prendre directement de ses nouvelles. Rien ne l'y obligeait bien au contraire. Abandonné de tous, y compris de la plupart des dirigeants arabes, qu'avait Paris à gagner à s'occuper d'un Arafat moribond, décédé politiquement depuis longtemps et dont même les compagnons se partageaient in vivo les restes ?

Le président français n'ignorait pas la valeur de l'atout qu'il avait dans la manche. Même Bush (qui en savait plus qu'on croit) passait par Chirac pour prendre des nouvelles de ce malade encombrant. C'est que la partie se jouait sur plusieurs échiquiers entremêlés.

Il n'en demeure pas moins que la France a réservé des adieux de chef d'Etat au président de l'Autorité palestinienne. Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, accompagné par plusieurs membres du gouvernement, a présidé une « cérémonie du départ » sur l'aéroport militaire de Villacoublay.

Après la sonnerie aux morts, les hymnes nationaux palestinien et français ont été joués par la fanfare militaire, puis le cercueil a été porté jusqu'à l'Airbus A-319 de l'armée de l'air vers Ramallah, via le Caire où se pressaient les chefs d'une Ligue obsolète.

Honneurs inhabituels rendus à un roi sans royaume.

En fin de matinée, le président Jacques Chirac, avait rendu un dernier hommage à Yasser Arafat à l'hôpital Percy, où il s'était recueilli une dizaine de minutes, seul, devant le corps du défunt.

Même si elle a bien changé depuis, même si aucun gouvernement n'agit sans calcul, la France s'est acquittée honorablement d'obligations dont beaucoup d'autres se sont exemptés. Pour une part et grâce à cela, Arafat est mort debout, en chef d'un Etat qu'il n'a pas eu le temps de doter de tous les attributs qui devaient lui être attachés.

C'est pourquoi le drapeau français, flottait fièrement à Ramallah au milieu des bannières palestiniennes pendant qu'Arafat était conduit en sa dernière demeure.

La Palestine reconnaissante.

Le fait colonial.




Chacun à sa manière, S. Sand (professeur d'histoire contemporaine à l'université de Tel Aviv) et R. Garaudy (arpenteur hérétique infatigable du monothéisme, disparu en juin 2012 presque centenaire) ont fait un sort à la fable sioniste, à cette construction imaginaire dont les Juifs sauraient qu'ils en sont les premières victimes si la force n'anesthésiait pas la pensée critique.7

Grenade en octobre 1492 est une illusion et Constantinople en mai 1453, un prétexte.8 La « Question d'Orient » est toujours d'actualité. Le 06 juin 2014, le gouvernement espagnol a adopté en conseil des ministres un projet de loi permettant aux descendants des juifs séfarades expulsés en 1492 de solliciter la nationalité espagnole sans renoncer à la leur. Le projet de loi, présenté une première fois en février, concernerait environ 3,5 millions de descendants de juifs qui vivent en Israël, en France, aux Etats-Unis, en Turquie, au Mexique, en Argentine…

Pas un mot des Morisques. Le 22 septembre 1609, ces descendants des musulmans convertis au christianisme par le décret des rois catholiques du 14 février 1502, furent expulsés sans ménagement d'Espagne par le roi Philippe III. L'Espagne ne se reconnaît ainsi de dettes qu'envers les créanciers qui disposent des arguments, vaisseaux et canons, nécessaires à leur recouvrement.

Le mythe de la « terre sans peuple pour un peuple sans terre » c'est du réchauffé, une vieille entourloupe - remise au goût du jour - dont les puissances coloniales (espagnole, portugaise, néerlandaise, française, britannique...) ont usé depuis la « Renaissance » pour s'accaparer un monde qui ne leur appartenait pas.

Car, un jour ou l'autre, on conviendra que le drame de la Palestine est d'abord une banale histoire de décolonisation. On ne s'en est pas rendu compte parce qu'en Palestine on entamait une nouvelle colonisation, sous couvert de martyrologie, à une époque où le monde commençait à décoloniser. Les Israéliens ne s'en cachent d'ailleurs pas : ils parlent ouvertement de « colons » et de « colonies », de « colonisation ». Un jour peut-être les médias s'affranchiront des contraintes qui pèsent sur leur liberté et parleront de « colonialisme ».

« Ce dont tu t'empares est tien. Telle et la loi des Necromongers » Les Chroniques de Riddick. David Twohy, 2004.

D'un peu partout de la planète, notamment du « Nouveau Monde » et des anciennes « démocraties populaires », déferle un bric-à-brac d'aventuriers en quête de nouveaux territoires avec l'« Alyah » pour passeport et pour mystification. Dans ce scénario de mauvais Western, la chasse au Palestinien a remplacé la chasse aux Indiens.

L'Algérie palestinienne.

Il serait commode d'éclairer par la langue, la culture, l'histoire, la géographie ou à la religion (alors que bien des Palestiniens ne sont pas musulmans) la solidarité entre Algérie et Palestine.

Depuis la fin de la « guerre froide », la confessionnalisation des conflits a beaucoup de succès. La « guerre des civilisations » est plus aisée à vendre qu'une campagne pour l'équité, l'égalité et la justice.

La dimension religieuse (voire ethnique, linguistique, « raciale »...) qui occupe aujourd'hui une place si envahissante dans les discours et les commentaires est une construction « idéologique » a posteriori, confessionnalisant les antagonismes et les conflits d'intérêts pour mieux en dissimuler l'objective et évidente réalité.

Le fait que les Algériens et les Palestiniens parlent la même langue, habitent le même imaginaire civilisationnel est au fond de peu d'intérêt ici.

Palestine et Algérie partagent une histoire et un destin commun. Le même destin qu'ils partagent avec le Viêt-Nam sous les bombes américaines, l'Afrique du Sud sous l'apartheid ou Cuba sous embargo. Cela n'a pas grand-chose à voir avec la langue, la religion ou la culture.

Un travers d'époque : les fondateurs d'Israël accordaient une place mineure au culte et les conflits actuels n'ont en réalité que très marginalement à voir avec des querelles cultuelles. C'était l'Israël des kibboutzim pas celui des colonies à la barbe hirsute qui révulse les intellectuels mondialisés de Tel Aviv.

Les Juifs d'Algérie ont trahi leurs compatriotes algériens par étapes. « La trahison est une question de dates », confiait Talleyrand à Louis XVIII :

1870. Tout commence avec le Décret Crémieux demandé et obtenu par la communauté juive algérienne, soutenu par les représentants des juifs de France.

« Les Israélites indigènes des départements de l'Algérie sont déclarés citoyens français. »

Signé : Adolf Crémieux, Léon Gambetta, Alexandre Glais-Bizoin, Léon Martin Fourichon.

Tours, le 24 octobre 1870.

Ce jour-là, les juifs d'Algérie (hormis les choix individuels) prirent une lourde responsabilité en rompant le lien qui les unissait à leurs compatriotes algériens et, de ce fait, ont perdu toute légitimité dans ce qui n'était virtuellement plus leur pays. Mais cela n'apparaîtra à l'évidence que bien plus tard.

1948. La seconde étape, à la faveur de la « naissance d'Israël », c'est la présence de toute la communauté juive dans les pays arabes et musulmans qui fut remise en cause. Personne ne les a chassés. Ils sont partis rejoindre leur nouvelle patrie. Oubliée le destin sémite commun partagé en Andalousie avant et après janvier 1492. Des siècles d'intimité évaporés.

Il est tellement plus facile de réécrire et de rejouer l'histoire sur l'air de « ahl eddimma », subordination et confinement. L'anachronisme, royaume des amnésiques.

Pourtant, le 1er octobre 1956, le FLN leur adressa un appel, rappelant les conditions qu'ils ont subies tout au long de l'histoire occidentale et tout récemment sous le Régime de Vichy, considérant « les Israélites algériens comme les fils de notre patrie qu'il espère que les dirigeants de la communauté juive auront la sagesse de contribuer à l'édification d'une Algérie libre et véritablement fraternelle. »

A l'exception de quelques groupes anticolonialistes politisés, très minoritaires, cet appel n'eut aucun écho.

1956 marque la naissance d'un pacte militaire, stratégique entre Israël, la grande Bretagne et la France avec l'attaque simultanée de Suez qui servait plusieurs causes : Il fallait tout à la fois récupérer le Canal, étendre le « lebensraum » israélien et couper les liens de soutien qu'apportait les Non-alignés (Bandung, 1955) et le monde arabe (via l'Egypte) à la lutte de libération nationale.

L'échec de l'opération franco-israélo-britannique annonçait le début de la fin de la IVème République et de la présence française en Algérie. Il avait selon Bigeard, dans un lexique très actuel, encouragé le FLN à multiplier ses actions « terroristes ».

La confusion des destins de l'Algérie et de la Palestine s'est imposée non par un choix délibéré des deux peuples, mais par l'adversité et la résolution des monstres expansionnistes qui en voulaient à leur liberté. C'est Israël et les vieux Empires coloniaux qui l'ont voulu et ainsi obtenu. « Ici, nous sommes comme en Algérie. (…) nous n'avons nullement l'intention de partir.»9 C'est à cette hauteur qu'Ariel Sharon plaçait le débat : une revanche sur l'histoire en quelque sorte. Un clin d'œil complice aux nostalgiques de « l'Algérie française ».

Alger le 15 novembre 1988. C'est tout naturellement et logiquement dans la capitale algérienne que fut proclamé officiellement et symboliquement l'Etat palestinien.

L'Algérie continue de soutenir la résistance à Ghaza, refuse de tenir Hamas et Hezbollah pour des « organisations terroristes » et de participer à la coalition qui guerroie au Yémen.

Peu d'Algériens savent que la communauté algérienne expatriée (une « diaspora » comme aiment à répéter ceux qui ont besoin de béquilles pour penser) est constituée de nombreuses algériennes qui ont suivi leurs conjoints à Ghaza ou en Cisjordanie. Mais aussi dans d'autres pays de la région.

Témoignages au cœur de l'Intifadha en 2002.

Djelaïli Rekia, âgée de trente et un an, mère de trois enfants, originaire de la ville d'El Bayadh, «Je suis à Ghaza depuis six ans, j'ai dû changer de domicile pendant l'Intifadha, car la région où j'habitais (Deir El Balah, sud de la bande de Ghaza) a été la cible de plusieurs incursions israéliennes, par peur pour mes enfants. A deux reprises, je me suis sentie très en danger car les blindés israéliens n'étaient qu'à quelques mètres de nous. Nous sommes intégrées dans cette société et nous résistons comme nous pouvons. »

Saâdoun Zoubida, trente-deux ans, médecin originaire de Collo, nous dira : «La vie est beaucoup plus compliquée qu'avant l'Intifadha mais je ne me suis jamais sentie étrangère à ce qui se passait. Je sens que c'est l'Algérie qui est victime de ces agressions car pour moi, il n'y a aucune différence entre l'Algérie et la Palestine. J'ai été très marquée par la volonté du sacrifice chez le peuple palestinien qui «fête» ses martyrs. J'avais peur pendant les bombardements par les avions de combat F16, mais la peur est un sentiment humain. (El watan, S. 19 01 2002)

Un échantillon des femmes algériennes qui vivaient résistaient en Palestine.

Topologie symplectique.

Le Proche-Orient est dans l'état qu'on sait : paysages de ruines et de morts.

Ce n'est pas fini : demain l'enfer y ouvrira peut-être d'autres succursales. La cause est simple : l'axe Hezbollah-Damas-Téhéran doit absolument être démantelé pour qu'un autre axe dont Moscou occupe le foyer, le soit à son tour et proclamer ainsi définitivement la « Fin de l'histoire ».

La Palestine occupe une place centrale et essentielle de ce vaste champ de bataille. Comme on a pu le voir, elle ne l'a jamais quitté depuis au moins 70 ans.

Le Proche Orient de l'antiquité à nos jours, connaît ces conflits incessants, abominablement mortifères, pour des raisons accessibles à une intelligence élémentaire qui prendrait la peine de regarder attentivement une carte de géographie.

1.- Là, trois continents (l'Asie, l'Afrique et l'Europe) se rejoignent et connaissent des échanges, depuis la fin de la Mésopotamie paléolithique à ce jour, d'une importance géostratégiques, géoéconomiques majeures pour les nations ayant un centre d'intérêt sur ces trois continents.

2.- Une multitude de mers et d'océans bordent chacun de ces trois ensembles, parcourus de routes maritimes essentielles à l'économie mondiales qui font pièce aux routes terrestres filant dans les quatre directions de la rose des vents. Exemple : 30% du commerce pétrolier mondial passent par le détroit d'Ormuz.

3.- La « malédiction hollandaise ».

Les rhéteurs ont beaucoup ergoté sur les richesses dérivées de l'exportation des matières premières et de la part qu'elles occupent dans les PIB des pays monoproducteurs. Ce n'est un malheur que pour ces économies aliénées c'est-à-dire celles dont la production n'a de valeur que pour les nations qui les importent en grande quantité et qui représentent l'essentiel des recettes d'exportation. La notion de marché intérieur n'est pas seulement économique ou comptable. L'économie génère une valeur ajoutée. Elle produit aussi du sens.

Israël n'aurait probablement pas constitué le moindre objet de controverses, n'aurait peut-être pas été créé là (d'autres hypothèses avaient couru bien avant la Déclaration de Balfour dont on commémore le centenaire), si ce contexte n'avait existé.

Le fait est là. Il faut faire avec.

Post-scriptum.

La lettre ci-dessous, récemment découverte par hasard dans mes archives, a été rédigée la veille de l'annonce publique du décès de Yasser Arafat.

Elle fut adressée quelques jours plus tard au directeur du Quotidien d'Oran, pour mémoire. La retenue s'imposait alors. Aussi, je n'ai pas demandé qu'elle fût publiée. Abdou Benabbou, avec lequel j'entretenais un échange régulier, y était disposé mais a respecté ce choix et n'en a jamais plus fait état. Le mot fut oublié.

Je le joins ci-après in extenso.

Cher monsieur,

Je prends la liberté de vous confier une information dont je ne sais l'usage. L'émotion liée aux événements et à ce qu'ils représentaient alors expliquerait cette attitude. La discrétion invite au silence. Vous en conviendrez, j'en suis sûr. Il est des égards auxquels nous ne pouvons nous soustraire.

Qu'ajouterai-je de plus ? Sinon que, dans les faits rapportés ci-dessous, je reconnaissais - comme de nombreux Algériens - ma patrie dans celle de la Palestine.

Le mercredi 10 novembre en début d'après midi, alors que l'état de santé de Arafat faisait l'objet d'informations contradictoires, je reçus un coup de téléphone en urgence, d'une vieille amie palestinienne (de confession chrétienne) qui réside et travaille à Strasbourg, mais qui rentre régulièrement justement à Ramallah où vit encore sa famille et où il lui arrive de rencontrer Yasser Arafat qu'elle connut à Alger au début des années 1970 et qui est, comme chacun ne sait pas, un homme très proche des siens.

Elle m'informa que de « source sûre et autorisée » à Paris (probablement les représentants de l'Autorité Palestinienne) que la mort du chef palestinien désormais avérée allait être rendue publique dans les heures à venir.

Il lui fallait rapidement trouver une salle pour y organiser et héberger décemment un registre de condoléances, et en faire l'annonce dans le quotidien local le plus rapidement possible. De plus, elle attendait un journaliste d'une minute à l'autre et qu'elle devait aussitôt que possible disposer des informations qu'elle requerrait de moi. Elle pensait naturellement à une salle dans l'enceinte universitaire.

Les autorités de la mairie de Strasbourg qu'elle avait sollicitées s'étaient contentées de se défausser en la dirigeant vers la maison des associations ou vers les « maisons de quartiers », de préférence dans les faubourgs périphériques, bien loin du centre cossu et bourgeois. Cela, sans recommandation ni garantie.

Avec affliction, je lui indiquais que je ne pouvais user de mes prérogatives d'universitaire pour organiser la solennité d'une telle cérémonie. Comment pourrai-je, moi citoyen étranger (ce qu'il ne fallait pas oublier, précisément en la circonstance), réquisitionner un espace public pour y ordonner une cérémonie destinée à honorer la mémoire d'un chef d'Etat étranger (qui n'est pas a fortiori le mien), dans une ville et un pays qui n'étaient pas les miens.

Il restait, l'assurai-je après réflexions, une solution possible qui aurait plus d'allure et de dignité. Mais je ne pouvais alors lui en dire davantage. La réponse ne m'appartenait pas. Je me proposais de la rappeler.

Je pris aussitôt contact avec le Consul Général d'Algérie, Monsieur Lahcène Kaïd-Slimane10, que j'ai pu joindre sur sa ligne directe. Sa réaction ne fut pas celle d'un diplomate, mais celle d'un citoyen algérien, d'un citoyen arabe ordinaire.

Honorable, digne et sans fioritures.

Je lui proposais rien de moins que d'offrir le territoire consulaire algérien pour héberger un territoire palestinien afin que la cérémonie qui m'était demandée puisse s'y dérouler.

Je connaissais cet homme. L'expérience que j'en avais était limitée à des civilités avenantes mais formelles. Je dois avouer que c'était avec beaucoup d'émotion que j'ai écouté sa réponse : « Je prends sur moi, de vous répondre ‘oui', avant même de consulter Alger qui, j'en suis convaincu, acquiescera ce geste de solidarité à l'égard du peuple palestinien, car il occupe une place de choix dans le cœur des Algériens ». « L'Algérie a toujours été aux côtés de la Palestine. »

Je respectais ce Consul Général.

En cet instant, plus encore que la fonction, c'est l'homme qui forçait le respect.

Je pouvais donc informer les Palestiniens de Strasbourg (et d'ailleurs) leur confirmant que l'Algérie était aussi leur patrie.

Evidemment, cet espace pouvait être géré à leur convenance, sans aucune interférence de la part des fonctionnaires consulaires (dont certains devaient être mis à leur disposition, je l'ai appris plus tard). Ceci, à la fois pour que les Palestiniens demeurent maîtres de leur cérémonie et aussi pour éviter toute inimitié ombrageuse ou susceptibilité de la part de qui que ce soit d'autre… (En ces domaines, cela ne manque pas).

L'Algérie – l'on devait s'assurer que cela soit bien compris par tous - n'est engagée dans aucune tentative de « récupération » inconvenante de l'événement. Comment pouvait-elle l'être à l'échelle d'une circonscription consulaire ?

Un Palestinien –que je ne connais pas- prit contact avec le Consul Général en mentionnant mon nom pour les besoins de la médiation et les derniers détails furent rapidement réglés.

Tard dans la nuit de mercredi à jeudi, l'annonce du décès d'Arafat fut faite.

Tout était prêt à Strasbourg.

Le lendemain un communiqué parut dans Les Dernières Nouvelles d'Alsace, le quotidien local, informant tous ceux qui le désirent du lieu où ils pouvaient se rendre pour remplir le registre de condoléances.

N'était notée qu'une adresse. En tout petit, référence était faite au Consulat d'Algérie.

Ni sur l'annonce, ni sur le moindre article, nulle part ne figurait le nom du Consul d'Algérie et encore moins celui de l'auteur de ces lignes. Il n'y avait en effet aucune raison à cela.

L'Algérie à Strasbourg, capitale européenne, pendant quelques jours s'appela « Palestine ».

Notre discrétion est notre honneur. Cet événement est mineur en soi. Mais seul l'ingénu ne distingue pas que la fierté d'une nation n'est pas toujours spectacle majusculaire et grandiloquence.

S'il est vrai que je ne puis prétendre à la propriété d'un événement notoirement public, je vous prie de bien noter que l'intimité de ces lignes n'est pas destinée à être publiée, pour des raisons évidentes. Il y a des relations qui ne peuvent l'être sous peine d'y ruiner leur crédit.

Viendront d'autres occasions où le geste de ce Consul Général qui s'est dignement acquitté de son devoir, pourra être signalé comme il convient.

Pas aujourd'hui. Laissons nos frères Palestiniens paisiblement en leur deuil.

Je tenais juste à prendre date et à en témoigner auprès de vous.

In memoriam.

Strasbourg, samedi 13 novembre 2004.

NB : Inutile de préciser que ce mot est de ma seule initiative. M. L. Kaïd-Slimane n'en a eu jusqu'à ce jour, aucune connaissance. Cela tombait sous le sens. Des événements ci-dessus, en 13 ans, aucune mention n'en a jamais été faite.

Cette lettre a été transmise à M. L. Kaïd-Slimane, alors Consul Général à la fois pour qu'il en découvre le contenu et pour qu'il autorise sa publication. C'était la première fois qu'il parcourait ces lignes. Il donna son accord, moyennant quelques rectifications de forme.

Notes

1- Il est intéressant de noter que le communiqué d'Associated Press annonçant la mort d'Arafat le jeudi 11 novembre, date de 5h54 du matin informant du contenu du communiqué présidentiel, avant que celui-ci n'ait été rendu public par le service de presse de l'Elysée. Qui en a informé l'agence américaine ?

2- Parmi de nombreuses rumeurs : « L'ancien président français J. Chirac connaît la vraie cause de la mort de Yasser Arafat et il devrait rendre publique cette information », prétend samedi à Ramallah Bassam Abou Sharif, un ancien collaborateur de M. Arafat, répétant qu'il croyait que son chef avait été empoisonné par Israël. (Associated Press, S. 04/08/2007, 18h06)

3- Voir le documentaire, de L. Delahousse réalisé par S. Khalfon : « Jacques Chirac, jour de colère à Jérusalem. » (Emission : Un jour une heure, France2, 2007).

4- La dernière visite de M. de Villepin avait suivi de quelques jours la décision des autorités israéliennes de boycotter chaque visiteur de M. Arafat. Le ministre avait été « épargné » parce que son déplacement avait été envisagé avant que cette position intransigeante ait été arrêtée. N'est-ce pas à cela que servent les contorsions diplomatiques ?

5- En visite en Israël en janvier 2002, B. Clinton a ostensiblement ignoré Arafat embastillé à la Mouqata'a (ainsi fixé depuis les Accord d'Oslo en 1993). Hillary Clinton, bardée de contrevérités, de passage en février enfonce le clou et met sur le dos du chef palestinien la responsabilité de l'échec des discutions de Camp David : « [Il] a échoué comme leader et son incapacité ou sa réticence à maîtriser les forces de la violence et du terrorisme manifeste qu'il n'est pas prêt ou ne désire pas être un leader. » (Ha'aretz, D. 24 février 2002). C'est facile de tirer sur une cible, pieds et poings liés depuis deux ans, totalement privée des moyens de répliquer.

6- Entretien. L'Express du 27/12/2001. Lire, P. Péan (1982, 1991) : Les deux bombes, ou comment la guerre du Golfe a commencé le 18 novembre 1975. Arthème Fayard, Paris, 199p.

7- Lire : Roger Garaudy (1996) : Les mythes fondateurs de la politique israélienne. Samizdat. R. G. 277p.

Shlomo Sand (trad. 2008) : Comment le peuple juif fut inventé. De la Bible au sionisme. Fayard. 446p.

Shlomo Sand (trad. 2012) : Comment la Terre d'Israël fut inventée. De la Terre sainte à la mère patrie. Flammarion, 366p.

Shlomo Sand (trad. 2013) : Comment j'ai cessé d'être juif. Un regard israélien. Flammarion, 139p.

8- Le 29 mai 1453, après cinquante-quatre jours de siège, le sultan ottoman Mehmet II al-Fâtih (« le Conquérant ») s'empare de la « Grande Ville », Constantinople. Avec Constantin XI Paléologue, le dernier basileus, disparaît l'Empire byzantin. Cf. le discours de Ratisbonne de Benoît XVI, 12 septembre 2006 faisait référence, un biais dans son discours, au dialogue que l'empereur byzantin Manuel II Paléologue entretint en 1391 durant son séjour d'hiver à Ankara avec un Persan lettré sur le Christianisme et l'Islam. Une controverse sur la violence que le pape devisait sur la violence et l'islam. Son propos visait d'abord les liens fondamentaux entre la philosophie grecque, le christianisme et la raison. Incidemment et imprudemment, il avançait que selon lui, la conception « transcendantale absolue », iconoclaste du Dieu musulman le privait du « logos », verbe, foi et raison, aux sources des Lumières et de la science. La post-rationalisation de l'histoire de l'Europe chrétienne n'aurait pas dû le dispenser d'un regard plus lucide sur les tératologies du continent qui hébergent la Maison de Pierre.

9- L'Express du 27/12/2001

10- Par la suite, ancien Ambassadeur en Namibie. 

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