APS - ALGÉRIE

mardi 26 septembre 2017

L’évaluation des politiques publiques

Par Ammar Belhimer
ammarbelhimer@hotmail.fr

Le gouvernement a annoncé jeudi dernier la création, par ordonnance, d’une instance indépendante qui sera chargée du suivi de l’application du programme du Gouvernement.
«Lors du dernier Conseil des ministres, le Président Bouteflika avait insisté sur l’application des réformes, notamment la révision de la loi sur la monnaie et le crédit, cette instance indépendante lui présentera un rapport tous les trois mois», a précisé M. Ouyahia lors de sa rencontre avec les membres de l’Assemblée nationale.
Est-ce à dire que l’Etat s’éveille enfin à l’intérêt qu’il peut tirer de la mise en place des mécanismes d’évaluation des politiques publiques ?
La question est, partout, d’une actualité brûlante.
Fabrice Lenglart et Daniel Agacinski de France Stratégie viennent de publier une précieuse contribution sur la question de savoir comment l’évaluation des politiques publiques contribue à la vie démocratique(*).
Au-delà de son volet politique – asseoir les fondements démocratiques d’un régime – l’évaluation est d’une utilité partagée par tous les régimes parce qu’il leur est nécessaire de disposer d’informations fiables sur l’efficacité de leurs agents et de leurs administrations ou organismes. La question est d’autant plus pertinente que, depuis les années 1990 et l’amorce de la déferlante néolibérale, il est devenu très à la mode de se défaire des organes de planification mis en place auparavant.
Pour France Stratégie, qui compte l’évaluation parmi ses missions, la question qui nous est posée est celle de «savoir à quelles conditions les évaluations de politiques publiques rendent un service à la vie démocratique et enrichissent les débats qui la traversent».
Michel Rocard, dirigeant socialiste français, est l’un des précurseurs du débat sur la question. Lorsqu’il était Premier ministre en 1989 il commanda un rapport sur les bienfaits démocratiques de l’évaluation des politiques publiques au moyen de critères qui «demeurent d’actualité : garantie d’indépendance, garantie de compétence et de rigueur, garantie de transparence, garantie de pluralisme et droit de saisine citoyenne».
Il voyait dans ces critères une parade contre les risques technocratique (émanant des détenteurs d’un certain savoir spécialisé) et oligarchique (représenté par les porteurs d’intérêts particuliers), tous deux suspectés de «manipuler l’opinion et préempter des choix politiques».
«Juger la “valeur” d’une politique – ce que désigne le mot “évaluation” –, dire “ce qu’elle vaut” et si elle mérite d’être engagée, poursuivie, amplifiée ou suspendue, c’est en effet en démocratie une prérogative qu’il revient au peuple d’exercer, directement ou par l’entremise de ses représentants élus», écrit France Stratégie.
Pour que l’exercice profite à la grande masse des citoyens, au-delà des instances exécutives, deux conditions sont mises en avant :
- que les résultats soient mis à disposition des citoyens et de leurs représentants «sous une forme et selon des modalités qui leur permettent de se les approprier activement» ;
- que les évaluateurs «ne préemptent pas les choix politiques mais qu’ils apportent au citoyen-décideur et à ceux qui le représentent une pluralité d’informations leur permettant d’adopter (grâce à l’évaluation ex-ante) et de juger (grâce à l’évaluation ex-post) une politique en connaissance de cause».
Toutefois, il s’agit ici de sortir du quasi-monopole gouvernemental en matière d’informations exploitables et de «nourrir la démocratie sans l’étouffer». Feu Mohamed Séghir Babès s’est épuisé à remplir cette mission d’intermédiaire entre les producteurs d’évaluation et ceux qui en font usage dans la sphère politique à la tête du Conseil national économique et social en construisant une sorte d’«interface entre différents acteurs de l’évaluation et de son appropriation démocratique – notamment le Gouvernement, les administrations, les équipes de recherche spécialisées, le législateur, les partenaires sociaux, la société civile organisée et les médias».
Faire un état des lieux des politiques publiques ne consiste pas à stigmatiser les décideurs mais à leur donner les moyens de s’auto-voir agir, leur faire mettre le doigt là où ça fait mal, se défendait Mohamed Séghir Babès. La prise de conscience, le déclic qu’il cherchait à provoquer se voulaient consensuels et durables, ils transcendaient les partis et les conjonctures, et ambitionnent de tracer le meilleur chemin pour une croissance soutenue à travers une démarche «cohérente, articulaire, synaptique, intra et inter piliers».
C’est dans l’évaluation ex ante – destinée à éclairer le débat sur les avantages comparatifs de différentes options disponibles pour estimer les effets de toute mesure projetée — qu’on apprécie le mieux les capacités d’anticipation d’une équipe gouvernante. Or, force est de déplorer l’absence mortelle d’impact annexée aux projets de lois initiées dans un contexte déplorable d’insécurité juridique, avec pour manifestations principales l’instabilité, l’opacité et l’imprévisibilité de la norme de droit.
Si l’on se réfère à l’expérience française du Comité de suivi du CICE, qui compte à présent quatre années d’existence d’une évaluation qui se veut «à la fois scientifique et concertée», trois objectifs sont cruciaux : «(i) rendre compte, au fil du temps, de la réalité du déploiement concret d’un dispositif ; (ii) concevoir les questions évaluatives et créer, par des appels à projet de recherche, les conditions d’une évaluation plurielle, indépendante et rigoureuse des effets du CICE ; (iii) interpréter, de façon consensuelle, les résultats de ces travaux pour établir un diagnostic partagé».
In fine, le défi consiste à «bâtir les systèmes institutionnels qui permettront de marier l’exigence démocratique et la rigueur des travaux d’évaluation» ; à l’instar du Congrès américain, avec la division évaluation du General Accounting Office (GAO). Il restera enfin à «lier institutionnellement les instances chargées d’organiser les évaluations avec celles qui sont responsables des concertations sociales et citoyennes, afin que de ces concertations émergent les grandes questions que les évaluations de politiques aideront à élucider».
A. B. IN LSA

(*) Comment l’évaluation des politiques publiques contribue-t-elle à la vie démocratique, Contribution de France Stratégie à l’université d’été du Cnesco, 28 août 2017
http://www.strategie.gouv.fr/point-de-vue/levaluation-politiques-publiques-contribue-t-vie-democratique

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