APS - ALGÉRIE

mercredi 15 novembre 2017

Les médias traditionnels se méfient de Facebook et Google mais sont contraints de travailler avec eux

Les nouvelles concessions accordées par les deux grands n’y changeront probablement rien
Google, Facebook et les médias traditionnels, des relations compliquées
The Economist
Ces derniers mois, Google et Facebook ont procédé à quelques changements qui ont pu échapper à l’attention de leurs milliards d’utilisateurs, mais pas à celle des médias. Facebook affiche maintenant le logo des publications dans certains des posts publiés sur sa plateforme, pour que les lecteurs puissent identifier la source de l’article. Et Google, pour la première fois, a accordé aux éditeurs de contenus la possibilité de contrôler le nombre de visites gratuites de leurs sites accordées aux lecteurs qui arrivent par le moteur de recherche. Ces deux modifications vont leur permettre de vendre plus d’abonnements.

Pour les détracteurs des deux géants, c’est un peu l’histoire du loup qui propose d’aider les moutons tout en dévorant le troupeau. Le modèle économique de Facebook, Alphabet-Google et YouTube, est d’accaparer le temps et l’attention des utilisateurs avec leurs services et contenus gratuits, et de vendre des publicités contre des promesses de “coups d’œil”. Pour eux, le journalisme de qualité n’est qu’un appât de plus.
“Facebook affiche maintenant le logo des publications dans certains des posts publiés sur sa plateforme, pour que les lecteurs puissent identifier la source de l’article. Et Google, pour la première fois, a accordé aux éditeurs de contenus la possibilité de contrôler le nombre de visites gratuites de leurs sites accordées aux lecteurs qui arrivent par le moteur de recherche”
Facebook assure que sa “News Feed”, ou flux d’actualités, est son produit-phare. Pourtant, ces dernières années, le réseau social a modifié l’ordre de présentation des actualités, en privilégiant celles des amis et de la famille à celles des médias. Pour les médias qui participent au programme “Instant articles” de Facebook, où leurs articles sont chargés plus rapidement, les revenus publicitaires sont au mieux minimes. Ou encore inexistants pour les vidéos qu’ils produisent spécialement.
Les sites d’information ont néanmoins compris qu’ils n’avaient pas d’autre choix que devoir travailler avec les deux géants. Leurs lecteurs sont sur Facebook, avec ses deux milliards d’utilisateurs, et sur Google, qui génère chaque mois dix milliards de clics pour les sites des médias.
Il n’y a donc pas d’ambiguïtés sur qui détient le pouvoir. Et il ne devrait pas changer de camp même si les médias écrits se battent un petit peu. Aux USA, un consortium de 2000 titres de presse, la News Media Alliance, a demandé au Congrès de valider une exception aux lois anti-trust, pour permettre aux médias de négocier de façon collective avec les deux groupes. David Chavern, le président de ce consortium, a listé certaines requêtes : une part plus élevée des revenus publicitaires, le partage des données d’audience sur la plateforme, un soutien à leurs campagnes d’abonnements et un meilleur “branding” pour les médias, puisque l’identification de leur logo reste très limitée (les gens disent simplement “J’ai lu ça sur Facebook”, affirme M. Chavern).
Si les deux géants font des concessions sur quelques points, c’est parce qu’ils sentent que le vent politique est en train de tourner contre eux, en Amérique et en Europe. Ou peut-être parce qu’ils partagent sincèrement les inquiétudes de l’écosystème médiatique. Depuis peu, le Google News Lab, fondé en 2015, contribue au financement du programme “Report for America”. Il placera dans un premier temps dix-huit journalistes dans les rédactions de journaux locaux dans de petites villes américaines, et le contingent devrait augmenter dans les années à venir. Facebook a de son côté lancé un “Journalism Project” en janvier dernier pour participer au développement de “produits d’information” en collaboration avec des quotidiens.
Selon des dirigeants de journaux, les relations avec Google semblent plus sincères qu’avec Facebook. Mais la décision des deux groupes de passer à une politique de “click through”, ou clic direct, est importante. Auparavant, Google avait pour politique d’accorder le “first click free” (premier clic gratuit) aux utilisateurs qui effectuaient leur première visite sur le site d’un journal. Mais les utilisateurs bénéficiaient en fait de trois clics gratuits par jour sur le site. Quand les journaux ont commencé à mettre en place des paywalls, des murs payants, ils ont fait pression sur Google pour limiter l’accès gratuit. Google a une préférence pour un web entièrement gratuit et ouvert – le plus favorable à son moteur de recherche et aux ventes de publicité – mais il a fini par céder.
“Nous sommes heureux que nos échanges aient dépassé le cap de cette position idéologique selon laquelle tous les contenus devraient être gratuits” dit un dirigeant du Wall Street Journal, site dont l’accès est payant. Cette année, le WSJ a bloqué les lecteurs qui profitaient du “first click free” et a enregistré une chute de 50 % de son trafic venu de Google. Mais il a aussi constaté que les consultations qui se convertissant en abonnements payants après s’être heurtées au mur payant sur son site avaient quadruplé. Pour le WSJ, ces deux données confirment le pouvoir immense des plateformes sur les producteurs de contenus.
“Le WSJ a bloqué les lecteurs qui profitaient du “first click free” et a enregistré une chute de 50 % de son trafic venu de Google. Mais il a aussi constaté que les consultations qui se convertissant en abonnements payants après s’être heurtées au mur payant sur son site avaient quadruplé”
Pour ce qui concerne Facebook, aujourd’hui, les utilisateurs peuvent lire gratuitement tous les articles présentés dans la rubrique “Instant articles”. Facebook a signé un accord avec dix titres (dont The Economist) pour une période d’essai. Les utilisateurs qui les consultent depuis son application pour smartphones ont droit à jusqu’à dix articles gratuits par mois avant d’être redirigé vers le site et le mur payant du journal. À ces conditions, les lecteurs qui ne seront jamais confrontés au mur payant sont nombreux.
Les relations entre équipes dirigeantes et Facebook/Google sont meilleures dans les médias plus tournés vers la vente de publicités et moins vers la conversion en abonnements payants. “Nous les voyons comme des amis” dit Paul Zwillenberg, CEO du ‘Daily Mail’ en Grande-Bretagne. La version numérique du quotidien, ‘Mail Online’ a doublé son trafic quotidien grâce aux vidéos réalisées spécialement pour Facebook et YouTube. Ce qui ne signifie pas qu’il néglige le trafic direct sur Internet. C’est là que le Mail Online peut vendre des publicités sans partager les revenus avec Facebook ou Google. Environ 35 % du trafic du Mail Online en Amérique arrive directement sur la page d’accueil du site, la “porte d’entrée”, comme l’appelle SimilarWeb, un cabinet d’analyses. C’est un taux légèrement supérieur à celui des pages d’accueil des plus grands journaux américains.
Mais vendre de l’espace publicitaire en ligne sur leurs propres sites est difficile pour la plupart des groupes de médias. D’abord en raison de la concurrence du “duopole” : Facebook et Alphabet-Google rafleront la majorité de tous les revenus publicitaires dans le monde cette année. Selon certaines estimations, ils se sont accaparés dernièrement de 80 à 90 % de la croissance de ces mêmes revenus publicitaires. Leurs données sur les activités en ligne des utilisateurs leur offrent un énorme avantage pour le micro-ciblage publicitaire des utilisateurs.
“Facebook et Google sont une menace quoi que fassent les médias”
Facebook et Google sont une menace quoi que fassent les médias. Leurs dernières concessions, même si elles sont très bien reçues par la presse, ne devraient pas modifier la trajectoire de leurs relations.

© 2017 The Economist Newspaper Limited. All rights reserved. Source The Economist, traduction Le nouvel Economiste, publié sous licence. L’article en version originale : www.economist.com.

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