APS - ALGÉRIE

lundi 2 octobre 2017

Le besoin de fatwas augmente aussi

Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com

Ils sont 104 millions d'Égyptiens à vivre sur cette étroite bande de terre qui s'étire de part et d'autre du fleuve sacré, justifiant plus que jamais l'appellation historique de «l'Egypte, don du Nil». Le dernier recensement démographique réalisé en Égypte, et rendu public samedi dernier, confirme sans grande surprise que la population du pays a doublé durant ces trente dernières années. Les chiffres avancés, et notamment le pourcentage de la population jeune (15 à 39 ans) qui avoisine les 70%, ne sont pas surprenants, mais certaines données sont préoccupantes. Ce qui explique sans doute la présence du chef de l'État, Abdelfattah Sissi, lui-même, seul habilité à commenter de tels résultats, faute de marge d'expression suffisante laissée au gouvernement. En maître de cérémonie, le Président Sissi a salué selon la tradition la performance exceptionnelle de l'institution et des personnels chargés du dernier recensement. Mais, il s'est surtout appesanti sur l'une des données les plus inquiétantes, et il y en a, de ce recensement 2017, à savoir le mariage précoce des enfants, des fillettes de douze ans, et moins. Le Président égyptien a affirmé notamment que la société égyptienne était «particulièrement dure avec ses enfants», en imposant notamment aux filles de douze ans les servitudes du mariage.
Sans se référer au poids des traditions, et de la religion, mais sans donner de chiffres précis, Abdelfattah Sissi a souligné que le mariage précoce a connu une nette recrudescence ces dernières années. Il a ainsi appelé tous les Égyptiens à lutter contre une pratique qui tend à priver des enfants de l'école, et de l'éducation, à un âge où ils devraient être l'unique préoccupation des parents. Théoriquement, le mariage est interdit en Égypte pour les mineurs de moins de 18 ans, mais la coutume, et les passe-droits religieux l'emportent le plus souvent sur les lois de l'État. L'année dernière, à la même période, une famille égyptienne avait mis en émoi les médias, et les réseaux sociaux, en publiant des photos de fiançailles d'un garçon de 12 ans avec sa cousine de 11 ans. Le père avait expliqué qu'il s'agissait juste d'une précaution pour empêcher qu'un autre prétendant se présente, et que le mariage aurait lieu dès que ces enfants auraient atteint l'âge légal. Une argumentation qui n'a pas convaincu les défenseurs des droits des enfants, mais qui sert surtout de paravent aux milliers de vrais mariages précoces en Égypte. Il y a là de sérieuses raisons de s'alarmer pour le Président Sissi qui ne cesse d'appeler à la réforme du discours religieux, tout en restant passif devant la montée en puissance de l'intégrisme.
C'est dans ce climat de ferveur religieuse, pour ne pas dire de fièvre épidémique, que ressortent des fatwas, et des textes enfouis et presque oubliés, qui donnent de la consistance au «syndrome de Cologne». D'où la réaction désabusée de notre consœur, Sehr Aljaara, du quotidien cairote Al-Misri-alyoum, qui doute de la volonté de réformer le discours religieux. Pour elle, il semble bien que ce soit une «idée absurde», caressée par des intellectuels soucieux de revenir aux vraies valeurs de l'Islam, celles du juste milieu. Dans la réalité, c'est comme si l'Égypte avait subi «un séisme wahhabite» qui a coupé le pays en deux, affirme-t-elle. D'un côté, il y a des théologiens, et des «salafistes», qui s'emploient à propager le virus d'une «théologie de lieux d'aisance», et à faire de la femme juste un objet, utilisé pour le plaisir de l'homme, ou contre ses ennemis. De l'autre, nous avons une élite qui a encore toute sa raison, qui refuse de «réfléchir» au-dessous de la ceinture, et considère que les droits de la femme sont l'épine dorsale des droits humains. Pour illustrer l'assujettissement de l'Égypte aux idées wahhabites, la chroniqueuse cite quelques exemples significatifs : lorsque le prédicateur saoudien, Abdelaziz Ibn-Albaz, a sorti sa célèbre fatwa sur «l'allaitement de l'adulte», nous avons eu la surprise de voir un Égyptien lui emboîter le pas. C'est ainsi que le Dr Izzet Attia, responsable du service des hadiths à Al-Azhar, a autorisé la femme à donner le sein à son collègue de travail, de façon à éviter la «promiscuité interdite». Puis, c'est au tour d'Abou Ishaq Alhawini, l'Égyptien, de délivrer sa fatwa affirmant que l'esclavage était à même de venir à bout de la crise économique qui frappait l'Égypte au lendemain de la révolution du 25 janvier. Il a été ensuite imité par la «douktoura» Souad Salah, professeur de théologie comparée à Al-Azhar, qui a aussi repris à son compte la fatwa originelle du Saoudien Salah Alfawazène(1). Et nous en sommes encore à nous demander pourquoi «Daesh» vend des femmes comme esclaves, et pourquoi «Al-Azahr» refuse de l'excommunier ?», souligne Sehr Aljaara. Revenant sur la controverse suscitée par Sabri Abd-Alraouf(2), lui aussi professeur de théologie comparée à «Al-Azhar», la journaliste cite encore sa dernière trouvaille : autoriser un couple à filmer ses ébats amoureux, mais uniquement pour son propre plaisir. Et de poser la question qui fâche : et si le couple en question venait à divorcer par la suite ? Rappelant l'esclandre provoqué par la fatwa récente sur le «dernière étreinte», notre consœur affirme que le courant «salafiste» avait déjà déposé un projet de loi, dans le même sens devant le Parlement. Cela s'est passé en 2012, et le projet de loi, appelé «Coït de l'adieu», autorisait le mari, ou l'épouse, à avoir des rapports avec son conjoint défunt, dans les six heures suivant son décès. Le Parlement, alors dominé par les «Frères musulmans» n'a pas donné suite au projet, ce qui aurait fait le délice des chancelleries occidentales, et des réseaux sociaux.
A. H. IN LSA

1) Salah Alfawazène, le théologien saoudien a justifié en 2014 la détention, l'esclavage, et le commerce des femmes de la communauté yézidie, en déclarant que la pratique était licite en Islam.
2) Le cheikh d'Al-Azhar semble s'être assigné pour tâche essentielle de répondre aux obsessions de ses semblables mâles en leur délivrant des fatwas d'alcôves, voire des fatwas pornographiques, comme les ont qualifiées certains journaux égyptiens.

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