APS - ALGÉRIE

lundi 21 août 2017

Déclin de l’occidentalo-centrisme : chaos global ou avènement de nouvelles civilisations ?

Par le Pr émérite Chems Eddine ChitourEcole polytechnique d’Alger

«Le but de la civilisation, c’est la culture et le luxe. Une fois ce but atteint, la civilisation se gâte et décline, suivant en cela l’exemple des êtres vivants.»
(Ibn Khaldoun)

Mon attention a été attirée par le dernier ouvrage de Régis Debray sur l’américanisation de l’Europe. J’ai voulu savoir pourquoi le déclin des civilisations, seules garantes de la pérennité de l’humanité. En préambule, la Nasa nous informe que le risque de la disparation de la civilisation terrestre au sens large est avérée au vu de la boulimie multiforme actuelle qui épuise la Terre, sans compter naturellement l’exacerbation des conflits dont le plus prenant est le feuilleton de cet effet avec les docteurs Folamour-Trump et Kim Jong-un.
Mais qu’est ce que la civilisation ? Une civilisation est l'ensemble des caractéristiques spécifiques à une société, une région, un peuple, une nation, dans tous les domaines : sociaux, religieux, moraux, politiques, artistiques, intellectuels, scientifiques, techniques... Les composantes de la civilisation sont transmises de génération en génération par l'éducation. Dans cette approche de l'histoire de l'humanité, il n'est pas porté de jugements de valeur : civilisations sumérienne, égyptienne, babylonienne, maya, khmer, grecque, romaine, viking, arabe, occidentale...

Qu’est-ce que l’Occident ?
Il n’est pas aisé de donner une définition définitive selon l’angle d’attaque. L'Occident, ou monde occidental, est un concept géopolitique qui s'appuie généralement sur l'idée d'une civilisation commune, héritière de la civilisation gréco-romaine dont est issue la société occidentale moderne. Au début du XXIe siècle, on admet que l'«Occident» regroupe l'Europe occidentale (l'Union européenne) et le Canada, les États-Unis l'Australie, la Nouvelle-Zélande. Soit 950 millions de personnes ou 1,6 milliard de personnes si l’on inclut l'Amérique latine. Pour le philosophe et écrivain Roger Pol Droit, «l'Occident est à peu près dans l'ordre, une région géographique (l'Europe de l'Ouest), une unité historique (l'Occident chrétien du Moyen Âge), un ensemble économique et politique (puissances européennes, Etats-Unis, Canada) et un monde économique aux très vastes frontières (tous les pays riches, même ceux d'Asie). Il s'agit, en fait, d'une «représentation. Entrent dans sa composition des ingrédients de la Grèce (philosophie, démocratie, théâtre, exigence scientifique) et de la Rome (génie et droit) antiques, un héritage juif (règles morales universelles), repris et répandu par le christianisme, et un esprit moderne (sciences et techniques, économie libérale) qui, sans renier ses racines, cultive le doute et l'esprit critique. Le développement de la critique et de l'analyse, explique Roger-Pol Droit, permet l'accroissement des sciences, et inversement, le progrès scientifique intensifie l'examen rationnel des traditions, des croyances, des mœurs.»(1)

Nous retiendrons au passage «l’oubli» de la part de la civilisation musulmane apportée à la civilisation occidentale. Même appréciation de Paul Valery, la civilisation européenne était un appendice de la civilisation grecque, nulle part de l’acculturation intermédiaire de la civilisation musulmane, projection de l’Europe.
En visite à Varsovie, le 6 juillet 2017, le président américain Donald Trump a réaffirmé son attachement aux «valeurs», il appelle l'Occident à défendre ses traditions. «L'avenir de l'Occident, déclare-t-il, est menacé si ses nations et ses citoyens manquent de détermination. La défense de l'Occident repose en dernier ressort non seulement sur les moyens, mais aussi sur la volonté de ses habitants de l'emporter (…). La question fondamentale de notre époque est celle de savoir si l'Occident a la volonté de survivre. Nous devons travailler ensemble pour nous opposer aux forces, qu'elles viennent de l'intérieur ou de l'extérieur, du Sud ou de l'Est, qui menacent à terme de saper ces valeurs et d'effacer les liens de la culture, de la foi et de la tradition qui font de nous ce que nous sommes.»

Quelles sont ses valeurs et comment s’est bâtie la suprématie occidentale ?
Quelles sont les «valeurs» de l’Occident d’essence chrétienne ? Tout est parti, dit- on, des grandes découvertes. Nous sommes à la fin du XVe siècle, là, le choc islam-chrétienté se solidifie de deux façons : Constantinople qui tombe aux mains de l’Empire ottoman et la Reconquista s’achève par la chute de Grenade en 1492. Les grandes découvertes vers le nouveau monde avec son avatar : le pouvoir colonial : l’histoire du pays colonisé est niée et rasée au profit d’une nouvelle histoire, une nouvelle identité, voire une nouvelle religion. Il est courant d’admettre que pendant que la civilisation musulmane entame son déclin commencé trois siècles plus tôt, l’Occident entamait son envol.
En fait, il serait plus indiqué de remonter dans le temps pour s’apercevoir que l’hégémonie occidentale a débuté après ce qu’on appelle dans la doxa occidentale «les grandes découvertes». Prenant la relève d’un Orient et d’une civilisation islamique sur le déclin, et au nom de la règle des trois C (christianisation-commerce-colonisation), il mit des peuples en esclavage. Il procéda à un dépeçage des territoires au gré de ses humeurs sans tenir compte des équilibres sociologiques que les sociétés subjuguées ont mis des siècles à sédimenter.
L’Occident s’est affirmé après la première révolution industrielle. Pendant cinq siècles, au nom de ses «droits de l’homme», l’Occident dicte la norme, série, punit, récompense, met au ban des territoires qui ne rentre pas dans la norme. Ainsi, par le fer et par le feu, les richesses du Sud épuisés furent spoliées par les pays du Nord. Bien plus tard et après l’implosion de l’empire soviétique, ce fut la fin de l’histoire, selon le mot de Fukuyama avec une pax americana qui paraissait durer mille ans.
Dans le même ordre, parmi les nombreuses falsifications de l’histoire, le récit de l’Empire ânonné par les vassaux qui se persuadent et persuadent leurs peuples européens que la victoire contre Hitler était due principalement aux Etats-Unis. Pourtant, les statistiques des pertes militaires connues indiquent 53% pour l'Armée rouge, 1,4% pour l'armée américaine. 405 000 tués américains, presque tous militaires, 27 millions de morts soviétiques, moitié civils, moitié militaires. Aussi, en Europe, on trouve normal que le 70e anniversaire du département soit fêté avec faste, même M. Poutine y assista. Par contre aucun vassal européen n’est allé à Moscou pour pour assister au défilé du 70e anniversaire de la victoire sur le nazisme.

L'Occident s'est américanisé : les larmoiements des Debray, Zemmour Finkielkraut
Peut-on dire que la «mondialisation» est une «occidentalisation» du monde» ? En devenant communs à presque tous les pays du monde, des objets techniques comme l'ordinateur, l'automobile, la télévision et le téléphone imposent une forme d'organisation rationnelle de l'existence quotidienne. En plus de ce monde technique, écrit Roger Pol Droit, l'occidentalisation entraîne aussi un mode de vie dans lequel sont promues des valeurs comme les libertés individuelles, l'égalité des sexes, la séparation du politique et du religieux et l'esprit critique. S'agit-il de valeurs universelles ou simplement de valeurs occidentales, c'est-à-dire inapplicables dans d'autres sociétés ?
Est-ce que pour autant la civilisation américanisée peut perdurer ? Kissinger était hanté, dit-on, par la chute de l’Empire romain. La naissance du Pnac comme tentative de maintenir l’american way of life. Simone Weil s’interroge en 1943 !!!
A contre-courant, elle redoutait, à l’inverse, voyant beaucoup plus loin, une «américanisation» de nos sociétés occidentales. Et, en effet, nous sommes passés du diktat aryen au diktat occidentalo-US, l’avatar vert kaki du vert de gris.
L’hégémonie anglo-saxonne a su jouer très fin : Disney pour séduire nos gamins grandissant à l’ombre de Mickey et Donald, Elvis, le rocker blanc, ado révolté, décoiffant la jeunesse cassant les fauteuils de l’ordre bourgeois. Ah l’arnaque... D’une guerre à l’autre, d’un putsch à l’autre, rockers en tête, les Etats-Unis ont envahi, au prétexte de leur démocratie, quasiment la terre entière. Ils stationnent aujourd’hui aux portes de la Russie, du Moyen-Orient, s’appuyant sur les fanatiques. En Syrie, en Libye, en Corée, au Vietnam, en Irak ? Combien de dictateurs ont-ils installés au pouvoir sur tous les continents ? Combien de millions de personnes ont-ils exterminées ?
Au moment où le monde est en passe de changer de projet civilisationnel, le médiologue Regis Debray, dans son ouvrage sur l’américanisation de l’Europe, se lamente du bonheur perdu et du bon temps «d’avant». Faisant l’apologie de l’ouvrage pourtant tardif sur le naufrage pluridimensionnel de l’Europe, Bernard Gensane explicite la pensée.
Pour lui, la civilisation européenne, qui a dominé le monde pendant deux ou trois siècles, s’efface sous nos yeux, confite dans un amer sentiment de déclin. L’Amérique, définitivement, l’a remplacée. Plus de Français, d’Allemands, de Polonais, d’Européens au total. il n’y a que des Yankees de second collège et contents de l’être par servilité.
Bernard Gensane poursuit : «une civilisation construit des routes avec un gros bâton (celui de la Big Stick Policy), une flotte, des armées, aujourd’hui des drones. Depuis qu’il a raflé le Texas, l’empire américain n’a gagné en surface que quelques centaines de milliers de kilomètres carrés. Alaska y compris. Mais les 2 000 implantations militaires sur les cinq continents ne seraient rien sans les 35 000 McDo. Et vice-versa (…).
La civilisation zunienne avait gagné chez Balzac : Au XVIe siècle, le paysan d’Amboise, voisin de Léonard de Vinci, ne parlait pas un mot d’italien. Aujourd’hui, il écoute Beyoncé dans son tracteur climatisé. C’est un véritable catalogue des pertes que Debray recense minutieusement Quand, demande Debray, l’Europe a-t-elle cessé de ‘‘faire civilisation’’ ? En 1919, au congrès de Versailles, les Etats-Unis n’ont pas alors pleinement conscience qu’ils vont devenir la première puissance mondiale. Mais le Président exige que le traité soit également rédigé en anglais.
(…) L’Etat français, les pouvoirs publics ont plié le cou devant les méthodes uniennes. On nous obligea à aimer le modèle des primaires et les candidats à la présidentielle nous proposèrent des offres. A Sciences-Po, «réformée» par un chairman of the board plus ricain que ricain 60% des cours sont dispensés en anglais. Ne dites plus ‘‘prolétaires” mais “milieux défavorisées” “bannissez” (sic) “clochards”, “SDF’’ étant beaucoup plus indolores. Ne dites plus “santé gratuite pour tous” mais care, “avion présidentiel” mais “Sarko One” (…).»(2)
Avec sa lucidité coutumière, Pierre Bourdieu, sociologue professeur au Collège de France, avait, avec Loïc Wacquant, professeur à l'Université de Californie à Berkeley, pressenti bien après Simone Weil et bien en avance des intellectuels formatés à l’américaine comme les Young Leader, les dangers d’une dissolution de la langue française : «Dans tous les pays avancés, patrons et hauts fonctionnaires internationaux, intellectuels médiatiques et journalistes de haute volée se sont mis de concert à parler une étrange novlangue dont le vocabulaire, apparemment surgi de nulle part, est dans toutes les bouches : “mondialisation” et ”flexibilité” ; “gouvernance” et “employabilité” ; “underclass” et “exclusion” ; “nouvelle économie” et “tolérance zéro” ; “communautarisme”, “multiculturalisme” et leurs cousins “post-modernes”, “ethnicité”, “minorité”, “identité”, “fragmentation”, etc. La diffusion de cette nouvelle vulgate planétaire — dont sont remarquablement absents capitalisme, classe, exploitation, domination, inégalité, autant de vocables péremptoirement révoqués sous prétexte d'obsolescence ou d'impertinence présumées — est le produit d'un impérialisme proprement symbolique. (…) Comme les dominations de genre ou d'ethnie, l'impérialisme culturel est une violence symbolique qui s'appuie sur une relation de communication contrainte pour extorquer la soumission et dont la particularité consiste ici en ce qu'elle universalise les particularismes liés à une expérience historique singulière en les faisant méconnaître comme tels et reconnaître comme universels (….). En imposant au reste du monde des catégories de perception homologues de ses structures sociales, les Etats-Unis refaçonnent le monde à leur image : la colonisation mentale qui s'opère à travers la diffusion de ces vrais-faux concepts ne peut conduire qu'à une sorte de “Washington consensus” généralisé et même spontané, comme on peut l'observer aujourd'hui en matière d'économie, de philanthropie ou d'enseignement de la gestion.»(3)

La mort de l’Europe par le grand remplacement islamiste
Cherchant les autres causes du déclin, Bernard Plouvier, essayiste, en propose trois. Il s’en prend d’abord aux dirigeants coupables de faire perdre son âme chrétienne à l’Europe. Pour lui, c’est Giscard qui a amené le verre dans le fruit en permettant le regroupement familial : «Toute société antique fut fondée sur le racisme matrimonial scannant l’histoire, il explique la chute de l’Empire romain par la citoyenneté octroyée aux indigènes de l’empire : lorsqu’en 212, Caracalla octroie le bénéfice de la prestigieuse appellation et de ses privilèges, ce n’est évidemment pas par l’effet d’une bonté d’âme – qui lui fut toujours étrangère —, mais pour des raisons fiscales : 10% de la valeur des successions de citoyens romains revenaient automatiquement au Trésor impérial. En 1976, par leur ignoble décret 76-383 du 29 avril, paru au JO du 2 mai, portant sur le “regroupement familial” des travailleurs immigrés – une décision prise, bien sûr, sans avoir consulté le peuple souverain, Giscard et Chirac ont voulu relancer une consommation intérieure défaillante pour cause de dénatalité autochtone et de premier choc pétrolier (…) On introduisait dans l’Etat des individus issus d’autres cultures que celles des hommes qui avaient créé l’Etat… De nos jours, plus de mille cités de non-droit égaient la France et des rejetons de l’immigration musulmane font parler d’eux d’une curieuse façon… La seconde cause de la décadence romaine antique (et de la nôtre) fut et demeure une extraordinaire flambée de bien-être : le confort de vie et la sûreté n’ont jamais été plus grands dans l’Empire qu’à son apogée des Ier et IIe siècles. Trop de bien-être amollit, physiquement et mentalement : jamais les “bobos” (qui sont de toutes les époques) n’ont été aussi mous et aussi naïvement “humanitaires” que de nos jours ! La troisième cause fut le christianisme. Une religion d’essence féminine, qui prêche l’agapè (l’amour du Dieu créateur & père éminent des humains et la pratique de la charité – soit un don total, sans espoir de réciprocité.»(4)

La détestation et la crainte de la Chine, civilisation atemporelle
L’empire n’en a cure des états d’âme de ses vassaux qui gémissent de la perte de leurs spécificités. Pour eux, le monde européen est absorbé par la civilisation américaine. Le peuple américain va de l’avant parce que c’est le peuple élu (la destinée manifeste). La grande victoire des Américains est d'avoir réduit l'homme à une simple dimension de producteur-consommateur. En résumé, un homo economicus addict aux loisirs et tourné vers la satisfaction de ses désirs les plus primaires. L’empire se veut le seul architecte d’un monde unipolaire, une hyper-puissance pour reprendre le mot d’Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères de la France. L’empire s’essouffle économiquement et s’attaque à tous ceux qui lui tiennent tête. Le Pentagone ne s’est jamais aussi bien porté. 700 bases autour du monde. Ce que ne peut pas faire comme avant le soft power, de l’american way of life, de la patrie d’Armstrong, le hard power de la patrie de Bush Jr est prêt à le faire. Après avoir laminé les pays faibles et s’être assuré des sources d’énergie, il s’aperçoit que la concurrence est rude avec les nouveaux pays émergents que les Occidentaux désignent par Brics.
Beaucoup d’analystes occidentaux fondent l’espoir que la civilisation chinoise s’effondrera «China Bashing», terme utilisé par le Washington Post. Nouriel Roubini, directeur général de l’AIE, avait prévu qu’une grave dépression économique devrait affecter ce pays en 2013. Nous sommes en 2017 et la Chine est plus rayonnante que jamais.
On est en droit de se demander comment la civilisation chinoise a traversé le temps, les époques troubles, des régimes différents mais en gardant ses fondamentaux. En effet, depuis 5 000 ans, la Chine imprègne toute la culture de l'Asie de l'Est, aussi bien au niveau religieux que linguistique.
Pour le sinologue Cyrille Javary, interviewé par Atlantico.fr : «Le premier élément de cette particularité est que de toutes les civilisations nées sur le continent eurasien, la civilisation chinoise est la seule qui a toujours habité le même territoire. (…) Ensuite, la culture chinoise a créé un système d’écriture unique au monde qui fonctionne autour de la représentation d’idées ou de situations et non pas de sonorités comme dans tous les autres systèmes graphiques du continent eurasien. Cela sert de base à une pérennité unique dont l’exemple le plus frappant est que les Chinois n’ont pas changé de système politique depuis 3 000 ans (…). Ce système de méritocratie qui avait ébloui Voltaire permettait à n’importe quel Chinois de s’y présenter autant de fois qu’il le souhaitait. Ce système permettait aux lettrés de disposer en permanence des meilleurs cerveaux du pays à la différence du système féodal français (…). Pour les Chinois, la durée est signe d’efficacité.»
(…) Les habitants de ces provinces n’ont pas les mêmes traditions, la même cuisine, la même histoire ou encore la même langue mais ce qui les unit, c’est qu’ils ont la même écriture. C’est ce qui cimente le pays dans l’espace et dans le temps (…).
Le rapport entre le visible et l’invisible constitue également l’un des piliers de la longévité chinoise. Les autres cultures eurasiennes rejettent le rapport à l’invisible, soit du côté de l’irrationnel, soit du côté du religieux.»(4)

L’obsession de semer le chaos Le refus du déclin
Nous vivons assurément une période très dangereuse : le désordre est total. Les peuples faibles, surtout ceux qui ont le malheur de disposer encore de ressources énergétiques ou minières, seront les premiers touchés.
Assurément, l’Afrique après le Moyen-Orient, dont toutes les frontières ne sont plus intangibles comme le proclamait la Charte des Nations unies à San Francisco au sortir de la Seconde Guerre mondiale, est le champ de bataille. Même la France avec sa Françafrique est en train de recoloniser ses anciennes colonies. Le chaos actuel, les morts n’empêchent pas le commerce des armes d’être florissant, il n’empêche pas aussi le pompage des ressources pétrolières et gazières et même de toutes les ressources minières. Boko Haram ou pas…(5)
Pour la situation de chaos actuel, Pepe Escobar nous explique pourquoi l’Empire est contre toutes les coalitions si ce n’est pas lui qui les dirige :
«‘‘La politique’’ de l’Empire du chaos, écrit-il, est claire et multiforme : diversifier le ‘‘pivot vers l’Asie’’ en établissant une tête de pont en Ukraine afin de saboter les échanges commerciaux entre l’Europe et la Russie ; étendre l’organisation du traité de l’Atlantique Nord à l’Ukraine ; briser le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine ; empêcher par tous les moyens l’intégration commerciale et économique de l’Eurasie, du partenariat germano-russe aux nouvelles routes de la soie convergeant de la Chine à la région de la Ruhr ; et maintenir l’Europe sous l’hégémonie des États-Unis. (…) M. Wallerstein soutient que si l’Empire du chaos est devenu si dangereux, c’est parce qu’il n’accepte tout simplement pas sa décadence géopolitique. La restauration de son hégémonie mondiale est devenue son obsession suprême, unique obsession, c’est de forcer les Européens à sanctionner la Russie à mort. En d’autres termes, stopper l’intégration commerciale et géopolitique entre l’Europe et la Russie (…)»(5)

Assiste-t-on à la chute
de la civilisation occidentale ?
Les civilisations, dit-on, sont mortelles. Bien avant Spengler, le père de la sociologie Ibn Khaldoun, dans son œuvre magistrale La Muqqadima, avait pointé du doigt l’évolution des civilisations qui passent par trois stades, l’avènement, l’apogée et le déclin. Ce qui a dû se passer pour l’Empire perse, l’Empire romain et plus tard l’Empire ottoman. Une étude du Pnac (Programme for New American Century) recommandait de chercher un motif pour relancer l’hégémonie américaine d’une façon définitive. L’arrivée du 11 Septembre fut du pain bénit. Le Satan de rechange tombait du ciel, l’Islam. Ainsi, furent organisées les expéditions punitives que l’on sait un peu partout, semant le chaos, la destruction et la mort, estimant que les Etats-Unis devront s’allier avec l’Europe pour dominer l’Eurasie.
Les signes d’un craquement de l’hégémonie occidentale commencèrent à poindre à l’horizon. Des voix inquiètes commençaient à douter de la pérennité du magister occidental. Pourtant et malgré cela, «l’Empire» ne se laisse pas faire. La transition de l’humanité vers un «empire global», un ordre mondial polarisé autour d’une seule puissance : les Etats-Unis.
Beaucoup d’études ont été faites sur les causes du déclin des civilisations «Le Déclin de l’Occident est un essai d’Oswald Spengler. Il y développe une synthèse historique qui rassemble tout à la fois, l’économie politique et la politique, les sciences et les mathématiques, les arts plastiques et la musique. Il fut traduit en français par son ami le philosophe algérien Mohand Tazerout en 1948. Cette œuvre analyse l’histoire en distinguant des grandes cultures historiques qui, semblables à des êtres biologiques, naissent, croissent, déclinent et meurent. Il développe une vision cyclique ou “sphérique” de l’Histoire. Chaque culture est déterminée par son héritage, ses valeurs et son sentiment du destin.»(6)
Pendant longtemps, il était de bon ton pour les Européens de s’arrimer à l’alma mater du monde libre : les Etats- Unis d’Amérique. Cependant, des craquements se font entendre et des états d’âme «européens» se font entendre quant à la perte de l’identité de l’Europe composée de vassaux qui se découvrent sur le tard une spécificité. L’analyse lumineuse de l’ambassadeur singapourien Kishore Mahbubani décrit le déclin occidental : recul démographique, récession économique, et perte de ses propres valeurs. Il observe les signes d’un basculement du centre du monde de l’Occident vers l’Orient. (Citant l’ouvrage de l’historien britannique Victor Kiernan. «La plupart du temps, cependant, les colonialistes étaient des gens médiocres mais en raison de leur position et, surtout, de leur couleur de peau, ils étaient en mesure de se comporter comme les maîtres de la création. Même si la politique coloniale européenne touchait à sa fin, l’attitude colonialiste des Européens subsisterait probablement encore longtemps.»(7)
«En fait, poursuit Kishore Mahbubani, celle-ci reste très vive en ce début de XXIe siècle. Souvent, on est étonné et outré lors de rencontres internationales, quand un représentant européen entonne, plein de superbe, à peu près le refrain suivant : “Ce que les Chinois [ou les Indiens, les Indonésiens ou qui que ce soit] doivent comprendre est que…”, Mahbubani reproche à l’Europe sa myopie, son autosatisfaction et son égocentrisme. Pour lui, “le moment est venu de restructurer l’ordre mondial”, que “nous devrions le faire maintenant”». L’Occident est dans l’incapacité à maintenir, à respecter et encore plus à renforcer les institutions qu’il a créées. Et l’amoralité avec laquelle il se comporte sape davantage les structures et l’esprit de la gouvernance mondiale.

Comment l’Algérie
appréhende-t-elle le monde ?
Nous venons de tracer à grands traits les convulsions du monde, nous ne pouvons pas conclure sans décrire ce qui nous arrive et, pire encore, où nous allons ? Il est connu qu’une civilisation est avant tout une élévation culturelle de la société qui fait des habitants d’un pays des citoyens responsables où la civilité n’est pas un vain mot. Sans remonter loin dans l’Histoire en passant par le déclin des royaumes maghrébins qui ont tous disparu les un après les autres, absorbés par des peuples plus forts et plus organisés comme l’Espagne et l’Empire ottoman, qu’il nous suffise de remarquer et sans verser dans une nostalgie déplacée que nous avons perdu en cohérence d’ensemble. Sous les coups de boutoir de la modernité, le peu de cohérence pour le vivre- ensemble que nous avions à l’indépendance a été laminé en cinquante ans d’errance. La gestion de la cité, le fonctionnement étatique que nous avions hérité, a volé en éclats du fait de sa substitution par des règles de gouvernance à géométrie variable qui font que les citoyens ne sont pas protégés. Nous sommes aussi par mimétisme ravageur en décadence sans avoir rien produit, sinon copier outrageusement les travers d’un Occident ravageur du sens qui nous lisse dans le sens du dépenser sans penser. La décadence en Algérie, ce sont les dépenses inutiles. Ce sont ces joueurs payés à prix d’or. La décadence, ce sont les fabuleux profits mal acquis pendant que les besogneux sont en apnée.
L’Algérie vit en marge du monde. Son problème est celui de survivre, pas de projection sur l’ avenir sur la nécessité de rentrer dans le monde. Nous reculons dans tous les domaines, et plus personne ne s’intéresse à l’Algérie comme partenaire ; l’Europe a besoin de l’Algérie comme bassin de rétention de l’émigration et accessoirement de son approvisionnement marginal en gaz, une rente immanente qui n’est pas le fruit de l’effort. Elle pompe ce qui a de rentable, les rares diplômés dans les disciplines technologiques et offre la nationalité à plus de 500 000 Algériens dont on peut à coup sûr que ce sont des personnes instruites, surtout de niveau universitaire. En Algérie, la civilité a disparu et la science qui va avec un lycée qui affiche 0% de reçu au bac ne fait pas l’objet d’un débat au gouvernement.

Conclusion : la civilisation
a besoin de «spiritualité»
«La plus grande caractéristique de la civilisation orientale est de connaître le contentement, alors que celle de l’Occident est de ne pas le connaître.» Cette maxime de Hu Shih résume, à elle seule, «la boulimie sans retenue de la civilisation du toujours plus» qui amènera la planète au chaos. Ce n’est pas simplement l’Occident qui va décliner, ce sont tous les peuples qui vont le suivre dans une descente aux abîmes. Assurément, la planète est en pleine tourmente, la recomposition du monde fera disparaître des Etats dans un nouveau Yalta. Peut-on dire qu’une civilisation meure quand elle a épuisé ses récits de légitimité à la fois temporelle et atemporelle ? C’est en tout cas l’avis de Jean-François Léotard qui parle du déclin des grands récits de légitimité comme le socialisme, le communisme, l’hitlérisme, le fascisme, le libéralisme. Ce dernier serait responsable du déclin de l'Occident.
A l'heure du chacun pour soi, le sentiment d'appartenance à un projet qui transcende les individualités s'est évaporé. Marcel Gauchet parle de désenchantement du monde. Dans cette vue désolée d'une incommensurabilité des humains entre eux, que reste-t-il ? L'espace commun se délite, les religions n'ont plus rien à se dire. Les sociétés n'ont plus de ‘‘Grands Récits’’. Ainsi le rêve américain qui a été inculqué à coups de récits sur la Destinée Manifeste, l’americain way of life ne fait plus recette même aux Etats-Unis. La post-modernité se traduit par l’adage de la guerre contre tous l’agressivité, le libéralisme triomphant fait peser sur l'être-soi et sur l'être-ensemble une lourde menace. Il y a une fascination pour l'ultraviolence : séries TV américaines avec scènes violentes (tortures, viols, serial-killers)
Sans vouloir jouer les pythies, il est admis que le monde dans sa version actuelle irait à sa perte La solution serait dans un ressourcement et un vivre-ensemble lié à une transcendance. La vie des hommes, lit-on, dans la contribution suivante, s'organise grâce à la civilisation. La civilisation actuelle répond-elle aux besoins de l'homme ? «Toute civilisation est inspirée par Dieu. Mais la civilisation actuelle ne respecte plus l'homme, trop de gens souffrent et sont menacés. Une nouvelle civilisation, meilleure pour l'homme, doit émerger de la prise de conscience de chacun. Une civilisation organise la société humaine. La première grande civilisation sur Terre fut celle des Égyptiens. Cette civilisation était intimement liée au divin. (…) Cette inspiration divine permit à la civilisation égyptienne de rayonner et dominer pendant trois mille ans. (…) L'humanité a besoin d'une nouvelle civilisation respectueuse de l'homme et des lois de Dieu. Ce projet de société doit réunir tous les hommes en un même peuple pour que la vie continue harmonieusement sur Terre. (…) L'environnement naturel est pillé, pollué ou dévasté, à cause de la négligence ou de la cupidité des hommes. Alors que la préservation de cet environnement est la condition de notre survie future. Chacun de nous a une part de responsabilité. Chacun de nous doit ouvrir les yeux sur la situation du monde, choisir de changer son attitude et exiger la moralité de ses dirigeants.»(8)
L’Occident s’arroge le droit de construire l’universel tout seul. Le philosophe Abdennour Bedar prône un universel commun en citant Paul Ricœur, le philosophe Ibn El Arabi parlait de l’égalité des religions et des cultures. Il ajoute qu’il ne croit pas que les civilisations soient autosuffisantes, mais se complètent. Il parle de confluence des religions. Abdennour Bedar, lui, parle de convivialité des religions pour un apaisement de la condition humaine qui doit s’inventer une nouvelle manière de vivre.
Enfin, pour Claude Levi-Strauss : «(…) il n’y a pas, il ne peut y avoir, une civilisation mondiale au sens absolu que l’on donne souvent à ce terme, puisque la civilisation implique la coexistence de cultures offrant elles le maximum de diversité et consiste même en cette coexistence. La civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition, à l’échelle mondiale, de cultures préservant chacune son originalité.»
C.- E. C. in LSA

1.http://www.ledevoir.com/culture/livres/196521/qu-est-ce-que-l-occident
2. Bernard Gensane https://www.legrandsoir.info/regis-debray-civilisation-comment-nous-sommes-devenus-americains.html
3. P. Bourdieu, L. Wacquant. http://www.monde-diplomatique.fr/2000/05/BOURDIEU/2269
4. https://metamag.fr/2017/08/07/la-mort-dune-grande-civilisation-chute-de-lempire-romain-et-declin-de-leurope/
5. http://www.atlantico.fr/decryptage/chine-1ere-puissance-mondiale-2016-5000-ans-civilisation-quels-sont-secrets-longevite-cyrille-javary-541522.html#GSZzPhR12TmozjGT.99
5. http://www.mondialisation.ca/la-doxa-occidentale-un-magister-moral-en-miette/5394216
6. C.E. Chitour http://www.mondialisation.ca/declin-ou-chute-de-loccident-pourquoi/5313390
7. K.ishore Mahbubani: The Irresistible Shift of Global Power to the East, septembre 2008
8. http://www.opc-connaissance.com/mieux_vivre/nouvelle_civilisation_pour_humanite.html

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