APS - ALGÉRIE

mercredi 14 juin 2017

Quid du pied ?

Youcef Merahi
merahi.youcef@gmail.com

Je me suis toujours demandé d’où pouvait venir l’expression, «c’est le pied !» Et qui pouvait inventer une telle formulation ? Bien sûr, il n’y a rien de particulier dans sa compréhension. Rien de difficile. Pour faire dans l’économie du langage, on lance à la ronde, comme ça, sans trop se triturer les méninges, «c’est le pied !» Parce que la situation nous a rendus heureux. Parce que la situation nous a fait pleurer de joie. Parce que la situation nous a transportés de bonheur. Alors pour dire ses aises, on lance à la ronde, comme ça, «c’est le pied !» Comme si le pied a ressenti toutes les joies du monde. Comme si le pied a joui d’une terrible manière. Comme si le pied a pris son pied.
En effet, il y a des moments privilégiés où l’être abandonne tous ses arias et se laisse aller dans une félicité totale, où l’on se sent toute chose, où l’on arrive à trouver les mots idoines, où l’on doit convoquer la muse pour exprimer l’ineffable du moment, alors, comme ça, on se laisse aller à dire, tout bonnement, «c’est le pied !» C’est l’autre qui me souffle, «même un cul-de-jatte peut prendre son pied».
Pourtant, d’un être qui nous insupporte, on dit qu’il est casse-pied. Oui, il m’a tellement cassé les pieds que j’ai dû me résoudre à le foutre dehors. Qui est casse-pied ? C’est naturellement l’autre, toujours. On n’est jamais casse-pied. C’est toujours le vis-à-vis qui l’est. Je ne comprends pas, néanmoins, une chose : pourquoi ne pas dire «casse-tête». On le dit ; mais pour autre chose ; j’ai eu à démêler un dossier, un véritable casse-tête, pour signifier la difficulté de la chose. Pourquoi pas un casse-cœur ? Sauf que cela toucherait les affaires de cœur ; les amourettes, quoi ! Mais pourquoi donc un casse-pied ? On ne dit jamais un casse-main. Comme si jamais une main se cassait, ça ne nous avancerait à rien. Parce qu’on a deux mains. Comme si on avait qu’un seul pied. Aussi, je me suis toujours demandé d’un casse-pied, cassait-il le pied gauche ou le pied droit. A moins que casse-pied ne soit au pluriel ; là je comprendrais davantage la tournure. Chez nous, on ne nous casse pas les pieds ; on nous casse la tête. Drôle de situation dans laquelle je me suis mis. Ce n’est pas simple de faire le grand écart !
J’ai trouvé une citation qui m’a paru un tantinet exagérée. Je vous la précise : «J’aimerais être une cigarette pour naître au creux de tes mains, vivre sur tes lèvres et mourir à tes pieds.» Je ne sais pas ce que vous en pensez. Moi, je trouve que la poésie porte ses exagérations, toute honte bue. Comme si on statufiait les pieds. Mourir à tes pieds ? La belle blague ! Une cigarette ne naît jamais au creux des mains d’un fumeur, ni d’un poète. Même si elle vit sur les lèvres en toute poésie, elle bousille le reste du corps, des dents aux alvéoles pulmonaires. La cigarette ne meurt pas à nos pieds. Oui, on écrase le mégot, après avoir tété la nicotine comme un affamé du suçon. Réellement, c’est le fumeur qui meurt à ses pieds, quand le filtre aura donné l’illusion d’avoir bloqué tous les éléments destructeurs. J’ai toujours pensé qu’un pied copie l’autre, c’est selon. Si l’on est droitier, c’est le gauche qui copie son jumeau. Et vice-versa ! Tenez-vous bien, il y a bien des ambidextres. Oui ? Est-ce valable pour les pieds ? On peut utiliser indifféremment les deux mains. Oui ? Comme on peut utiliser indifféremment les deux pieds. C’est le propre d’un bon footballeur : jouer des deux pieds. Pardon, je n’ai pas de nom de footeux à vous proposer. Mais pourquoi la langue française, avec ses «immortels» n’a pas inventé le mot qu’il faut ? Comme pour «ambidextre». J’aimerais bien que Jean d’Ormesson puisse me répondre, lui qui a le verbe facile et l’érudition à son maximum. C’est pourquoi les Grecs ont inventé ce proverbe : «Il n’y a pas de place pour deux pieds dans une même chaussure.»
Ah, me revient une citation qui m’a toujours paru bizarre. En quoi le fait de se lever du pied gauche appelle une journée pas possible ? Je ne vois pas le rapport. Il m’arrive personnellement de me lever du pied droit et de passer une journée affreuse. Puis, qui peut dire de quel pied il se lève chaque matin ? Vous ? Et alors ? Ce matin, je me suis levé des deux pieds ; j’ai eu une journée des plus plates. Ordinaire à rendre le contenu de son s’hour. Les neurones molles, au point où je ne me rappelle plus des pages du roman en cours de lecture. Francis Blanche disait : «Je me lève aussi facilement du pied gauche que du pied droit : je ne fais pas de politique.» Oh la question qui fâche : de quel pied les politiques accueillent-ils leur réveil ? Merci de ne pas proférer d’insinuations qui n’ont pas lieu d’être dans cette «presque-chronique».
Restons dans la politique. Un proverbe africain dit ceci : «Dans un pouvoir despotique, la main lie le pied ; dans une démocratie, c’est le pied qui lie la main.» Un bon sujet de dissertation, n’est-ce pas ? Mais on ne l’aura jamais dans notre examen du baccalauréat. Dans une autre vie, peut-être ! Ici, tenez-vous, quand dans une manifestation, on se laisse aller à courir pour fuir le bâton, on dit «prendre ses jambes à son cou» ; comme si le pied n’avait rien à voir avec la fuite. Pourquoi ne pas dire simplement : «prendre ses pieds à son cou» ? Comme on ne dit pas, «tu auras mon pied aux fesses». Non, on dit, par une envolée poétique, «tu auras mon 44 au c...». Comme on dit également : «Vivre à tes pieds», quand l’amour (au fait, est-il toujours aveugle ?) nous fait faire le pied-de-grue, dans l’attente d’un câlin. Je n’invente rien, chers amis. J’ai l’air de délirer. Certainement ! Il va falloir, du reste, qu’un jour je me penche sur cette notion du délire, n’est-ce pas doc ?
Y. M. IN LSA

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