APS - ALGÉRIE

dimanche 14 mai 2017

Le Macronmantra



PAR PHILIPPE-JOSEPH SALAZAR
Blabla. En « illusionniste expert », le nouveau président a usé d’une rhétorique du management pour séduire l’opinion, explique le philosophe.

On a reproché à Macron son « flou ». Il dit : « Je veux vous protéger », « je suis porteur d’un projet, « je vous aime », « ce choix de l’avenir ». Rien de flou dans ces chevilles rhétoriques, mais au contraire une véritable pensée en action, un mantra : après tout, mantra, c’est mens, l’esprit, et un mantra, justement, ça aide à penser. Son programme est un management rhétorique du flou. Articulez le puzzle des slogans et   voici le raisonnement subreptice au cœur de la stratégie : « Je suis porteur d’un choix d’avenir parce que je vous aime et que je veux vous protéger. » Cet argument n’est jamais donné de but en blanc : il y perdrait de son impact, car un mantra fonctionne comme un dispositif subliminaire de capture. Articulée, son imbécillité est évidente. Voilà pourquoi en meeting, sur le Web, il n’apparaît jamais. Mais le risque de sa mise au jour est géré par la formule : « Présider, c’est protéger », protéger en fait contre ce qui met en péril le montage. Cet illusionnisme expert est donc ciblé sur la faiblesse d’une grande partie de l’électorat, qui est incapable de saisir cette stratégie de gestion des arguments et des mots. Et qui, de fait, est confortable Avec son effet social, puisque Macron se sert de cet électorat comme d’une chambre d’échos à qui il Renvoie le langage que celui-ci est habitué à entendre dans les jeux télévisés, dans les commentaires Sportifs, dans les publicités bios.

Le Macronmantra a ses racines culturelles dans le management. L’appel constant aux « amis », la fébrilité de proximité des « marcheurs », la joie de se retrouver sans s’être jamais connus et  l’encadrement du jeu par les décideurs, les « merci à vous » ponctuant ses discours, tout cela appartient à des techniques de coaching où il est conseillé au leader de ne pas se projeter en avant, mais de prétendre se placer en arrière de son groupe, à la Obama, et de « lead from behind », conduire en impulsant. L’ambition narcissique se dissimule dans une sorte de dialogue social solidaire et généralisé.

C’est un stratagème qui vise à susciter des liens transversaux entre subalternes, en prise sur les modes de comportement du monde numérique, et donc à fomenter l’illusion d’une responsabilité collective, comme si la décision, « au final », n’est pas en fait l’aboutissement d’une manipulation. Voilà pourquoi le maître mot de Macron et de ses « surrogates », comme on dit aux Etats-Unis, ses doublures médiatiques, est « porter » et non pas mener : « en votre nom je porterai notre projet », mantra illusionniste.

L’apparente bienveillance des décisions prises en commun, qui est le ressort même de l’émotivité quasi religieuse, dans leur adulation, des Marcheurs, se phrase dans une rhétorique managériale de la «compétence » (« tableau de compétences » à l’école, « économie de la compétence ») et dissimule une conception gestionnaire des relations humaines.

La Macronlangue est l’ascension au premier plan politique de la rhétorique du management, sous couvert d’une ferveur innovante, solidaire, et dans un style propre à la culture de proximité des réseaux sociaux.

Le véritable populiste est donc Macron – un populisme numérique qui table sur les modes expressifs des réseaux pour en faire un langage général d’argumentation politique que dominent l’émotion instantanée (la parole souvent excitée de Macron est des émoticônes sonores), des slogans brefs, des mots à contre-emploi (« révolution », « je suis un guerrier »).

Peu importe, car ce qui compte est l’instantané populiste, qui fait vibrer, pendant que se déroule en sous-main « the long game » (le long jeu) de la stratégie.

La division de la France n’est pas entre villes et campagne, chacune avec son langage du peuple, mais entre le populisme à l’ancienne et l’e-populisme de Macron, qui génère chez ses supporteurs des certitudes absolues – une forme d’imbécillité.

Etrangement, les adversaires de Macron n’ont pas compris que l’énarque, recalé à l’ENS, est un élève des méthodes de stratégie de management. 

                                                                                                                                                Philippe- Joseph Salazar
                                                                                                                                                Philosophe et rhétoricien.
                                                                                                                                                Dernier ouvrage
paru :                                                                                                                                                     « Blabla République»
                                                                                                                                                (Lemieux éditeur).
IN LE POINT DU 11 MAI 2017

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