Par Noureddine Boukrouh
une première idée de ce qui fait défaut aux musulmans : ce qui ne figure pas dans la nomenclature de leurs «akhlaq» (conscience historique, sens collectif, efficacité sociale et économique, ouverture d’esprit, aptitude à l’innovation, dépassement de l’horizon connu, tension vers le meilleur, adoption du système démocratique...)
Le grand poète égyptien Ahmed Chawki a gravé dans la mémoire arabe un vers que nous avons tous appris à l’école : «Innama al oumamou al akhlaqou ma bakiat, fa in houm dhahabat akhlaqouhoum dhahabou.» (Les valeurs morales font les nations, si celles-ci disparaissent celles-là disparaîtront aussi). C’est un très beau vers, mais comme la poésie en général, il s’adresse à l’émotivité plutôt qu’à la raison.
Il était destiné, comme la partie patriotique et hagiographique de son œuvre, à exalter le «Nous» national et musulman. Mais quand on s’empare de ce vers pour ce qu’il évoque comme représentations mentales et le soumet au test de la réalité historique, on est étonné de constater que s’il a gardé de sa puissance émotionnelle, il a perdu de sa vérité. Il en est souvent ainsi de la culture arabo-islamique. Bâtie sur l’émotivité, les sentiments, l’imaginaire et la crédulité, elle cherche à subjuguer plus qu’à démontrer, mais ses aphorismes ne résistent pas toujours à la réalité mouvante. De ce point de vue, le vers du Prince des poètes n’est pas un théorème, comme l’ont cru des générations, mais juste un beau vers.
Dans
un poème, on ne définit pas les mots qu’on emploie car ce ne sont pas
des concepts. On fait même le contraire pour leur donner le maximum
de sonorité, de musicalité, d’emphase et de flexibilité à la rime,
gages de leur beauté et de leur succès futur. Si on ne connaît pas
avec précision le contenu des «akhlaq» dont parle Chawki, on sait
qu’elles sont restreintes dans la culture arabo-islamique aux seules
valeurs religieuses. Aussi, c’est en inventoriant ce qu’il manque aux
musulmans qu’on va comprendre pourquoi, après les avoir propulsés une
première fois dans l’Histoire, leurs valeurs morales s’avèrent
impuissantes à leur donner un nouvel essor. Les nations occidentales ont
chamboulé leurs «akhlaq», les renversant têtebêche et allant jusqu’à
institutionnaliser le mariage homosexuel et la famille monoparentale,
pourtant elles sont toujours là, plus fortes qu’à l’époque de
Torquemada et de Savonarole. Les mœurs ont été libérées, les tabous
brisés, les instincts libérés, mais ces nations ne se sont pas
écroulées en dépit du ton comminatoire du vers de Chawki qu’on croyait
valable pour tous les temps et toutes les nations. A l’opposé, nous
avons un autre exemple, celui des talibans quand ils étaient au
pouvoir. Ils ne se sont occupés pendant leur règne que des «akhlaq»,
mais leur nation a «disparu ». Y a-t-il quelqu’un pour croire qu’ils
la restaureront, grande parmi les nations, quand ils reviendront ? La
conclusion à tirer de cette entrée en matière est que si les valeurs
morales sont réduites aux seules mœurs et pratiques religieuses, elles
ne suffisent pas pour assurer durablement un rang à une nation, à
moins que celle-ci ne veuille délibérément vivre comme au temps
d’Abraham, les moines tibétains sur les contreforts de l’Himalaya, ou
sous les talibans lorsqu’ils auront repris le pouvoir car la culture
théocratique en leur pays les réclame urgemment. Nous avons vu le cas
des nations qui ont «perdu» leurs valeurs religieuses sans
disparaître, celui de la nation qui a pratiquement «disparu» tout en
gardant et exaltant au plus haut point les siennes, mais il y en a un
troisième, celui où les valeurs morales existent et perdurent sans
avoir besoin de s’incarner en une nation. C’est le cas des Juifs qui
ont vécu pendant deux mille ans dispersés parmi les nations du globe
et errant parmi elles comme le racontent les diverses versions de la
Légende du Juif errant. Ils n’ont pas voulu cette errance, elle serait
une malédiction tombée sur eux pour avoir tué Jésus. Aujourd’hui
encore, ils ne sont qu’une minorité à vivre en Israël, cinq millions
environ, sur un total d’un peu plus de vingt répartis en différents
points de la planète. C’est la civilisation la moins pléthorique de
l’Histoire, mais c’est aussi la plus puissante, qui compte le plus de
célébrités dans tous les domaines, qui exerce le plus d’influence sur
la politique des Etats où vivent, en petit nombre, ses ressortissants,
et celle qui a obtenu je crois le plus de prix Nobel. Mais, et c’est
peut-être un point à inscrire à l’actif du vers de Chawki, quand les
Juifs ont voulu se doter d’une nation, c’est à partir de leurs valeurs
qu’ils l’ont fait. Mais quelles sont ces valeurs ? Les pleurs devant
le Mur des lamentations, le shabbat, le kasher, la barbe et la
redingote ? Non, pas seulement. Les Juifs ont réussi à durer dans
l’Histoire grâce à leur extraordinaire capacité d’adaptation à tous les
climats, toutes les races, toutes les religions, toutes les formes
d’organisation sociale, tous les régimes politiques, tous les évènements
dont les guerres, les révolutions et les pogroms. Des divers
bouleversements et retournements de l’Histoire, ils sont à chaque fois
sortis les premiers arrivés du marathon, les premiers de la classe,
avec la médaille d’or ou le maillot jaune. Ce ne sont pas leurs
valeurs religieuses à elles seules qui les ont conservés à travers les
âges et les épreuves, ce sont aussi et surtout leurs valeurs
intellectuelles, leur intelligence, leur endurance, leur efficacité,
leur goût de l’effort et du travail bien fait, leur ouverture
d’esprit, leur aptitude à innover, leur dépassement de l’horizon
connu, leur tension vers le meilleur... Chaque Juif, Ashkénaze ou
Séfarade, porte en lui cet esprit rationnel et industrieux, cette
culture de l’efficacité, ces valeurs sociales et intellectuelles, où
qu’il soit. Et quand ils ont créé en 1948 l’Etat d’Israël sur la terre
palestinienne, ils n’en ont pas fait un Etat théocratique, en
remerciement à Yahvé, mais une démocratie. On a, dans ce lot de
valeurs, une première idée de ce qui fait défaut aux musulmans : ce
qui ne figure pas dans la nomenclature de leurs «akhlaq» (conscience
historique, sens collectif, efficacité sociale et économique,
ouverture d’esprit, aptitude à l’innovation, dépassement de l’horizon
connu, tension vers le meilleur, adoption du système démocratique...)
Pour l’islamisme, n’a de valeur que ce qui est strictement religieux,
que ce qui a été textuellement désigné par un verset ou un hadith, et
tout acte, initiative ou pensée qui ne découlerait pas en droite ligne
de ces sources est rejeté parce qu’«étranger aux valeurs islamiques».
Or, les valeurs morales d’une nation, d’une civilisation, ne
recouvrent pas que ses valeurs religieuses. Si elle n’ajoute pas à ce
capital initial les apports de l’Histoire, les outils intellectuels et
techniques mis au jour par le progrès, les applications de la
science, les formes d’organisation modernes, elle est condamnée à
l’anémie, à l’anorexie, au dépérissement. Les valeurs morales
existaient avant l’apparition des valeurs religieuses, et existent
dans les nations laïques. Il n’est pas un groupe humain, horde, clan,
tribu ou communauté quelconque qui n’ait eu une morale inspirant et
orientant le comportement de ses membres, même si elle n’est pas
tombée du ciel. Cette morale, orale ou écrite, renferme des notions
relatives au bien et au mal, à la bonté et à la méchanceté, à
l’altruisme et à l’égoïsme, à la générosité et à l’avarice, à la
vengeance et au pardon, à l’humilité et à la vantardise, aux vertus et
aux vices, à l’excès et à la tempérance, à la bravoure et à la
lâcheté, à la justice et à l’injustice, à la propreté et à l’impureté,
à la liberté et à l’oppression, à l’honnêteté et à la malhonnêteté, à
la dignité et à la «hogra»… Leur cadre de vie, le niveau de pensée
atteint et l’état de leur développement n’incitaient pas les sociétés
traditionnelles à se hisser à des systèmes de sauvegarde de leur
nation plus sophistiqués parce que les vertus suffisaient aux
exigences et aux équilibres nécessaires à leur vie. Le Code d’Hammourabi
a mis en place les fondations de la civilisation babylonienne, le
code de Solon a organisé la société athénienne et permis à sa culture
de produire Socrate, Platon et Aristote, Confucius enseignait le
respect des Anciens et des lois comme fondements de l’ordre et de
l’harmonie dans l’empire du Milieu. C’est sur l’Esprit de Rome que la
civilisation romaine s’est édifiée et a duré sept siècles (autant que
la civilisation musulmane avant la décadence). C’est la «virtue» que
Machiavel, Montesquieu et tous les moralistes ont recommandé de mettre
à la base des Etats pour qu’ils perdurent. Mais dans la longue vie
d’une nation, il n’y a pas que la base et les fondations, il y a
l’édifice à élever dessus et la maintenance qu’il faut lui assurer. Il
devient alors indispensable d’utiliser les nouveaux «liants» et les
nouvelles technologies de construction, et de réviser régulièrement la
résistance des matériaux et les normes antisismiques. Après avoir
vécu pendant des millénaires à l’ombre des seules valeurs religieuses,
le monde a fait à partir du XVIIIe siècle (avec la Révolution
américaine) le pari de la liberté dans tous les domaines pour garantir
le bonheur, la créativité, la justice, le progrès, la croissance et
la démocratie. Il a fait le pari de la liberté dans la religion
(liberté de conscience), la philosophie (liberté de pensée), la morale
(liberté des mœurs), l’économie (libéralisme), la politique
(pluralisme), la sociologie (diversité), les médias (liberté
d’expression)… Pour réussir son pari, il a mis au point de nouvelles
valeurs en complément de celles relatives aux mœurs avec en toile de
fond l’idée qu’en cas de crise de celles-ci, les nouvelles le
maintiendraient attaché au char de l’évolution et entretiendraient sa
vitalité. On peut les énumérer : valeurs intellectuelles, valeurs
sociales, valeurs civiques, valeurs économiques, valeurs nationales,
valeurs professionnelles, valeurs démocratiques, valeurs universelles…
L’Occident n’a pas «disparu» comme civilisation grâce à l’intégration
de ces valeurs aux anciennes. On peut encore les détailler : respect
de la vie humaine, tolérance des croyances différentes, liberté de
pensée, d’expression et de création, sécurité sociale, fiscalité,
justice impartiale, droits de l’homme, de l’enfant, de la femme et des
animaux… Il a élevé au même niveau le bien-être moral et le bienêtre
économique, le savoir-vivre et le savoir-faire. Ses ressortissants
sont épanouis, heureux, motivés, disciplinés, animés par l’amour du
prochain et l’esprit national. Si on avait besoin d’une caution
islamique pour admettre ce raisonnement, il n’y aurait a pas de
meilleure que celle provenant du Prophète qui a dit : «Un Etat croyant
mais injuste ne peut pas durer ; un Etat incroyant mais juste peut
durer.» Et si l’on veut savoir ce que voulait dire exactement le
Prophète par «juste», nous allons laisser parler un alem impartial, je
veux dire étranger au débat apparu depuis plus d’un siècle sur
l’islam et la modernité ou l’islam et la laïcité. Méhémet Ali, le père
de l’Égypte moderne, a envoyé en formation en France au début du XIXe
un groupe de trente étudiants égyptiens encadrés par un cheikh
d’Al-Azhar, Rifâat At-Tahtaoui. La délégation vécut à Paris entre 1826
et 1831, années pendant lesquelles le cheikh apprit le français et
s’attacha à étudier les valeurs de cette nation occidentale. De retour
en Égypte, il a écrit un livre au long et poétique titre qu’un
traducteur, Anouar Louca, a eu la bonne idée de ramener à trois mots,
L’or de Paris. On y lit : «Ce qu’ils appellent la liberté et qu’ils
désirent est exactement ce qu’on appelle chez nous la justice et
l’équité… Le principe constant dans la vie française, c’est une
recherche de la beauté, non le faste, l’ostentation des richesses et la
vanité… La persévérance des Français à nettoyer leurs maisons et leurs
vêtements est une chose extraordinaire… Le théâtre chez eux est comme
une école publique où s’instruisent le savant et l’ignorant… » Ce
qu’il convient de noter avec attention, c’est que, selon le cheikh, la
«liberté» chez les Français équivaut à la «justice» et à «l’équité»
dans l’islam. On est donc fondé à en déduire que le terme «juste»
employé par le Prophète dans le hadith a le même sens que «liberté» et
«équité». Remplaçons maintenant les mots utilisés par le Prophète
par ceux utilisés par Tahtaoui et relisons le hadith. Il devient : «Un
Etat croyant mais où ne règnent pas la liberté et l’équité ne peut
pas durer ; un Etat incroyant mais où règnent la liberté et l’équité
peut durer». En une phrase donc, le Prophète nous livre une
philosophie de l’histoire qui nous permet de comprendre pourquoi la
civilisation occidentale – ou toute civilisation fondée sur la liberté
et l’équité – peut durer, même si elle perd ses valeurs religieuses,
alors que la civilisation musulmane est sortie de l’histoire alors
même qu’elle n’a pas perdu les siennes. Si l’on veut pousser plus loin
le raisonnement, rappelons-nous que le Prophète a parlé d’Etat
«croyant» et «incroyant». Il a clairement dit qu’un Etat incroyant
(donc athée ou laïc) peut exister et durer s’il repose sur la justice,
la liberté et l’équité, et qu’un Etat croyant (là il vise forcément
l’Etat islamique) n’a aucune chance de durer s’il ne repose pas sur la
justice, l’équité et la liberté. Conclusion de cet «ijtihad» : le
Prophète croyait à la liberté et a parié sur elle dans ce hadith et
dans plusieurs autres que j’ai rapportés récemment, comme l’a fait le
monde depuis le XVIIIe siècle. Enfin, il montre le chemin à suivre à qui
veut bâtir une nation pérenne : l’élever sur les idéaux de justice,
de liberté et d’équité. S’ils avaient été pénétrés de cet esprit, Ben
Ali serait aujourd’hui chez lui, Moubarak en liberté et Kadhafi en
vie, et il n’y aurait pas eu de révolutions arabes. Mais ne dit-on pas
que les âmes sont «bi yadillah» ? La Chine bouddhiste, le Japon
shintoïste, l’Inde hindouiste et l’Etat d’Israël judaïque sont de
vieilles nations-civilisations. Pourquoi sont-elles revenues à
l’histoire, fortes et conquérantes, mais pas la juvénile civilisation
musulmane ? Parce que ces civilisations, sans perdre leurs valeurs
anciennes, leurs croyances et pratiques religieuses, ont développé les
autres catégories de valeurs dont on a parlé, renforçant leurs
sources d’énergie psychique, réveillant leur dynamisme social et
boostant leur efficacité sur tous les plans : économique,
technologique, culturel, militaire… Ces nations-civilisations
possèdent, par ailleurs, un sens du patriotisme et un attachement à la
notion d’Etat que ne possèdent pas au même degré les musulmans qui ne
reconnaissent d’allégeance réelle que celle due à Dieu. On voit avec
quelle désinvolture l’islamisme et le terrorisme tuent leurs frères,
divisent leurs peuples, se retournent contre leur pays, ou le
morcèlent. Les musulmans sont l’unique ancienne civilisation à n’avoir
pas réalisé sa renaissance parce qu’ils n’ont pas renouvelé leur
stock-idées, parce qu’ils cherchent dans le passé au lieu de chercher
dans le présent, parce qu’ils ne bougent que pour reculer, parce qu’ils
compriment au lieu de libérer alors que le Coran leur a dit «Yassirou
wa la touâssirou» («simplifiez au lieu de compliquer ») et que le
Prophète les a, dès le départ, mis à l’aise : «Ce qu’il y a de
meilleur dans votre religion est ce qu’il y a de plus doux.» La
formule de renaissance «trouvée» par l’islamisme est fausse, c’est
une combinaison qui n’ouvre aucune serrure. Avec lui, ce n’est pas
l’islam originel qui a des chances de revenir, renforcé par les
valeurs modernes, la liberté et l’équité, mais celui de la décadence,
du maraboutisme, des peuples que les charlatans rassemblent et que les
coups d’Etat dispersent. Les nations-civilisations que j’ai citées ne
sont pas revenues avec leurs anciennes conceptions du monde et de la
vie sociale, mais avec des représentations mentales, des institutions,
des systèmes éducatifs et des politiques rénovés de fond en comble.
On peut occuper l’esprit des gens avec le débat sur les valeurs
religieuses autant qu’on veut, mais si elles ne sont pas couplées avec
les valeurs sociales, intellectuelles, politiques et économiques
universelles, ça donnera toujours l’Afghanistan des talibans ou, au
mieux, l’Iran de l’imam infaillible. Je ne dis pas la Turquie
d’Erdogan, car, comme je l’ai assez démontré dans les précédentes
contributions, elle a bon gré, mal gré intégré à son moi moderne ces
valeurs. Je ne dis pas non plus la Malaisie où existent d’importantes
et industrieuses minorités représentées au Parlement et au
gouvernement à côté des 50 à 60% de Malais musulmans (la chinoise à
presque 30% et l’indienne pour le reste). Les communautés qui tiennent
à n’être régies que par leurs valeurs religieuses ont vocation à
devenir des sectes, des ordres mystiques, des zaouïas, comme il en
pullule en marge de toutes les religions, et non des puissances
planétaires. C’est au nom de leur code d’honneur que les Samouraïs ont
disparu : ils ne se sont pas résignés à la renaissance «Meïji» à
laquelle était acculé le Japon dans les années 1860. S’agissant des
mœurs, il n’y a pas un seul péché, un seul vice, une seule abomination
au monde qui n’existe chez les musulmans. La différence est que les
Occidentaux ont choisi de les traiter en pleine lumière, d’en parler,
de les étudier, de les montrer, pour les comprendre, les soigner ou
les punir, alors que les musulmans font tout pour les nier, les
cacher, les ensevelir sous une montagne d’hypocrisie de telle sorte
que ces maladies ou ces crimes ne soient ni soignés ni punis. C’est
dans un tel climat de mensonge, de dissimulation, donc de
permissivité, que les tares prospèrent. Pour la mentalité islamiste, une
tare est à moitié pardonnée si elle est bien dissimulée sous le voile
de la «pudeur» (astar mastarallah !) Alors que l’Occident a développé
la psychologie, la psychiatrie, la psychanalyse et diverses thérapies
pour vider l’inconscient de ses complexes, de ses traumatismes et le
libérer de ses addictions perverses, les musulmans trouvent plus
conforme à la morale de les recouvrir du plus grand secret.
L’important à leurs yeux n’est pas que ces choses ne doivent pas
exister, mais qu’on ne les montre pas. L’Occidental s’est libéré de
ses frustrations et de ses fantasmes, tandis que le musulman continue à
couver les siens, à les subir ou à les infliger à autrui. Et les
islamistes sont tout fiers de présenter ces artifices comme étant les
«valeurs supérieures de l’islam». Les musulmans ont, certes, la zakat,
le kharadj et autres dîmes, mais ceux-ci n’ont pas pris le caractère
institutionnel des «prélèvements obligatoires», grâce auxquels les
Etats occidentaux financent les dépenses publiques, le service public,
la politique sociale, les allocations-chômage, la redistribution des
richesses entre leurs citoyens, ainsi que la conquête de l’espace à la
recherche d’une planète habitable pour le cas où. La zakat est restée
telle qu’elle a été édictée il y a quatorze siècles, laissée au bon
vouloir des bonnes âmes et à la miséricorde qu’elles peuvent éprouver
envers les pauvres à l’approche des fêtes religieuses. Et quand on y
regarde de plus près, cette miséricorde n’est qu’un investissement
dans des valeurs-refuge, de l’argent placé dans le compte-épargne des
«haçanate» dont les islamistes connaissent la tarification : tant pour
telle action, tant pour telle autre… On espère en tirer beaucoup plus
dans l’au-delà. Le commerçant islamiste et l’industriel musulman (là,
le moderniste est totalement d’accord avec l’islamiste) font tout
pour se dérober à l’impôt sous prétexte qu’il n’est pas «halal», qu’il
est une «bid’â», préférant le système du «donner de la main droite ce
que la main gauche doit ignorer» au titre de la charité ou de la
corruption des fonctionnaires. La «kammouça» comme on dit chez nous,
et ni vu ni connu. Dans la mentalité musulmane décadente,
l’enrichissement sans cause est un «rizk min îndillah», pourvu qu’il
soit purifié par quelque menue monnaie donnée à la mosquée en
construction du coin ou du douar d’origine. Le citoyen occidental,
lui, est obligé de verser, «bla mziytou», à l’Etat la moitié de ce qu’il
gagne, et il ne peut y échapper. Il le fait selon le système
déclaratif (tatawwou’ân minhou), car l’Etat a les moyens de détecter
toute infraction et de la sanctionner de telle sorte que le
contrevenant ne soit plus tenté de recommencer. Son train de vie est
surveillé par le fisc, et il doit répondre du moindre enrichissement
sans cause décelé. Indépendamment des actes de charité, de bonté et de
l’aumône qu’il peut accomplir par ailleurs — et qu’il accomplit
réellement — notamment envers les populations musulmanes frappées par
un tremblement de terre ou la sécheresse dans tel ou tel pays.
Connaît-on des organisations humanitaires islamiques allant au secours
de non-musulmans pauvres, ou frappés par le malheur ? Pas à ma
connaissance. Pour les islamistes, ce serait subventionner le «kofr».
Il n’y en a d’ailleurs même pas pour les musulmans eux-mêmes. Aucun
verset ou hadith n’ayant mentionné les ONG, pourquoi se lancer dans
une «bid’â» ? Imaginons le Prophète revenu incognito parmi nous, et
répétant devant un auditoire islamiste ce qu’il a dit dans le hadith
cité plus haut. Il serait excommunié sur-lechamp. Lui, qui a été l’Elu
de Dieu, ne serait pas élu s’il se présentait à une élection face à
un candidat d’Al-Nour en Égypte, d’Ennahda en Tunisie ou du FIS en
Algérie. Mohamed Abdou a écrit en 1877 dans sa Rissalat at-tawhid ces
lignes flétrissant l’islamisme à travers les siècles : «Les ignorants
furent victorieux… Ils détruisirent le peu qui restait du rationalisme
coulant de source musulmane et s’engagèrent dans des voies
tortueuses… Ils chassèrent la raison de son domaine et ne discutèrent
qu’en traitant les gens d’égarés et de mécréants… Leurs langues
proférèrent des mensonges en disant : «Telle chose est licite et telle
autre ne l’est pas», «ceci appartient à l’hérésie et cela à l’Islam ».
La religion est au-delà de ce qu’ils s’imaginent, et Dieu, qu’Il soit
exalté, est au-dessus de ce qu’ils pensent. Mais grande fut
l’atteinte portée à la grande masse dans sa foi et dans les sources
mêmes de sa vie spirituelle par cette longue folie, ces nombreuses
attaques, ce grand mal et ce malheur général».
N. B. LSA DU 11/03/2012
une première idée de ce qui fait défaut aux musulmans : ce qui ne figure pas dans la nomenclature de leurs «akhlaq» (conscience historique, sens collectif, efficacité sociale et économique, ouverture d’esprit, aptitude à l’innovation, dépassement de l’horizon connu, tension vers le meilleur, adoption du système démocratique...)
Le grand poète égyptien Ahmed Chawki a gravé dans la mémoire arabe un vers que nous avons tous appris à l’école : «Innama al oumamou al akhlaqou ma bakiat, fa in houm dhahabat akhlaqouhoum dhahabou.» (Les valeurs morales font les nations, si celles-ci disparaissent celles-là disparaîtront aussi). C’est un très beau vers, mais comme la poésie en général, il s’adresse à l’émotivité plutôt qu’à la raison.
Il était destiné, comme la partie patriotique et hagiographique de son œuvre, à exalter le «Nous» national et musulman. Mais quand on s’empare de ce vers pour ce qu’il évoque comme représentations mentales et le soumet au test de la réalité historique, on est étonné de constater que s’il a gardé de sa puissance émotionnelle, il a perdu de sa vérité. Il en est souvent ainsi de la culture arabo-islamique. Bâtie sur l’émotivité, les sentiments, l’imaginaire et la crédulité, elle cherche à subjuguer plus qu’à démontrer, mais ses aphorismes ne résistent pas toujours à la réalité mouvante. De ce point de vue, le vers du Prince des poètes n’est pas un théorème, comme l’ont cru des générations, mais juste un beau vers.
N. B. LSA DU 11/03/2012
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Qu’en pensez vous?