APS - ALGÉRIE

jeudi 7 avril 2016

«Les assurés ne lisent pas les contrats qu’ils signent»


Dr Mohammed Lezoul. Maître de conférences à l’université d’Oran


La branche automobile détient la plus grosse part du marché des assurances. Les assureurs cherchent-ils la facilité ?
La croissance du secteur n’est pas réelle, elle est biaisée par l’augmentation du parc automobile consécutive à la hausse spectaculaire des salaires et des rappels de salaires en 2011. Les assureurs font leur chiffre d’affaires grâce à la garantie automobile tout simplement parce que cette dernière est obligatoire (l’assurance automobile comprend une partie obligatoire appelée responsabilité civile et une partie facultative soumise aux lois du marché).
Certes, il existe d’autres produits obligatoires tels que l’assurance catastrophe naturelle qu’on peut contrôler uniquement en cas de transaction immobilière. Pour ce qui concerne l’assurance-vie qui représente entre 4% et 9% du  portefeuille global du marché, ce taux est insignifiant.
Ceci est dû à plusieurs facteurs, dont : l’Etat-providence qui s’occupe de tous depuis le régime socialiste, un régime social presque parfait, notamment depuis l’avènement de la carte chifa, en plus du facteur culturel et éthique. L’assuré perçoit l’assurance comme un impôt qu’il faudrait minimiser plutôt qu’un investissement à optimiser. Par contre, les assureurs cherchent la facilité. Ils ne font jamais une action marketing. Tous les travaux que j’ai  dirigés en master sur le marketing appliqué aux assurances, la communication dans le domaine des assurances, la gestion de la relation-client ont montré que la compagnie d’assurance est une administration rigide de style taylorien, le personnel est un administrateur, il ne fait que souscrire des contrats.
Pour vous donner un exemple, j’ai vu un couple qui venait souscrire une assurance voyage auprès d’un assureur public. Il s’est vu dire par la ‘‘vendeuse’’ : «Vous savez, cette assurance n’est obligatoire que pour l’espace Schengen, du coup vous n’êtes pas obligés d’y souscrire». Est-ce qu’un personnel pareil peut promouvoir les produits vie qui drainent une épargne longue du fait de la capitalisation ? Lorsqu’on voit la législation en vigueur qui encourage la souscription de l’assurance-vie, on pense qu’on est sorti de l’auberge ; le problème est vraiment structurel qui nécessite une bonne gouvernance.
Les clients se plaignent souvent de leur assurance, particulièrement en ce qui concerne l’automobile. Sont-ils réellement lésés par les assureurs  ?
Je dirais que les assurés ne lisent pas les contrats qu’ils signent et s’offusquent que les indemnités ne soient pas à la hauteur de ce qu’ils imaginaient. La vérité est que souvent les assurés ne déclarent pas les risques réels et il y a même des vices cachés pour ne pas payer la vraie contrepartie en assurance, ils font de fausses déclarations. La théorie du «risque moral» est la conséquence de l’information imparfaite des assureurs sur les demandeurs d’assurance. Ceci entraîne beaucoup de subterfuges dans l’établissement du contrat ; aussi l’assureur ne donne pas de détails sur le contrat à l’assuré et ce dernier ne distingue pas entre risque assurable et risque non assurable, d’où la source des litiges.
Les compagnies publiques sont majoritaires sur le marché en dépit d’une croissance du secteur privé. Y a-t-il pour autant une véritable concurrence sur le marché ?
Vous savez, l’Algérie est passée par plusieurs phases de développement dans le domaine des assurances, entre autres le monopole de l’Etat sur les assurances après 1965 et la spécialisation survenue lors de la restructuration des entreprises en 1982 (la SAA s’occupait des risques simples et des assurances automobiles, la CAAR s’occupait des risques industriels, et la CAAT des assurances transport depuis 1985) ; la déspécialisation survenue en 1988 et le dernier changement est celui de la libéralisation survenue en 1995 par le biais de l’ordonnance 95/07. L’époque de la spécialisation s’est ancrée dans la mentalité des Algériens qui croient que la garantie idéale en assurance automobile est la SAA, en plus de la résistance aux  changements, ce qui implique la domination de cette compagnie dans l’automobile, et ce, malgré l’entrée en lice des compagnies privées à capitaux nationaux et étrangers.
En matière de tarification, il existe deux volets : un volet obligatoire administré par le ministère des Finances, et un autre facultatif soumis aux lois du marché. La concurrence, en fait, se joue uniquement sur le volet facultatif et sur les assurances automobiles. Les assureurs privés et publics sont égaux devant la loi ; en revanche, les assureurs privés sont exclus de plusieurs marchés publics, c’est une raison parmi d’autres qui fait que les entreprises publiques dominent le marché.
Aussi, les compagnies privées ne font pas d’actions marketing pour faire face aux compagnies publiques qui ont une grande expérience ; le seul facteur de concurrence est le prix. Une vraie concurrence englobe tous les éléments du mix marketing et non pas uniquement un seul élément qui est le prix. Par ailleurs, le marché des assurances n’est pas vraiment segmenté pour essayer de trouver des parts de marché non exploitées par les entreprises publiques, voire des niches de produits nouveaux. Elles peuvent aussi essayer d’aller vers d’autres alternatives telles que Takaful qui est en vogue dans plusieurs pays européens et américains.

Quid des motos ?

Les automobilistes ne sont pas les seuls à se sentir lésés par les assureurs. Les utilisateurs de moto «se voient carrément refuser le droit à l’assurance» car considérés comme des clients à hauts risques, explique Mustapha Zebdi.
«Ils sont impliqués dans beaucoup de sinistres et d’accidents corporels qui coûtent cher aux assurances», justifie un expert automobile. «L’indemnité versée en cas de décès par exemple est trop importante, alors que les primes sont insignifiantes».
Certains propriétaires de moto rencontrés ont expliqué avoir eu du mal à trouver un assureur qui accepte des les assurer. Certains roulent carrément sans assurance. Hassam Khelifati l’affirme : «Les assureurs n’aiment pas les motos».
Un sentiment qui s’explique, selon lui, par plusieurs facteurs: «Ils n’ont pas de carte grise, que peut-on assurer dans ce cas ? Ils roulent imprudemment, ils ne mettent pas de casque, etc. On ne peut pas les assurer avec des tarifs aussi ridicules et bas. Si on doit prendre des risques, il faut qu’on soit couverts nous aussi.»
Un constat loin d’être généralisé. En dépit des réticences, il existe bien des compagnies d’assurance qui offrent ce service : GAM, Alliance, SAA, CIAR, entre autres. Il peut cependant arriver qu’au sein de la même compagnie, les demandes soient traitées différemment entre deux agences distinctes. Par ailleurs, il existe bien des propriétaires de moto qui possèdent bien des cartes grises en bonne et due forme.

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