La production
des usines, en recul aux Etats-Unis et au Japon, a stagné en Europe en 2015
C’est l’un des plus grands sites industriels en
projet dans le monde. LeEco, le «Netflix chinois », a annoncé, mercredi 10 août,
son intention de construire une usine de voitures électriques hyperconnectées à
Huzhou, dans la riche province côtière du Zhejiang. L’ensemble du parc
industriel devrait coûter 2,7 milliards d’euros, pour une diversification jugée naturelle par Jia
Yueting, le milliardaire propriétaire de ce groupe jusqu’à présent spécialiste
d’Internet : l’automobile de demain sera un « terminal mobile intelligent monté
sur quatre roues », prédit-il. Il se voit déjà en produire 400 000 par an…
En d’autres temps, c’est en Europe, aux
Etats-Unis ou au Japon qu’aurait éclos un projet technologique et financier de
cette ampleur.
Aujourd’hui, les usines ferment dans
les pays industrialisés.
D’autres ouvrent en Chine, en
Indonésie, en Roumanie ou ailleurs.
Et pas seulement sur des sites à faible
valeur ajoutée.
Cette nouvelle division
internationale du travail se dessine dans les chiffres de production publiés vendredi
12 août. Globalement, l’industrie de la planète tourne au ralenti. Après la
grande crise de 2008-2009, la production mondiale, en plein rattrapage, avait bondi
de plus de 10 % l’an. Le tempo s’est calmé. Depuis plusieurs mois, la
production industrielle ne s’accroît plus que d’environ 1,5 % ou 2 % en rythme
annuel, selon les estimations de l’Office des statistiques des Pays-Bas, qui font
référence. Cette croissance limitée, inférieure à celle du produit intérieur
brut, confirme que l’économie mondiale s’oriente de plus en plus vers les
services au détriment de l’industrie.
Mais la faible hausse générale cache de
fortes disparités. En Chine, malgré la décélération en cours, la production
industrielle a encore augmenté de 6 % sur un an en juillet, et les
investissements de 8 %. Le pays a beau donner la priorité à la satisfaction de
son marché intérieur et moins exporter, il continue à muscler ses capacités.
Les volumes sortis des usines grimpent aussi en Indonésie (+ 7,5 %), au Vietnam
(+ 7 %), en Malaisie (+ 5 %), dans certains pays africains comme la Côte d’Ivoire.
Au total, les pays dits « émergents » affichent toujours une production en hausse
de 4 % en moyenne. La situation se révèle beaucoup plus terne dans les pays
industrialisés.
Aux Etats-Unis, la production industrielle
est en recul de près de 1 % par rapport à 2015.
La baisse frôle les 2 % au Japon.
L’Europe, elle, fait du surplace, avec une très légère progression (0,5 %) entre
juin 2015 et juin 2016, selon Eurostat. Un score tiré vers le bas par la
France. La production y a diminué de 1,9 % en un an, en raison notamment des
grèves de juin dans les raffineries et ailleurs.
Au total, les usines européennes sont
loin de fabriquer autant d’automobiles, d’acier, de papier, de plastique
qu’avant la crise de 2008-2009. En France, la production reste inférieure de plus
de 10 % à son niveau d’alors.
L’Allemagne fait partie des rares pays
à avoir pu dépasser ses anciens records.
Cet accès de langueur en Europe est
directement lié au manque de tonus de la consommation, qui n’incite guère les
entreprises à utiliser leurs ateliers au maximum. Les Etats ont leur part de
responsabilité, juge Mathieu Plane, de l’Observatoire français des conjonctures
économiques.
« Individuellement, les pays de la zone
euro se sont engagés dans une course à la compétitivité-prix via la déflation
salariale ou la dévaluation fiscale, souligne-t-il.
Ces politiques pèsent sur la demande et
nuisent à une reprise durable et vigoureuse de la production industrielle. Le
phénomène est accentué par les règles budgétaires qui freinent la reprise de
l’investissement malgré des taux historiquement bas. »
L’illusion des relocalisations Certains, comme l’ancien ministre du
redressement productif Arnaud Montebourg, ont cru un temps à un possible retour
de l’industrie dans ses vieux pays d’origine.
Les usines délocalisées devaient revenir
en Europe ou aux Etats-Unis, comme si le film de la mondialisation se
rembobinait.
Le mouvement espéré s’appuyait sur
deux facteurs. D’abord la forte hausse des salaires dans les pays émergents,
surtout en Chine. Ensuite la chute des prix de l’énergie aux Etats-Unis, due à
l’essor du gaz de schiste.
De fait, ce contexte a donné un coup
de fouet ponctuel à l’industrie américaine mais sans changer profondément la
donne. « On n’observe
pas de relocalisations dans les pays de l’OCDE », constate l’économiste Patrick Artus
dans une note publiée le 5 août par la banque Natixis. L’Allemagne mise à part,
la zone euro continue à se désindustrialiser. En France, 33 900 emplois ont été
détruits ces douze derniers mois, selon les chiffres diffusés vendredi par l’Insee.
En dix ans, plus de 570 000 postes industriels ont disparu au fil de
restructurations et de fermetures de site comme celui du sidérurgiste russe
NLMK à Beautor (Aisne), arrêté en juin. Un laminage qui touche aussi le Royaume-Uni,
les Etats-Unis et l’Amérique du Sud.
En sens inverse, le nouvel ordre industriel
concentre la production dans un petit nombre de localisations, « des pays dont les coûts de
production sont faibles par rapport à
la région qui les entoure », selon M. Artus. Tels le Mexique, la Turquie, l’Indonésie, les
Philippines, la Malaisie, le Vietnam et la Thaïlande. Mais aussi comme
plusieurs pays d’Europe centrale ou orientale.
Quand des groupes internationaux veulent
s’implanter en Europe, c’est souvent là qu’ils investissent, pour bénéficier à la
fois de coûts réduits, d’une main-d’œuvre qualifiée et de la proximité des
grands marchés comme l’Allemagne ou la France. Depuis 2010, la production
industrielle a ainsi crû de 40 % en Slovaquie, de 30 % en Roumanie, et de plus
de 20 % en Estonie, en Lituanie, en Lettonie, en Hongrie, en Pologne et en République tchèque, selon
Eurostat.
DENIS COSNARD
le Monde 14/15/ Août 2016
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