APS - ALGÉRIE

mardi 21 juin 2016

L’Empire contre-attaque !

Par Arezki Metref

«Pédalage budgétaire !» C’est quoi ça ? Un énième scandale de dopage ? Un système de surveillance du rythme cardiaque ? Que nenni, ce n’est que le nom imagé, et à la limite facétieux, que les conservateurs brésiliens donnent au prétexte juridique qui permet de destituer la Présidente du Brésil, Dilma Rousseff, démocratiquement élue en 2010. La créativité est inépuisable !
On aura tout entendu en sa défaveur et en celle de son prédécesseur et mentor, Lula Da Silva, l’homme qui a réussi la prouesse historique de donner le pouvoir par les urnes à un parti de travailleurs dans un pays aussi conservateur que le Brésil. Dans l’incapacité de les vaincre politiquement, électoralement, on crie à la corruption ! La bataille de la salissure est sans quartier !
Evidemment, à l’heure de l’incommensurable corruption des élites planétaire, cette accusation ne peut que faire mouche. La grande presse US et occidentale acquise aux forces de la finance redouble de férocité dans le procès à charge pour corruption, au point de faire entrer ce chef d’accusation dans le champ de l’évidence. Quiconque travaille dans le miel finit par se lécher les doigts, disait Boumediène. Eh bien, visiblement, pas elle !
Dilma Rousseff contre laquelle cette presse coordonne une sacrée bronca, n’est pas corrompue. Rien, en tout cas, dans ce que ses adversaires politiques ont déniché pour la descendre ne prouve qu’elle soit coupable d’enrichissement personnel indu. S’ils avaient trouvé la moindre peccadille, tu penses bien qu’ils ne se seraient pas gênés pour la surmultiplier à l’ infini.
Par contre, elle reconnaît avoir recouru à un procédé pratiqué sous tous les régimes qui consiste à présenter son bilan de la façon la plus avantageuse afin d’assurer sa réélection qui eut lieu en 2014. Inélégance politique, certes, mais probablement pas un délit justiciable d’une destitution. Auquel cas il faudrait que soient destitués nombre de chefs d’Etat. Et pourquoi pas le Président français, par exemple, dont le gouvernement s’arrange ponctuellement avec les chiffres du chômage ? Et le reste à l’avenant.
Cet objet contondant qui porte le nom de «pédalage budgétaire» avec lequel les sénateurs conservateurs brésiliens ont frappé Dilma Rousseff, n’est donc rien d’autre qu’une sorte d’acrobatie statistique destinée à enjoliver la réalité des finances de l’Etat. Par conséquent, contrairement à ce qu’affirment la grande presse capitaliste et les analystes acquis à la finance, on ne peut aucunement utiliser le terme de corruption.
En réalité, tout porte à croire que ce qu’on reproche à Dilma Rousseff, c’est l’impressionnant bilan social réalisé par le Parti des travailleurs, Lula d’abord, elle ensuite, depuis 2002.
On leur reproche d’avoir contribué à extirper de la pauvreté 40 millions de Brésiliens. On leur reproche d’avoir fait de l’un des pays les plus sous-développés du monde l’un des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), pays émergents qui tiennent la dragée haute au capitalisme financier international. Voilà en réalité ce qui est reproché à Dilma Rousseff qui a commis cette irrégularité aux conséquences disproportionnées.
Dilma Rousseff corrompue ? Enrichissement de sa part au détriment des pauvres de son pays ? … Eh bien à force de l’entendre, de le lire, de le voir sur toutes les télés, j’ai bien failli y croire ! Comme quoi ! Fort heureusement, il y a d’autres voix pour situer avec plus de précision et surtout moins de partialité, l’enjeu de la destitution dans les relations de domination entre les états-Unis et les pays qui mènent des politiques sociales, notamment en Amérique latine.
Nicolas Maduro, le Président du Venezuela, pays anti-impérialiste qui malheureusement se lézarde sous les coups de boutoir de ses ennemis internes et externes, voit dans cette manœuvre «un complot non seulement contre Dilma mais contre nous tous». Il accuse Obama de vouloir mettre un terme à la démocratie et les mouvements populaires.
Heureusement aussi, j’ai lu cette analyse au scalpel du politologue César Benjamin pour qui «le coup d’Etat en cours n’est pas l’éloignement de Dilma Rousseff mais la formation d’un gouvernement dont le programme aurait été difficilement accepté par le peuple brésilien par la voie des urnes».
Les conservateurs au service des intérêts des multinationales n’auraient jamais pu imposer un programme d’austérité et de destruction des acquis sociaux en passant par les urnes. Ils trouvent donc là le moyen le plus économique et le plus efficace pour arriver au pouvoir. Et ça s’appelle tout simplement un coup d’Etat.
Il est difficile de ne pas lier cette tentative de mettre fin à une expérience populaire et progressiste dont les résultats sont probants au Brésil, avec la reconquête au profit de l’Empire des pays libérés d’Amérique latine. Depuis le début des années 2000, l’Amérique latine a connu un tournant à gauche. L’immédiate arrière-cour des Etats-Unis a abrité des luttes sociales et des manifestations défiant le néolibéralisme et ses incarnations politiques et économiques. La protestation contre l’impérialisme a fini par produire une modification des rapports de force par l’accession de forces populaires au pouvoir.
C’est contre cette dynamique antilibérale et anti-impérialiste que l’Empire contre-attaque.
Avec la fin de l’expérience du gouvernement PT au Brésil, c’est un peu la conclusion calamiteuse de ce «défi fondamental, en particulier pour les pays qui ont le plus fait naître d’espérance, de changement dans les rangs d’une gauche mondiale à la recherche d’exemples à suivre».
A l’heure de la mondialisation financière, le Brésil aura fait rêver bien des gauches, comme alternative à des politiques injustes et antipopulaires. D’une autre façon, c’est là le second assassinat de Salvador Allende.
A. M.

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